Collégiennes empoisonnées en Iran, l’enquête n’avance pas

Depuis fin novembre 2022, plusieurs centaines de cas d’intoxication au gaz ont été signalés dans plus de 52 établissements iraniens, selon le décompte officiel. (Photo d’illustration d’une petite fille iranienne en Iran)
Depuis fin novembre 2022, plusieurs centaines de cas d’intoxication au gaz ont été signalés dans plus de 52 établissements iraniens, selon le décompte officiel. (Photo d’illustration d’une petite fille iranienne en Iran)

IRAN - Jour après jour, le phénomène se répète dans les écoles iraniennes : des jeunes filles disent sentir une odeur « désagréable », puis sont soudainement prises de vertiges ou se mettent à vomir. Depuis fin novembre, plusieurs centaines de cas d’intoxication au gaz ont été signalés dans au moins 52 établissements, selon le décompte officiel de Téhéran.

Et l’affaire des écolières intoxiquée continue ce dimanche 5 mars, alors que de nouveaux « empoisonnements » ont été rapportés dans l’ouest du pays, dans deux lycées de filles des villes d’Abhar et d’Ahvaz, mais aussi dans une école primaire de Zanjan, selon l’agence de presse Isna, financée en partie par le régime.

Une enquête a été ouverte le 26 février par le gouvernement dans le but de mettre la main sur les commanditaires de ces actes et faire un jour sur l’affaire. Pourtant, depuis, le régime n’a procédé à aucune arrestation. Le HuffPost remonte le fil de cette histoire depuis le début de cette vague d’empoisonnements.

  • Depuis quand, où, et comment se déroulent ces empoisonnements ?

Le premier cas connu a été signalé dans une école de la ville de Qom, où 18 écolières âgées d’environ dix ans sont tombées malades et ont été emmenées à l’hôpital le 30 novembre, comme le rapportait la BBC. Depuis, une cinquantaine d’établissements scolaires ont été touchés.

La chaîne britannique a analysé des dizaines de vidéos publiées sur les réseaux sociaux et a pu constater que le procédé d’intoxication était quasiment identique à chaque fois. Les jeunes filles empoisonnées déclarent avoir senti une odeur de mandarine ou de poisson pourri avant de tomber malades.

Une élève d’une école de Shahryar, près de Téhéran, a déclaré à nos confrères britanniques qu’elle et ses camarades de classe avaient senti « quelque chose de très étrange ». C’était « si désagréable, comme des fruits pourris, mais beaucoup plus âcres ». Heureusement, la jeune fille s’est rétablie en quelques heures. Ces trois derniers mois, certaines collégiennes et lycéennes ont parfois été hospitalisées pendant quelques heures, mais aucune n’a été gravement affectée.

  • Pourquoi s’attaquer à des jeunes filles ?

Des experts de l’Iran pensent que les élèves sont délibérément empoisonnés dans le but d’obtenir la fermeture des écoles de filles, ou pour punir les écolières qui auraient pris part aux récentes manifestations antigouvernementales qui secouent le pays depuis le décès de Masha Amini.

Une hypothèse totalement plausible selon la politologue et sociologue spécialiste de l’Iran, Mahnaz Shirali : « Les femmes, y compris les plus jeunes, sont à l’avant-garde dans les manifestations depuis des mois. Cette vague d’empoisonnements ne peut être qu’une vengeance envers elles », a-t-elle avancé dans une interview à l’hebdomadaire Marianne, ajoutant que la République islamique punit ainsi des « jeunes filles trop courageuses ».

Autre motivation probable : la remise en cause de la scolarisation des filles après l’âge de 12 ans. Comme le rappellent nos confrères de Mediapart, il y a une dizaine d’années en Afghanistan, alors que les Talibans s’opposaient à l’éducation des jeunes filles, « des écoles de jeunes Afghanes avaient fait l’objet de pareilles agressions au gaz ».

  • Qui sont les coupables ?

Une enquête a été ouverte par le régime iranien fin février, mais aucun suspect n’a encore été arrêté. Pour l’heure, le gouvernement multiplie les accusations et évoque un « complot des ennemis », sans jamais les nommer.

Le président Ebrahim Raïssi a demandé vendredi aux ministères de l’Intérieur et du Renseignement de « faire échouer » ce complot qui « veut semer la peur, l’insécurité et le désespoir ». Le vice-ministre de l’Intérieur Majid Mirahmadi a lui accusé les « auteurs de l’empoisonnement des filles » de vouloir « fermer les écoles », mais aussi de « faire porter le blâme sur le système » afin de « raviver la flamme éteinte des émeutes ».

D’après la sociologue Mahnaz Shirali, le coupable est le régime lui-même : « il n’y a aucune volonté de la part des dirigeants de la République islamique de découvrir qui est responsable puisque ce sont sûrement eux ». Dans une interview, pour 20 minutes cette fois, la chercheuse estime que si « des écoles sont visées à répétition, nous pouvons comprendre que c’est un crime d’État qui ne porte pas son nom ».

La sociologue franco-iranienne Azadeh Khan, pense également que cette série d’empoisonnements porte l’empreinte du régime. « On peut distinguer derrière elle des’ groupes de vigilants’ qui existent depuis longtemps en Iran et travaillent de façon très proche du régime. Cela rappelle ce qui s’est passé à Ispahan, à l’automne 2014, où des femmes qui ne portaient pas le voile de façon stricte avaient été aspergées d’acide, certaines défigurées » analyse-t-elle auprès de Mediapart, précisant qu’à cette époque, il n’y avait jamais eu la moindre arrestation.

Face à l’inaction des autorités iraniennes, le Haut-Commissariat aux droits de l’Homme des Nations unies a réclamé au plus vite « une enquête transparente » et des conclusions publiques. « Nous sommes très préoccupés par ces allégations selon lesquelles des filles sont délibérément ciblées dans ce qui semble être des circonstances mystérieuses », a déclaré la porte-parole du Haut-Commissaire Ravina Shamdasani. Reste à savoir si cette interpellation suffira à faire bouger la situation en Iran.

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