Corse : pourquoi le soutien de l’extrême droite à la mobilisation d’Ajaccio n’est pas si cohérent

Des centaines de manifestants mobilisés protestant contre des dealers à Ajaccio ce jeudi 17 août.
Des centaines de manifestants mobilisés protestant contre des dealers à Ajaccio ce jeudi 17 août.

POLITIQUE - Les images tournent en boucle sur CNews. En Corse, à Ajaccio, plusieurs centaines de personnes se sont réunies dans le quartier des Cannes ce jeudi 17 août, quelques jours après que des agents municipaux ont été menacés de mort par des trafiquants de drogue, provoquant une vague de soutien au sein de la population.

Une initiative qui fait également du bruit sur le continent via les réseaux sociaux, notamment dans les milieux d’extrême droite où l’on se félicite de ce qui est perçu comme un acte d’autodéfense spontané face à la « racaille », l’insécurité et — sans l’expliciter— l’immigration. Des slogans xénophobes ont ainsi été scandés et tagués par certains manifestants (une minorité selon les vidéos), comme l’a rapporté la presse locale.

Sur X (anciennement appelé Twitter) les cadres de Reconquête !, très investis sur le terrain numérique, relaient abondamment l’opération #Adrogafora (« dehors la drogue »). C’est notamment le cas de Damien Rieu, l’un des activistes en ligne du parti d’Éric Zemmour. L’intéressé relaie également les propos tenus sur CNews par Nicolas Battini, président de l’association Palatinu, omniprésent dans le service après-vente de ces événements.

Reconquête ! fantasme un « exemple corse »

Ce dernier partage avec Reconquête ! une vision identitaire et conservatrice de la société, raison pour laquelle, selon France 3 Corse, plusieurs membres de son association ont soutenu Éric Zemmour à l’élection présidentielle.

Un militant nationaliste taguant le slogan « Arabi Fora » signifiant « Les Arabes dehors » à la cité des Cannes à Ajaccio ce jeudi 17 août.
Un militant nationaliste taguant le slogan « Arabi Fora » signifiant « Les Arabes dehors » à la cité des Cannes à Ajaccio ce jeudi 17 août.

Sur les réseaux sociaux, plusieurs membres de Reconquête ! fantasment alors sur cet « exemple corse » dont le continent ferait bien de s’inspirer. « Il nous faut un Corse pour remplacer Gérald Darmanin », commente Damien Rieu, qui a relayé un communiqué de l’association Palatinu. Et pourtant, les orientations de cette structure nationaliste et les aspirations des patriotes tricolores vantant la grandeur de la France s’accommodent mal sur le papier.

Nicolas Battini, militant nationaliste de longue date, n’a-t-il pas été condamné en 2016 pour un attentat contre la sous-préfecture de Corte, symbole de la République, commis quatre ans plus tôt ? Puis une nouvelle fois lorsqu’il était en prison, cette fois pour « recel de bien ». L’intéressé, qui revendique un statut de « prisonnier politique », a claqué la porte du parti autonomiste Femu a Corscia, allié à plusieurs formations de gauche en Europe, en raison de désaccords sur l’immigration, l’islam et l’identité. Ce qui le rapproche des identitaires français sur l’aspect civilisationnel de son combat. Mais il reste militant d’une cause qui vise — in fine — à voir Paris prendre ses distances avec l’Île-de-Beauté.

Le RN encore moins sur la même ligne

Car qui a déjà posé le pied en Corse a pu constater qu’à proximité des tags « Arabi Fora » apparaît souvent « a Francia Fora », voire, parfois, « RN Fora ». Raison pour laquelle il est surprenant de voir des élus du Rassemblement national, parti très jacobin dans sa conception du pouvoir, adopter une lecture similaire à celle de leurs homologues zemmouriens. « Bravo les Corses ! », a félicité le maire RN d’Hénin Beaumont Steve Briois. « Nous avons tous un peu de Corse en nous. Ne nous laissons plus faire ! », a renchéri le député de l’Yonne Julien Odoul, porte-parole du RN. « Face à la racaille, il faut cesser de baisser la tête », a ajouté son collègue de Gironde Grégoire de Fournas, quand le député RN du Gard Nicolas Meizonnet y voit un « signal puissant ».

Un enthousiasme qui détonne au regard des positions de Marine Le Pen sur le mouvement identitaire en général, et le nationalisme corse en particulier, elle qui est opposée à l’autonomie et à l’apprentissage des langues régionales à l’école. Ce que revendiquent les militants nationalistes qui s’arrogent la mobilisation contre les dealers. D’autant que les identitaires corses n’ont pas du tout le monopole de la lutte contre le trafic de stupéfiants sur place. Bien au contraire.

Dans un tweet, Gilles Simeoni, président (autonomiste) du Conseil exécutif de Corse a mis en garde contre toute récupération venant de l’extrême droite : « Non à la drogue. Non à ceux qui la vendent ou en tirent profit, quelle que soit leur origine ou leur condition sociale. Non aussi, au nom des valeurs universelles du peuple corse et de son Histoire, à l’instrumentalisation raciste et xénophobe du combat contre la drogue ». À bon entendeur. En Corse, comme sur le continent.

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