Le couronnement de Charles III intéresse-t-il les Britanniques ?

La date du 6 mai 2023 restera dans l’histoire. Après la mort d’Elizabeth II, le nouveau roi sera sacré aux côtés de la reine Camilla, sous le regard des princes Harry et William.

COURONNEMENT - Dans les rues de Londres, des centaines de militaires, certains à cheval, répètent depuis plusieurs jours la procession royale, parfois en pleine nuit. Dans les églises, des bénévoles s’entraînent pour sonner les cloches de tout le Royaume-Uni le 6 mai, pour le couronnement du roi Charles III. Même le parc d’attractions Legoland de Windsor a déjà installé son petit carrosse d’or dans la cour de sa réplique du palais de Buckingham. Et le public, lui, s’est-il échauffé ?

Les Britanniques, qui dans leur grande majorité n’avaient jamais connu d’autre monarque qu’Elizabeth II, s’apprêtent à vivre leur premier couronnement en 70 ans : trois jours de festivités, marqués par le sacre du nouveau roi à l’abbaye de Westminster devant 2 000 invités.

L’événement, déjà historique, ne susciterait cependant pas un enthousiasme débordant, à en croire certains sondages. Deux enquêtes, l’une publiée à la fin du mois de mars et l’autre à la mi-avril, ont conclu qu’une majorité des Britanniques, surtout les jeunes, n’était pas intéressée par le couronnement : seuls 24 % seraient « plutôt intéressés » et 9 % « très intéressés », selon l’étude la plus récente, même si 46 % des interrogés disent qu’ils vont « probablement » regarder l’événement ou participer aux festivités. D’après une autre enquête du 18 avril, une courte majorité des Britanniques (51 %) pense que la facture de l’événement ne devrait pas revenir à l’État, et donc au contribuable, comme c’est le cas. Aucun montant n’a pour l’heure été dévoilé, mais le coût du couronnement d’Elizabeth II a été estimé à l’équivalent de plus de 22 millions d’euros.

La monarchie, une échappatoire en temps de crise

Ces sondages laissent toutefois l’historien Philippe Chassaigne « circonspect ». « Je n’oublie pas que, déjà en 1977 pour le jubilé d’argent, les médias avaient annoncé l’indifférence du public. Et finalement, le jour venu, les Britanniques sont descendus dans la rue, ont festoyé, nonobstant les difficultés économiques incontestables du pays », raconte-t-il au HuffPost. Et de citer les autres précédents du jubilé d’or d’Elizabeth II en 2002 et celui de diamant en 2012, où l’emballement du public avait également dépassé les prévisions pessimistes.

L’histoire se répétera-t-elle cette année ? Jusqu’ici, bien plus que la monarchie, c’est plutôt une crise du coût de la vie très sévère qui préoccupe les Britanniques depuis des mois, avec son inflation au-dessus des 10 % et ses mouvements sociaux en cascade. Alors que Buckingham prépare les couronnes, les carrosses et les parades - même si Charles III a souhaité une cérémonie plus courte et plus sobre -, certains se demandent toujours comment boucler leurs fins de mois.

Pas de quoi pour autant les détourner massivement de la famille royale. « La monarchie a une valeur d’escapisme (une évasion de la réalité, ndlr), estime au contraire Philippe Chassaigne. Les Britanniques sont contents de rêver un peu en voyant passer le carrosse doré, le carrosse de verre, tout cela qui leur rappelle la grandeur pas si lointaine de leur pays ». Comme en 1981, pour le mariage de Charles et Diana : « Le pays était à feu et à sang, il y avait des émeutes raciales à Brixton (un quartier de Londres, ndlr), également à Liverpool, mais cela n’a pas empêché les Britanniques de suivre l’événement », rappelle le spécialiste, professeur d’histoire contemporaine à l’Université Bordeaux-Montaigne.

« La monarchie fait partie de l’ADN du Royaume-Uni, elle est très importante pour beaucoup de gens, abonde Richard Fitzwilliams, commentateur royal, joint par Le HuffPost. Parce qu’elle est au-dessus des partis politiques, un symbole de l’unité nationale, elle a un rôle très important à jouer, surtout après le Brexit ».

Le roi Charles III, « moins consensuel que sa mère »

Reste que Charles III n’est pas Elizabeth II. Dans les enquêtes d’opinion, le nouveau monarque récolte 55 % d’opinions favorables, contre 80 % pour sa mère et 65 % pour son fils, le prince William. Depuis son accession au trône, plusieurs séquences ont aussi entaché son image, comme ces visites où des manifestants brandissent sur son passage des pancartes sur lesquelles on peut lire « Not my king » (« Pas mon roi »), ou bien ces deux bains de foule au cours desquels il a été visé par des jets d’œufs. Les récentes révélations de son fils cadet, le prince Harry, et son épouse Meghan Markle, n’ont pas aidé.

« Il est probablement moins consensuel que sa mère, reconnaît Philippe Chassaigne. Mais il revient de loin. Il y a 26 ans, en 1997, il était extrêmement impopulaire. Et celle qui va être couronnée reine consort à ses côtés, Camilla, n’a pas pu sortir de chez elle pendant plusieurs semaines après la mort de Diana car elle était insultée. On lui jetait du fumier et des mottes de terre », rappelle-t-il.

Aujourd’hui, « la popularité de Charles est réelle et le fait que Camilla soit couronnée à ses côtés ne suscite pas d’opposition notable », observe l’historien. « Les Britanniques reconnaissent qu’ils forment un couple idéal, et qu’ils font beaucoup pour les associations caritatives », analyse de son côté Richard Fitzwilliams.

Le regard tourné vers le prince William

De là à imaginer que son sacre puisse susciter le même enthousiasme que celui de sa mère ? Pas vraiment. « Le couronnement d’une princesse de 27 ans et celui d’un souverain de 74 ans - puisque Charles III est le monarque le plus âgé à être monté sur le trône de toute l’histoire de la monarchie britannique - ne suscitent pas le même type d’engouement », note pudiquement Philippe Chassaigne. En 1953, les Britanniques ont beaucoup de sympathie pour cette jeune femme qui vient de perdre son père et se retrouve propulsée à la tête d’un pays et d’un Empire.

Médiatiquement, ce couronnement ne pourra pas non plus avoir le même écho. Car celui d’Elizabeth II a été le premier à être diffusé, dans son intégralité, en direct à la télévision, à la demande de la reine elle-même. La cérémonie sera vue par 27 millions de Britanniques et écoutée par 11 millions de personnes à la radio. Mariages, funérailles, jubilés… Aujourd’hui, « on est habitués à ce que la monarchie se mette en scène, à ce qu’elle soit filmée, en direct. Le couronnement de Charles n’aura donc pas l’exceptionnalité de la première fois », indique l’historien.

Depuis la mort de la reine, le mouvement antimonarchique redouble d’efforts pour se faire entendre. Le groupe Republic, qui prévoit d’ailleurs de manifester sur le parcours des processions du roi le 6 mai, se targue d’avoir plus que doublé la somme de ses dons l’année dernière par rapport à 2020, avec « la couverture médiatique consacrée à la succession au trône et aux funérailles ».

Mais même si le soutien à la royauté recule au fil des ans, notamment chez les plus jeunes, le mouvement antimonarchique reste minoritaire : 58 % des Britanniques estimaient en avril qu’un monarque est préférable à un chef d’État élu, souhaité par 26 % des sondés. « Il faut toujours distinguer l’institution de la personne qui l’incarne », explique Philippe Chassaigne, pour qui ce nouveau règne sera « un règne de transition ». Le 6 mai, au-delà de Charles III, les regards se porteront aussi sur le prince William, héritier du trône.

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