COP28 à Dubaï : « Born in PPM », cette série de portraits qui illustre le changement climatique

Marylou Mauricio, photographe a photographié plus de 2 000 portraits pour sa série « Born in PPM » qui alerte sur la croissance utra rapide du changement climatique.
Born In PPM Marylou Mauricio, photographe a photographié plus de 2 000 portraits pour sa série « Born in PPM » qui alerte sur la croissance utra rapide du changement climatique.

ENVIRONNEMENT - Une série de portraits pour incarner le dérèglement climatique. En ce moment même, à Dubaï, pas moins de 160 dirigeants décident du sort des réserves de pétrole, de gaz et de charbon de notre planète pour les prochaines décennies. L’exploitation de ces énergies fossiles est le cœur des discussions de la COP28, qui se déroule dans l’un des pays champions du pétrole.

À la COP28, les technologies de captage du carbone polluent les débats sur la sortie des énergies fossiles

Mais en quoi ce dossier brûlant, négocié à l’autre bout de la planète, nous concerne-t-il directement ? C’est ce que la photographe Mary-Lou Mauricio a voulu montrer avec la série « Born in PPM » (« Né en PPM », en français). Depuis la COP27 en Égypte, a réalisé 2 000 portraits d’anonymes dans le cadre de cet projet. Pour le HuffPost, elle raconte ce qui l’a amenée à tourner le dos au calendrier grégorien en pour attribuer des dates de naissance en unités climatiques.

Qu’est-ce que cela signifie, « né en PPM » ?

Ces trois lettres sont l’acronyme de « parties par million », l’unité de mesure utilisée pour évaluer la concentration de CO2 dans l’atmosphère, le principal gaz à effet de serre responsable du changement climatique. Par exemple, en 1850, on mesurait 280 ppm de CO2 dans l’atmosphère.

À partir de cette date, qui marque la seconde révolution industrielle et le début de l’utilisation massive des combustibles fossiles, ce chiffre n’a cessé d’augmenter. Il continue de croître chaque année. Ainsi, la personne la plus âgée que j’ai photographiée, qui s’appelle Jacqueline, est née en 1925, à 305 ppm. Je suis née en 1980, à 340 ppm. Le dernier bébé que j’ai photographié est né en 2022, à 417 ppm.

Ces portraits montrent la croissance ultrarapide du phénomène. Selon les scientifiques du GIEC, la prochaine limite climatique se situe à 450 ppm. À partir de ce seuil, il faut s’attendre le dégel du permafrost, à de plus en plus d’incendies… Bref, à un emballement climatique.

Ces chiffres de concentration de CO2 figurent déjà depuis des années dans les rapports scientifiques sous forme de graphiques. Pourquoi les représenter dans des photographies ?

Dans cette série de portraits, j’ai mis en lien une donnée scientifique irréfutable avec des émotions. Chaque fois que je photographie quelqu’un pour « Born in PPM », j’interviewe la personne sur son rapport au dérèglement climatique. En fonction de sa réponse, elle choisit où elle inscrit sa « date de naissance » en PPM sur son corps.

Chercher ce chiffre, l’écrire sur sa peau, c’est un geste fort. Les premiers à l’avoir fait, lors de COP21 en 2015, sont d’ailleurs des activistes. Ils voulaient dénoncer l’impact du pétrole dans les négociations climatiques : 35 d’entre eux étaient entrés au Tate Britain [musée situé à Londres] et s’étaient autotatoué la concentration de CO2 dans l’atmosphère de l’année de leur naissance. Pour moi, c’est une façon d’aller interpeller, de déranger et de montrer qu’il y a un problème.

Sur vos photos, chacun pose à sa manière, le regard grave, les mains sur le cœur… Ou même les poings ou le majeur levé. Quels ressentis avez-vous le plus souvent rencontrés ?

Ça va de la colère à la tristesse en passant par l’envie d’agir. Les gens posent comme ils le souhaitent. Le plus souvent, ils me proposent de mettre la main en avant en guise de « stop ». D’autres s’interrogent : « Faut-il sourire pour inviter au combat, ou plutôt afficher son anxiété ? »

Lorsque j’ai photographié Yann Arthus-Bertrand, cinéaste, photographe et militant pour le climat, il m’a fait un doigt d’honneur. Il était fatigué, ce jour-là. Il m’a dit : « Je passe mon temps à me battre, mais rien ne bouge. »

Une autre fois, alors que j’avais ouvert mon studio à des particuliers, un jeune homme est venu et m’a avoué : « Je sais que ça existe, mais ça ne me touche pas et je continue à vivre normalement. » Sur sa photo, il me tourne le dos et le chiffre est écrit à l’arrière de son bras.

Vous avez aussi photographié plusieurs scientifiques spécialistes de la question...

Récemment, j’ai publié la photo du paléoclimatologue Jean Jouzel. Ancien membre emblématique du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), il a prouvé le lien concentration de CO2 dans l’atmosphère et réchauffement climatique dans les années 1980, rien que ça ! Il m’a raconté comment il a vu le problème monter en puissance, de l’intérieur. Mais il m’a aussi parlé des solutions qui existent et de l’urgence de les mettre en place.

Les scientifiques sont aujourd’hui dans une position très frustrante : ils savent, ils ont les solutions, mais voient bien que les politiques ne progressent pas assez vite. C’est aussi ce que m’a raconté la géographe Magali Reghezza, géographe spécialiste de l’adaptation au changement climatique. Elle a voulu poser le chiffre sur la main, la main de l’action mais aussi celle qui se donne, comme une transmission de son savoir.

Et votre autoportrait ? Quel est votre sentiment vis-à-vis du changement climatique ?

Je l’ai dans la peau : je me suis, moi aussi, tatoué mes 340 ppm. Je suis déterminée, car j’ai des enfants. Quand on sait, on a la responsabilité d’agir et de ne pas fermer les yeux. Notre pire ennemi, ce ne sont pas les climatosceptiques, ce sont les ventres mous, ceux qui disent qu’il est trop dur de changer.

En 2015, j’étais bénévole à la COP21 pour la fondation Hulot. J’étais très enthousiaste lorsque l’Accord de Paris a été signé. Je pensais que ça allait nous sauver. Ce que j’ai envie de dire aux gens, aujourd’hui, c’est : « Ne soyez pas comme moi lors de la COP21. »

Désormais, j’ai décidé de prendre les devants, de changer mon mode de vie et de sensibiliser à la question. Ce sont nos actions, nos projets qui mettent la pression aux dirigeants et aux entreprises. Et ils sentent le vent tourner : la preuve, ils ont envoyé un nombre record de lobbyistes du pétrole à la COP28.

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