Comment la Corée du Sud a imposé la K-Pop au monde

Lisa, Jennie et Rosé, trois des quatre chanteuses du groupe Blackpink - Capture d'écran YouTube - BLACKPINK
Lisa, Jennie et Rosé, trois des quatre chanteuses du groupe Blackpink - Capture d'écran YouTube - BLACKPINK

Ils sont jeunes, beaux, talentueux et depuis quelques années, ils provoquent la fin du monopole américain sur le marché de la musique pop. Ils se prénomment Hioryn, Jin, Jisoo ou YooA et remplissent des stades partout en Occident, où la plupart des gens ne comprennent pas les mots qu'ils chantent. Ils sont les produits d'un genre musical ultra-jeune, devenu en moins de trois décennies une machine de guerre qui brasse des milliards à l'international: ce sont les stars de la K-Pop, la pop venue de Corée du Sud.

Longtemps, la K-Pop est restée circonscrite à son pays d'origine, plébiscitée en dehors des frontières par des adolescents connectés, de manière souterraine. Mais le phénomène a pris une nouvelle ampleur ces dernières années et ses égéries envahissent des canaux plus traditionnels. L'an passé, les chanteuses de Blackpink se sont produites lors du festival Coachella, grand-messe californienne et rendez-vous annuel ds plus grands artistes américains. Les garçons de BTS, probablement le groupe de K-Pop le plus connu, ont été reçus par les talk-shows les plus regardés des États-Unis. Régulièrement, ces groupes apparaissent dans les classements Billboard, qui font autorité partout dans le monde.

Outre un phénomène culturel, la K-Pop est une véritable force économique pour le pays. En 2018, l'institut de recherches Hyundai estimait que BTS avait généré à eux-seuls 3,6 milliards de dollars de retombées sur l'année, comme le rapportait Libération.

  • La K-Pop, qu'est-ce que c'est?

La recette est souvent la même: des groupes rarement mixtes, composés de quatre à dix membres, enchaînent des refrains entraînants qui se scotchent aux tympans. Les textes sont en coréen mais toujours agrémentés de quelques mots en anglais pour accrocher l'oreille étrangère. Les clips sont de véritables feux d'artifices de couleurs, les chorégraphies sont dignes de celles des plus grands artistes hip-hop des États-Unis, et les looks sont ultra soignés. Tout est pensé pour appâter le jeune chaland en quête de modèles.

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Certains groupes, notamment BTS, promeuvent dans leurs textes et dans leurs interviews des messages dans l'air du temps, faits d'acceptation de soi et de poursuite de ses rêves. Là encore, les adolescents adhèrent.

  • La K-Pop, qu'est-ce que c'est?

  • Pourquoi ça cartonne

C'est vers le milieu des années 1990 que la K-Pop commence à exploser sur le marché coréen, puis asiatique. "À l'époque, ce sont les pops japonaises et hong-kongaises qui sont très populaires à travers le continent", nous explique Antoine Bondaz, directeur du programme Corée à la Fondation pour la recherche stratégique. Très vite, la K-Pop s'impose à son tour et dépasse de nouvelles frontières: "Contrairement à la J-Pop, elle s'est globalisée."

De premiers groupes accèdent à une renommée mondiale au cours des années 2000: 2NE1, Girls' Generation, 2PM ou Sistar. La deuxième vague arrive au milieu des années 2010 avec de nouvelles formations, encore plus populaires. "BTS reste, de loin, la meilleure réussite."

"Le succès de la K-Pop s'inscrit dans ce qu'on appelle la hallyu, la vague coréenne", ajoute Antoine Bondaz. "Il s'agit d'une exportation de plus en plus massive de la production culturelle, dont la K-Pop, mais aussi les séries, le cinéma ou la cuisine. De fait, on constate une montée en puissance de l'intérêt porté à la Corée à travers le monde." Mais pourquoi la pop coréenne a-t-elle réussi à s'exporter comme aucune de ses prédecesseures venues d'Asie?

"Il y a eu une vraie réflexion marketing, un vrai business qui s'est mis en place. On construits des groupes, majoritairement composés de Coréens. Parfois, un ou une membre est thaïlandais ou chinois, ce qui est utile sur le marché. Ils ont poussé la notion de girls bands et de boys bands comme on ne l'avait jamais fait en Europe. À cela s'ajoutent les réseaux sociaux, qui permettent de créer un phénomène de fans incroyable, qui s'organisent en vrais réseaux structurés."

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Ce succès phénomènal forme une brèche dans laquelle s'engouffre le gouvernement sud-coréen. Conscients de l'aubaine que peut représenter un tel rayonnement, les dirigeants surfent sur la vague:

"Pendant longtemps, la Corée du Sud a souffert d'une image dégradée à l'étranger. Il y a encore dix ans, on en parlait très peu; les gens ne faisaient pas la différence entre le Nord et le Sud. De grandes initiatives ont été mises en place pour améliorer l'image du pays. La K-Pop a été utilisée par le gouvernement comme l'un des vecteurs de sa diplomatie publique."

  • Pourquoi les polémiques se multiplient

Cinéma, musique, mode; tous les secteurs du divertissement sont régulièrement des industries. Mais aucun ne mérite aussi bien cette appellation que celui de la K-Pop. Les stars du milieu sont produites à un rythme effréné par des labels qui les soumettent à un entraînement quasi-militaire, dont seuls quelques-uns ressortiront célèbres.

La musique coréenne est dominée par de grandes sociétés, qui font à la fois office de maisons de disques, de managers, de coachs et de promoteurs. JYP Entertainment, YG Entertainment, Big Hit Entertainment... chacune a ses méthodes et ses poules aux disques d'or. Toutes suivent un même modèle: les aspirants artistes sont recrutés très jeunes sur audition. Ceux qui sont retenus deviennent des trainees (ou "apprenties"). Pendant plusieurs années, ils parfont leurs aptitudes en danse, en chant, en rap et en langues étrangères. On les prépare à partir en tournées, à répondre à des interviews, à se comporter correctement. Jusqu'à en faire des prodiges: ci-dessous, une répétition du girls band Blackpink, sur une chanson de Rihanna. Mouvements ultra-suggestifs, articulations en chewing-gum.

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Un tel niveau d'excellence a un prix, autour duquel les maisons de disque entretiennent le mystère. Selon de nombreux médias, les trainees - tout comme les idoles - s'entraînent des heures chaque jour (jusqu'à 15 pour les garçons de BTS, selon leurs propres déclarations). L'extrême minceur de certaines stars féminines questionne forcément sur les régimes draconiens auxquels elles sont soumises. La chaîne YouTube CNA a suivi l'entraînement d'une jeune trainee. On y voit des images de répétitions presque insoutenables, pleines de cris de douleurs, et des jeunes filles exploser de joie en découvrant qu'elle sont descendues sous la barre des 50 kilos. Les malaises vagaux en pleine prestation scénique arrivent parfois; des fans en font des compilations qu'ils publient sur le web.

Le remodelage des trainees passe aussi par le bistouri; la chirurgie esthétique constitue un tabou persistant, mais les photos avant-après prouvent à quel point la pratique est courante. En 2017, la youtubeuse Euodias a publié une vidéo dans laquelle elle raconte ses deux années en tant que trainee:

"Je n'ai pas fait de chirurgie esthétique, mais j'étais supposée [le faire]. Si j'avais renouvelé mon contrat avec eux, j'aurais dû le faire l'année suivante. La société (à laquelle j'étais rattachée) ne vous prévenait pas que vous alliez y aller. Ils vous y envoyaient, c'est tout."

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La rémunération des artistes pose aussi question. Way, l'une des chanteuses de l'ancien groupe de K-Pop Crayon Pop, assure dans une interview publiée par la chaîne YouTube Asian Boss avoir dû rembourser elle-même le prix de sa formation à sa maison de disque. Elle explique avoir été payée pour la première fois un an et demi après les débuts du groupe. Le YouTubeur français Tev, expatrié au Japon, explique dans une vidéo consacrée à la K-Pop que ces singularités salariales ne se retrouvent pas partout, et qu'elles varient d'une société à l'autre.

  • Pourquoi les polémiques se multiplient

  • Quelles pressions connaissent les célébrités?

Ces révélations sur les coulisses de cette industrie florissante participent du malaise grandissant parmi les médias et les fans. Notamment en raison d'une vague de morts, souvent par suicide, qui s'abat sur les idoles coréennes depuis deux ans. Goo-Hara du groupe Kara, Yohan de TST, Sulli, Kim Jong-Hyun de SHINee: tous sont morts avant 30 ans. Dans une lettre d'adieu, ce dernier s'est dit "cassé de l'intérieur": "La dépression qui me ronge doucement m'a finalement englouti tout entier."

Car la vie des jeunes artistes coréens ne devient pas plus facile après leurs années de trainees. Les stars vivent à un rythme extrêmement soutenu et doivent parfois renoncer à leur droit à une vie intime, tant la dévotion de certains fans peut être envahissante. En février dernier, des manifestations ont eu lieu en Corée du Sud pour demander que le chanteur Chen soit renvoyé du groupe EXO. Sa faute? Avoir annoncé ses fiançailles.

Le monde glamour et pailleté de la K-Pop cache un revers parfois sordide. Beaucoup se plaignent d'un cyberharcèlement persistant. Avant de mettre fin à ses jours, Goo-Hara avait été victime d'un chantage à la sex tape de la part d'un ancien amant. En novembre 2019, le chanteur Jung Joon-Young a été condamné à six ans de prison pour viol. Quelques mois plus tôt, c'était Seungri qui était visé par une enquête pour paris illicites, après avoir été soupçonné dans une affaire de proxénétisme.

"La K-Pop est une chance pour la visibilité du pays, c'est une opportunité économiques considérable", conclut Antoine Bondaz. "Mais il y a aussi un côté négatif: ce n'est pas représentatif de la diversité culturelle, écrasée par le poids des majors. Cela rend plus difficile pour les artistes atypiques d'avoir une part de marché. Enfin, pour les artistes de K-Pop, la pression est énorme. Les groupes sont construits, leurs membres sont formés. Cela pose une question; l'industrie musicale doit-elle repérer les artistes et les promouvoirs, ou bien les fabriquer?"

Article original publié sur BFMTV.com