Le couple France-Allemagne bat de l’aile, voici pourquoi

Emmanuel Macron et le chancelier allemand Olaf Scholz photographiés en marge du Conseil européen jeudi 20 octobre.
OLIVIER HOSLET / AFP Emmanuel Macron et le chancelier allemand Olaf Scholz photographiés en marge du Conseil européen jeudi 20 octobre.

POLITIQUE - Il a fallu que Paris et Berlin passent du statut « en couple » à « c’est compliqué » pour que tout le monde s’en mêle. La mauvaise passe que traverse le couple franco-allemand n’échappe pas à la règle : comme dans toutes les célèbres histoires d’amour, chacun a son mot à dire.

Il y a ceux qui, à l’instar de Marine Le Pen, jouent le rôle de l’amie indélicate qui dit à l’un des concernés qu’elle n’avait jamais cru à cette idylle, promise au naufrage.

« Emmanuel Macron suit constamment l’Allemagne mais l’Allemagne ne suit pas Emmanuel Macron. Défense, industrie, énergie… L’annulation du sommet franco-allemand montre, comme nous l’avions révélé, que les désaccords sont multiples », a tweeté la présidente du Rassemblement national, qui n’a jamais porté cette relation privilégiée dans son cœur.

D’autres, au contraire, rappellent ceux qui disent aux amants froissés que ce n’est qu’une passade, que la vie d’un couple ne peut pas être un long fleuve tranquille et que chaque partie est liée par une relation indéfectible.

« Nous ne pouvons pas nous permettre, dans ce moment de l’histoire, de ne pas avoir une Europe unie et une Europe forte. Et cela commence par un dialogue franco-allemand fructueux », expliquait ce vendredi 21 octobre sur France inter l’ancien ministre des Affaires étrangères Dominique de Villepin, qui juge que Berlin aura une position « centrale » dans les années à venir.

Même du côté des acteurs de cette « love story », la réconciliation commence à poindre. « Il n’y a pas d’alternative à cette alliance car nous représentons environ 40 % du produit intérieur brut de l’Europe et nous sommes liés par des liens historiques très profonds. Personne ne devrait en douter », a déclaré ce vendredi Bruno Le Maire dans une interview au Frankfurter Allgemeine Zeitung, appelant à éviter « les paroles blessantes entre nos deux pays ».

Mais comment en est-on arrivé là ? Le point sur une brouille tenace qui trouve sa source dans la guerre en Ukraine, et qui amène le couple au dernier stade avant la rupture : le report du traditionnel conseil des ministres franco-allemands prévu initialement mercredi 26 octobre.

Une guerre qui bouleverse tout

Le 24 février, la Russie déclenche sa guerre contre l’Ukraine. Ce qui a d’énormes conséquences en Europe, sur le plan sécuritaire et énergétique. Pour l’Allemagne, c’est tout un logiciel de pensée qu’il faut revoir, puisqu’elle est à la fois dépendante des États-Unis sur le plan sécuritaire, et de la Russie sur le plan énergétique. Et pour cause, avant l’invasion menée par Vladimir Poutine, le gaz russe ne représentait pas moins de 55 % des importations allemandes. Ce qui a placé Berlin dans une position délicate et, selon certains, provoqué une petite crise d’orgueil outre-Rhin.

« Depuis des années, les Allemands ont fait les mauvais choix, en particulier sur l’énergie et la défense. Aujourd’hui, alors que tout change vite, la situation donne plutôt raison aux positions traditionnelles de la France. Cela est insupportable pour les Allemands qui veulent rester les patrons. Leur nomenlaktura militaro-diplomatique est braquée contre la France, bien plus d’ailleurs que la population », observe dans L’Opinion Jean-Dominique Giuliani, président de la Fondation Robert Schuman.

De fait, la France et l’Allemagne, autoperçues comme forces motrices de l’Union européenne, ont multiplié les prises de position divergentes.

Ces choix stratégiques qui crispent Paris

Pas d’amour sans preuve d’amour. Et au regard des derniers choix stratégiques opérés par Berlin, Paris a effectivement de quoi se sentir délaissée. Peu après le déclenchement de la guerre en Ukraine, l’Allemagne a annoncé la modernisation de son outil de Défense, via la création d’un fonds spécial de 100 milliards d’euros.

Perçu d’abord d’un bon œil depuis Paris, où on considère que la France ne pourra durablement assurer le rôle d’unique puissance militaire de l’UE, cet effort va vite décevoir. Et pour cause, les Allemands se sont principalement tournés vers les États-Unis pour s’équiper (notamment pour l’aviation), alors qu’Emmanuel Macron plaide de longue date pour une souveraineté européenne en matière de Défense, dans un contexte où l’Allemagne rechigne à passer la seconde concernant les projets industriels de défense franco-allemands, comme l’avion et le char du futur (Scaf et MGCS).

De quoi crisper Paris, qui comme un conjoint perçoit les premiers signes d’éloignement, a vu ses craintes se confirmer. Le 14 octobre, Olaf Scholz a lancé un projet de bouclier antimissile en s’alliant à 14 pays membres de l’Otan. Un dispositif équipé de matériels allemands, américains et israéliens, éloignant encore plus les projets de défense européenne promus par Emmanuel Macron. Ce qui, sans surprise, a été vécu comme une offense à Paris.

Relance et mauvaises manières

À ces divergences sécuritaires s’ajoutent des divisions sur le plan économique. Début octobre, l’Allemagne a annoncé — sans prévenir la France — un plan de soutien à son économie de 200 milliards d’euros face à la flambée des prix de l’énergie. Ce qui, là encore, a mal été perçu en France, où on pousse pour une plus importante solidarité européenne dans les réponses à apporter à la crise. Dans Les Échos, Emmanuel Macron, que l’on dit irrité d’avoir été mis devant le fait accompli, a lui-même critiqué le possible « effet déstabilisateur » que ce plan pourrait provoquer en Europe.

D’autant que cette relance, qui fait grimper les dépenses allemandes, intervient dans le pays le plus sévère à l’égard des déficits des autres membres de l’UE. En amont du Conseil européen de ce jeudi, le chef de l’État a publiquement haussé le ton à l’égard de Berlin, estimant qu’il « n’est bon ni pour l’Allemagne ni pour l’Europe qu’elle s’isole ». D’autant que d’autres divergences couvent, cette fois sur le plan sur de l’énergie.

Côté allemand, on considère que le nucléaire n’est pas une énergie d’avenir, alors que Paris estime au contraire qu’il est indispensable dans un mix énergétique visant à aboutir à une économie décarbonée. Deux approches opposées qui ont des conséquences, notamment sur le marché européen de l’électricité, sur lequel la France et l’Allemagne expriment leurs désaccords.

À Paris, on plaide pour un plafonnement du prix du gaz utilisé pour produire de l’électricité, ce que refuse Berlin qui — compte tenu de sa dépendance au gaz — y voit un risque d’approvisionnement, craignant qu’un prix maximum encourage les producteurs à se détourner du marché européen. Qu’à cela ne tienne, Emmanuel Macron a entrepris de négocier sur ce sujet avec les autres pays européens.

Résultat : des tensions qui s’accumulent et un couple qui enchaînent les disputes, si diplomatiques soient-elles. « La France est notre allié le plus proche » et « les relations sont tout à fait correctes », a commenté ce vendredi un porte-parole du gouvernement allemand lors d’une conférence de presse, alors qu’une réunion parlementaire réunissant les deux pays a (aussi) été annulée.

« Il y a eu beaucoup de spéculations ces derniers jours, mais beaucoup de choses sont dénuées de fondement », a assuré ce même porte-parole, comme pour relativiser la panne. Mercredi prochain, Emmanuel Macron recevra Olaf Scholz à Paris. L’occasion pour les deux responsables de se rabibocher, et de redonner une chance à une relation qui bat sérieusement de l’aile.

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