Covid-19 : pourquoi la stratégie d'immunité hybride des Anglais est critiquée ?

Le masque ne sera plus obligatoire en Angleterre dès le 19 juillet. Evening Standard Picture Picture Jeremy Selwyn (Photo by Jeremy Selwyn / POOL / AFP)

La stratégie de Boris Johnson de lever toutes les mesures, y compris l'obligation du port du masque en intérieur, suscite l'inquiétude de nombreux scientifiques.

“Nous allons mettre un terme aux restrictions obligatoires et permettre aux citoyens de prendre leurs propres décisions en connaissance de cause face au virus". L'annonce de Boris Johnson de mettre fin à toutes les restrictions liées au Covid, au moment où le pays connait une flambée épidémique, fait jaser outre-Manche.

À partir du 19 juillet, le port du masque ne sera plus obligatoire, y compris en intérieur, alors que le Royaume-Uni fait face à une nouvelle vague de contaminations, sous l'effet du variant Delta. D'à peine quelques milliers de cas en mai, le Royaume-Uni enregistre désormais près de 30 000 nouveaux cas chaque jour.

La stratégie de l'immunisation hybride

Selon The Evening Standard, le Premier ministre mise sur une modélisation qui prévoit une baisse des cas à partir de la mi-août, le pays atteignant une forme d'immunité collective. Car selon une étude de l'ONS, l'institut de la statistique britannique, 89,8% de la population en Angleterre a des anticorps contre le coronavirus, que ce soit du fait d'une infection passée, de la vaccination ou des deux.

La stratégie de Boris Johnson, c'est donc de miser sur une immunisation hybride, c'est-à-dire d'une part sur la vaccination des personnes à risque de faire une forme grave, et de l'autre côté sur une immunisation des plus jeunes soit via la vaccination, soit via l'infection naturelle.

"Une expérience dangereuse et contraire à l’éthique"

Une stratégie de laisser circuler le virus dans la population qui avait déjà été adoptée par la Suède, et déjà par le Royaume-Uni au début de la pandémie, avant de revenir à un confinement pour endiguer la hausse du nombre de cas. À une différence notable, c'est qu'aujourd'hui les plus à risque en Angleterre sont vaccinés et donc protégés.

Une stratégie d'immunisation hybride qui suscite l'inquiétude. Plus de 120 scientifiques et médecins de par le monde ont signé une lettre dans la revue médicale The Lancet, dans laquelle ils appellent le gouvernement à revenir sur ses projets qu’ils qualifient d'"expérience dangereuse et contraire à l’éthique".

"Un pari hasardeux mais qui peut s'entendre"

"C'est un pari hasardeux, voire dangereux, mais qui peut s'entendre car l'Angleterre a très largement vacciné la population à risque d'hospitalisation. Si les contaminations n'entraînent pas une vague à l'hôpital, Boris Johnson pourra dire qu'il a géré l'épidémie. Mais on ne sait pas quel seuil il faut atteindre pour l'immunité collective, notamment avec le variant Delta plus transmissible", reconnaît l'épidémiologiste Antoine Flahault.

Selon les chiffres officiels de la NHS, 93,4% des Britanniques de plus de 50 ans sont complètement vaccinés, et 85,4% des plus de 40 ans.

En France, seuls 67% des plus de 50 ans ont un schéma vaccinal complet, et 60% des plus de 40 ans, selon les chiffres du ministère de la Santé.

Pourcentage de vaccinés par tranche d'âge au Royaume-Uni.
Pourcentage de vaccinés par tranche d'âge au Royaume-Uni.

Les risques d'une telle stratégie

Côté pile, le "pari" de Boris Johnson se passe bien. Côté face, la situation est moins séduisante. "Chaque vague épidémique a touché environ 5% de la population, dont près de 2% des plus de 50 ans, qui est la tranche d'âge à risque d'hospitalisation. Malgré leur large campagne vaccinale, il reste 6% de non-vaccinés parmi les plus de 50 ans, donc la prochaine vague peut très bien les toucher, ce qui suffirait à submerger les hôpitaux", met en garde Antoine Flahault.

"C'est une stratégie qui ne prend pas en compte les Covid long, les PIMS (syndrome inflammatoire multisystémique pédiatrique qui toucherait certains enfants et adolescents, ndlr) ou encore le risque, certes faible, des jeunes d'être hospitalisés", prolonge le docteur Yvon Le Flohic, ancien membre de la cellule de veille épidémiologique de la grippe H1N1.

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"Il ne faut pas oublier que les vaccins ne sont pas efficaces à 100%, et que les personnes très âgées par exemple en EHPAD ont un système immunitaire moins performant. Donc cette stratégie de laisser les gens s'infecter peut entrainer l'hospitalisation voire le décès de certains publics fragiles", prolonge le directeur de l'Institut de santé globale à la faculté de médecine de l'université de​ Genève. "Dans ce cas, le retour à des restrictions à l'automne risque d'être encore plus compliqué à vivre, après le semblant de retour à la normale".

"A-t-il vraiment le choix ?"

Si le pari comporte un certain nombre de risques, "Boris Johnson a-t'il vraiment le choix ?" s'interroge Yvon Le Flohic. "Malgré le nombre de cas, il y a peu voire pas d'entrée à l'hôpital, la vaccination est très avancée. Des restrictions face aux nouveaux cas risqueraient de ne pas être respectées et très mal vécues".

Avec encore plusieurs millions de personnes âgées de plus de 50 ans non vaccinées, la France est encore loin de pouvoir se poser la question d'adopter une telle stratégie.

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