"Notre combat est culturel": BFMTV infiltré dans les groupes d'ultradroite

Cette nuit-là à Paris, une vingtaine de jeunes parcourent les rues les bras chargés de nourriture et de produits d'hygiène. C'est une maraude comme il en existe des dizaines chaque jour dans la capitale. À la seule différence que celle-ci est organisée par le mouvement Luminis, un groupuscule d’ultradroite fondé en 2020 et surveillé de près par les services de renseignement.

Pour le nouveau numéro de Ligne rouge consacré à l'ultradroite française, une équipe de BFMTV s'est infiltrée au sein de groupuscules dont la plupart des membres sont jeunes, issus des beaux quartiers de Paris ou Versailles. Sous couvert de solidarité, la maraude est pour eux un moyen de mettre en application leur idéologie raciste.

"On ne donne qu'aux blancs"

Chaque semaine, ils se retrouvent pour venir en aide aux SDF, mais pas n'importe lesquels. Pour exclure les bénéficiaires de confession musulmane, ils distribuent uniquement des plats à base de porc.

Filmé en caméra cachée, le petit groupe croise une femme à la rue mais ne s'arrête pas. "Non, c'est une gitane. Je préfère donner à tous mais sauf aux gitans. C'est les pires", explique un participant.

"On ne donne qu'aux blancs", affirme sans détour Alix, une étudiante membre de Luminis. "Les noirs évidemment et les arabes, on ne leur donne pas. On ne va pas s'agenouiller pour leur donner un sandwich", lance-t-elle.

Auprès de notre journaliste infiltré, la militante déroule son idéologie. "J'avoue sans me cacher qu'il y a beaucoup de choses que j'admire dans le nazisme", confie l'étudiante, en citant 'la promotion de l"homme viril' ou encore la "pureté de la race".

Lyon, capitale de l'ultradroite

Des militants d'ultradroite comme Alix, il en existe plus de 3.000 en France. Parmi eux, 1.300 sont fichés S. Loin de se cacher, ils participent régulièrement à des marches identitaires, comme ce samedi 11 mai à Paris. Aux yeux des services de renseignements, ils représentent la deuxième menace terroriste en France après l'islamisme.

Le centre névralgique de cette mouvance se trouve à Lyon. C'est dans la capitale des Gaules que sévissent Les Remparts, un groupuscule héritier de Génération identitaire et dont la procédure de dissolution a été engagée par le ministère de l'Intérieur.

Profitant d'une annonce de recrutement sur les réseaux sociaux, notre journaliste s'est infiltré dans ce groupe mise en cause dans plusieurs actions violentes. Après avoir fourni sa carte d'identité, il est accueilli avec 15 autres recrues à La Traboule, QG du groupuscule.

Dans cette "maison de l’identité lyonnaise", plusieurs cadres des Remparts se succèdent pour présenter leur action et distiller de premiers conseils aux futurs adhérents. "Notre combat est culturel. Au lieu d’aller dans un kebab, vous pouvez aller dans un bouchon lyonnais ou prendre un jambon beurre. Il faut vivre selon nos traditions", expose-t-il.

Les responsables recommandent aussi certaines lectures, comme les ouvrages de Dominique Venner. Figure de l'extrême droite moderne, cet idéologue s'était donné la mort à l'intérieur de la cathédrale Notre-Dame de Paris en 2013 après avoir dénoncé dans une lettre le "grand remplacement".

"Disparition génétique"

Les recrues, souvent de jeunes travailleurs issus des milieux populaires, livrent les raisons de leur venue à la Traboule. "Je suis arrivé à Lyon et là où je travaille, je suis le seul blanc. J'ai commencé à me dire qu'il y avait un réel problème", confie l'un deux. Un cadre des Remparts l'encourage à parler: "plus t'assumes (tes propos), plus les gens trouvent ça normal".

Notre journaliste passe avec succès la première étape du recrutement. Dès le lendemain, il est intégré à une messagerie Telegram réservé aux nouveaux inscrits. Prochain rendez-vous: une formation sur le thème de l'assimilation.

C'est au cours de cette réunion que la parole la plus raciste va se libérer, captée par notre équipe à l'aide d'un enregistreur discret. "On va essayer de comprendre pourquoi être identitaire et être pour l’assimilation n’est pas compatible", commence un formateur.

"En métissant, on supprime quelqu'un qui appartient à notre peuple, à terme cela entraîne aussi une disparition génétique", explique-t-il. "Ben il est sali par… non mais clairement, il a été sali par une autre identité", acquiesce un participant.

"Crépol, la revanche"

Les déclarations racistes s'enchaînent, épousant des thèses racialistes et eugénistes qui rappellent l'idéologie nazie. Selon eux, une personne noire ou arabe ne peut pas rejoindre leur mouvement, même si elle était d'accord avec leurs idées. "Un cochon qui va dans une écurie ça fait pas un cheval, ça reste un cochon", lâche, hilare, un formateur. De très nombreux propos tenus dans cette formation sont des incitations à la haine raciale, punies par loi.

Les Remparts n'en restent pas au terrain des idées, et finissent par joindre la parole aux actes. En février dernier, Sinisha Milinov, ancien porte-parole du groupe âgé de 22 ans est condamné à de la prison ferme avec un autre jeune homme pour une agression à caractère raciste en sortie de boîte de nuit à Lyon. Après les faits, Sinisha Milinov s'était vanté d'avoir poignardé des "bougnes" dans une conversation Telegram. "Bien joué", "Crépol, la revanche", le félicitaient d'autres militants d'ultradroite.

Certains membres des Remparts ont uni leurs forces avec Lyon populaire, un autre mouvement néofasciste qui inquiète particulièrement les autorités. Exceptionnellement, un petit groupe de militants a accepté la présence des caméras de BFMTV lors d'un collage.

Ce soir-là, ils veulent afficher leur soutien aux paysans en pleine crise agricole. "Pas de pays sans paysan soutien aux agriculteurs", peut-on lire sur une affiche qui arbore aussi la roue solaire, symbole néo païen et signature habituelle de l’ultra droite. La photo est immédiatement publiée sur leurs réseaux sociaux. Le but: montrer un visage solidaire et bienveillant. Mais quelques kilomètres plus loin, ils affichent des slogans plus radicaux: "la France aux français" ou encore "Maîtres chez nous".

Le leader, Elliot Bertin, n’est pas un simple militant. À 26 ans, ce technicien dans l'industrie, fils de militant CGT, est considéré comme le patron de l’ultra droite à Lyon. Avant de fonder Lyon populaire, il était membre du Bastion social, groupe fondé par d'anciens membres du GUD et dissous en 2019.

Sur les réseaux sociaux, Elliott Bertin affiche son goût des armes et se photographie avec une Totenkopf (tête de mort en allemand), l'insigne d’une division SS qui opérait notamment dans les camps de concentration nazis.

Surveillé par les services de renseignement, il se dit prêt à aller très loin pour servir sa cause. "On pense que les enjeux sont plus importants que nos existences. Et de facto, effectivement, on est prêt à sacrifier beaucoup", explique-t-il face à notre caméra.

Quatre mois après notre tournage, il est arrêté et placé en détention provisoire pour une attaque contre un local associatif où se tenait une conférence sur Gaza.

Article original publié sur BFMTV.com