Cop 27 en Égypte : faut-il continuer à organiser des sommets internationaux pour le climat ?

Des manifestants prennent part à une marche pour le climat dans la ville côtière israélienne de Tel Aviv, appelant les dirigeants mondiaux à prendre des mesures pour inverser le changement climatique, le 29 octobre 2021, avant la COP 26 de la Conférence des Nations unies sur le changement climatique (CCNUCC) à Glasgow. (Photo : JACK GUEZ / AFP)

ENVIRONNEMENT - La Cop 27 en Égypte, « c’est surréaliste ». Amy Dahan, directrice de recherche émérite au CNRS ne se rendra pas à Charm El-Cheikh pour assister à la 27e conférence des parties (Cop) qui débute ce dimanche 6 novembre. « Aller dans ce ghetto à touristes de Charm El-Cheikh, sous conditions très strictes de sécurité, dans le contexte géopolitique actuel, me paraît aussi surréaliste que la Coupe du Monde au Qatar ou les Jeux asiatiques d’hiver programmés en Arabie saoudite », explique la chercheuse au HuffPost.

Coauteure avec Stefan C. Aykut de Gouverner le Climat ? 20 ans de négociations climatiques, elle affirme « qu’à cette Cop en particulier, il ne se passera rien ». Car tel qu’il est, le processus des Cop ne fonctionne pas vraiment. Selon elle, « on se donne des objectifs de baisse d’émissions à long terme, à 2050-2060, mais finalement on ne parle jamais des moyens à mettre en œuvre pour faire baisser les émissions : évolution des bouquets énergétiques, sortie des (énergies) fossiles, problèmes technologiques… »

L’objectif de l’Accord de Paris s’éloigne chaque année un peu plus

« Seule la Cop 21 a été notable », poursuit Amy Dahan. Ce sommet, qui s’est déroulé en France en 2015, a accouché de l’Accord de Paris sur le climat entérinant l’objectif de ne pas dépasser +1,5 °C, maximum + 2 °C, de réchauffement d’ici la fin du siècle, par rapport à l’ère préindustrielle (1850-1900). Pour y arriver, les États soumettent une contribution nationale révisée tous les cinq ans, c’est-à-dire l’effort qu’ils sont prêts à engager pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre.

Seulement, « les contributions des États ne nous mènent toujours pas sur la trajectoire de l’Accord de Paris, mais vers une trajectoire vers + 2,7 - 2,8 °C d’ici à la fin du siècle », nous indique Sandrine Maljean-Dubois, directrice de recherche au CNRS à Aix-Marseille Université. « Le vice de l’Accord de Paris c’est qu’il laisse les États fixer leur contribution et juger par eux-mêmes si elle est ou non assez ambitieuse et équitable », analyse encore la juriste spécialiste des négociations climatiques. L’examen scientifique est sans appel, pour maintenir le réchauffement à +1,5 °C, il faudrait que tous les pays réunis réduisent leurs émissions de 45 % d’ici 2030. Or, les contributions révisées des États permettent, à ce jour, seulement de diminuer les émissions de 5 à 10 % d’ici à 2030.

Le manque d’ambition des politiques climatiques est flagrant, et rend chaque année « l’objectif de l’Accord de Paris de plus en plus inatteignable », estime Sandrine Maljean-Dubois. Tout en jugeant que les Cop ne sont pas pour autant inutiles, « car sans le régime international on se dirigerait vers une trajectoire à + 4 voire +5 °C d’ici la fin du siècle ».

Retour au charbon avec la guerre en Ukraine ?

À l’issue de la COP 26, le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, avait déclaré que les textes approuvés constituaient un « compromis » qui reflétait « les intérêts, les situations, les contradictions et le degré de volonté politique dans le monde d’aujourd’hui. »

La guerre en Ukraine et la crise de l’énergie qui en découle ont souligné encore davantage la fragilité des décisions prises lors des Cop. L’invasion russe a été comme « un boomerang qui nous revient à la figure pour nous rappeler que nous ne sommes pas sur le même bateau, qu’il existe des intérêts très divergents entre pays, et que l’enjeu énergétique est majeur pour chacun », remarque Amy Dahan.

Le dernier rapport de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), publié fin octobre, conclut que l’invasion russe a permis « d’accélérer la transition vers un système énergétique plus durable et sûr », mais Sandrine Maljean-Dubois se veut plus nuancée. « Chaque pays a son propre calendrier et à court terme, au contraire, certains relancent ou envisagent de relancer leurs centrales à charbon », alerte-t-elle. Certains États pourraient même vouloir revenir sur la « Déclaration mondiale sur la transition du charbon à l’énergie propre » actée à la dernière Cop, en novembre 2021 à Glasgow.

Les promesses non tenues des pays du Nord

Sandrine Maljean-Dubois remarque aussi que l’écart entre les objectifs climatiques des pays du Nord et ceux du Sud se creusent chaque année un peu plus.

D’un côté, les pays développés réclament d’accélérer le rythme de réduction des émissions pour limiter les effets du changement climatique, tandis que les petits états insulaires et pays émergents en subissent, eux, déjà les conséquences et réclament des compensations financières aux nations plus riches. Et pour cause : le continent africain contribue à moins de 4 % des émissions de gaz à effet de serre, alors qu’il pâtit des plus importants dommages.

Cette question des « pertes et préjudices » a été posée l’an dernier à la Cop 26 de Glasgow par les pays du Sud. Ceux du Nord ont bloqué leur demande et les États se sont mis d’accord sur l’ouverture d’un nouveau dialogue jusqu’en 2024. « Mais 2024, c’est bien trop loin. Donc cette année encore, les pays du Sud qui ne sont pas satisfaits vont remettre le sujet sur la table lors de la Cop 27 », explique Sandrine Maljean-Dubois.

Coca-Cola sponsor de la Cop 27

Lors de la Cop 15, les pays développés se sont aussi engagés à mobiliser une enveloppe de 100 milliards de dollars par an à partir de 2020 pour aider les pays en développement à s’adapter aux changements climatiques. Cette promesse ne devrait être tenue qu’en 2023, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Outre la lenteur des avancées des politiques climatiques, les Cop sont entachées de contradictions. Pendant la Cop 26 en 2021, « 400 jets privés ont atterri à Glasgow », d’après le Daily Mail. Le quotidien Scottish Daily Mail comptabilise, lui, le coût carbone de l’évènement à « 13 000 tonnes de CO2 dans l’atmosphère », soit l’équivalent de « plus de gaz à effet de serre que 1 600 Écossais n’en consomment en un an ». Au point d’en faire un sommet record… pour ce qui est des émissions de CO2.

Il serait intéressant de « faire la comparaison entre le coût carbone d’une Cop et ce que les négociations ont permis de réduire en termes d’émissions de CO2 », argumente Sandrine Maljean-Dubois qui rappelle aussi que « le greenwashing à ces occasions n’est pas absent ». L’annonce de Coca-Cola comme sponsor de la Cop 27 a d’ailleurs provoqué l’ire des associations environnementales qui qualifient le groupe de « premier pollueur au monde ».

La société civile n’est pas la bienvenue en Égypte

Les Cop sont devenues des machines à « greenwashing », a dénoncé la militante écologiste Greta Thunberg, en clôture du festival de littérature de Londres le 31 octobre. Elle regrette aussi que l’espace pour la société civile soit cette année « extrêmement limité ».

En Égypte, les manifestations pour faire pression sur les dirigeants présents à la Cop vont être rendues quasiment impossibles. Et les prix des hôtels ont bondi à l’aube du sommet, « ce qui explique que beaucoup de membres d’ONG ont dû renoncer à y aller », déplore Amy Dahan. « Un format plus progressiste serait celui qui ferait plus de place à la société civile, mais je ne vois pas les États s’engager vers une réforme en profondeur dans ce sens », complète Sandrine Maljean-Dubois.

Si les Cops ne sont à la hauteur des enjeux de la crise climatique, faut-il cesser de les organiser ? Non, surtout pas maintenant que le dérèglement climatique s’accélère et que la fenêtre de tir pour agir se rétrécit, répond la juriste. « Je crois que les Cops permettent au moins de remettre la question climatique sur l’agenda international chaque année et j’ai l’impression qu’on en a encore besoin. »

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