"Une course contre la montre": comment les enquêteurs font passer les suspects aux aveux

Ce vendredi, l'affaire Karine Esquivillon est entrée dans une nouvelle phase après les aveux de Michel Pialle. Le marie de la Vendéenne disparue, suspect au cœur de l'enquête a fini par avouer jeudi soir, après la prolongation de sa période de garde à vue. Mais dans ce genre d'affaires, comment les experts peuvent-ils obtenir en quelques heures seulement des confessions cruciales? Explications.

Le bras de fer commence lorsque le suspect est placé en garde à vue. Elle dure d'abord 24h, mais peut-être étirée jusqu'à 72h maximum en fonction de la gravité des faits, voire 144h pour certaines exceptions comme les affaires terroristes. C'est sur cette fenêtre de temps assez courte que les enquêteurs doivent travailler le suspect, tant pendant les interrogatoires que par des biais plus subtils.

"D'un point de vue légal, il y a une course contre la montre qui s'enclenche", a expliqué sur BFMTV David Corona, un négociateur, profiler et ex-membre du GIGN.

Le spécialiste souligne d'ailleurs que sur cette courte fenêtre, le suspect n'est pas 100% disponible, puisqu'il faut respecter des temps de repos et de repas qui ponctuent les périodes d'interrogatoire.

"Good cop bad cop"

Une grosse partie du travail menant aux aveux se fait, sans surprise, pendant les interrogatoires. Et même dès la première audition qui ouvre la garde à vue. Pour David Corona, ce premier contact est déterminant dans la suite des opérations. Les spécialistes doivent donc très rapidement établir un lien.

Pour le fonctionnement spécifique de ces interrogatoires: les enquêteurs invitent les suspects à présenter leur version des faits, où ils étaient ou l'état de leur relation avec la victime par exemple. Autant d'informations qu'ils vont ensuite recouper avec leurs preuves, les éléments ou témoignages d'autres personnes récoltées. Leur but: identifier des failles, contresens ou changements de versions. Des irrégularités qui seront ensuite présentées, parfois de nombreuses fois, dans l'espoir que le suspect se livre.

Dans le cas des affaires médiatiques comme celle de la disparition de la mère de famille, les enquêteurs peuvent s'appuyer sur l'ensemble des déclarations pour débusquer les incohérences. "Les spécialistes de l'analyse comportementale dissèquent l'ensemble des prises de parole du ou des suspects. D'abord, pour mieux comprendre comment il fonctionne, ensuite, pour commencer à trouver ses contradictions", résumé Jacques Morel, général de la gendarmerie et ancien patron de la section de recherche de Versailles.

Les incohérences sont inévitables pour Anne Sénéquier, médecin psychiatre. "Quand on invente, on ne revient pas aussi facilement que quand on vit les choses. Le temps qui passe fait qu'on ne garde pas la cohérence de la chose, c'est ce qui permet justement dans le judiciaire de pouvoir mettre le focus sur ces incohérences et aider à faire craquer pour qu'on ait un aveu véritable".

Des techniques subtiles

Hors de l'exercice formel de l'interrogatoire, une portion plus discrète du travail est menée subtilement, comme l'indique Maître Dorothée Bisaccia-Bernstein, avocate pénaliste au barreau de Paris:

"Il y a beaucoup de techniques d'interrogatoires qui sont off, qu'on ne perçoit pas dans le procès-verbal et dans le cadre officiel du dossier. Ce sont des procédés très efficaces pour parvenir à une parole"

L'avocate souligne que les enquêteurs sont formés à bien percevoir la personnalité de l'accusé, afin de jouer sur ses faiblesses. "[Ils utilisent] le good cop, bad cop qui entretient une forme de relation", pour ensuite mieux pouvoir déstabiliser le suspect.

D'autres biais peuvent être utilisés hors du cadre de l'interrogatoire. "Parfois, on suspend une audition à un moment où ça devient compliqué, cela permet ensuite d'aller voir la personne gardée à vue et de lui laisser entrevoir des choses, ouvrir des hypothèses, [jouer avec] le sentiment de culpabilité", relate Dorothée Bisaccia-Bernstein. Les spécialistes savent aussi identifier les moments les plus propices pour faire craquer les suspects, notamment en jouant sur les périodes de repas et de repos, et donc, de faim et de fatigue.

Le risque des faux aveux

Des aveux signent-ils la fin de l'enquête? Pas vraiment. Lorsque les enquêteurs parviennent à créer un lien avec les suspects, il peut arriver dans de rares cas que ceux-ci fournissent de fausses déclarations seulement pour contenter les enquêteurs.

"Il est arrivé dans l'histoire judiciaire que ces paroles-là ne soient pas empruntes de vérité parce que précisément (les personnes) veulent répondre à une attente", rappelle Maître Dorothée Bisaccia-Bernstein.

Faute de données sur la France, reste à noter qu'une étude de 2018 a démontré qu'aux États-Unis parmi les personnes emprisonnées à tort puis libérées à la suite d'analyses ADN, 15 % à 25 % d'entre elles avaient fait de faux aveux.

Article original publié sur BFMTV.com