Colère des agriculteurs: carburants, rémunération... Ce que le gouvernement peut faire ou non

Gabriel Attal va annoncer ce vendredi 26 janvier plusieurs mesures pour tenter de sortir de la crise agricole qui agite une partie de la France depuis plusieurs jours. Si des revendications du monde agricole peuvent être reprises par le gouvernement, un certain nombre d'entre elles dépendent directement de la commission européenne.

• Assouplir le dispositif sur la taxation du carburant

L'une des principales revendications des agriculteurs touche à la fiscalité sur le carburant. Ils dénoncent la hausse progressive des taxes sur le gazole non routier (GNR) qu'ils utilisent notamment pour faire rouler leurs tracteurs. Il est taxé à hauteur de 24,81 centimes le litre depuis le début de l'année.

Les agriculteurs peuvent cependant se faire rembourser sur factures par l'État jusqu'à 18,1 centimes et paient donc dans les faits 6,71 centimes de taxe par litre d'essence pour leurs machines. Si la réduction reste très importante, elle va diminuer progressivement d'année en année. Elle a diminué de presque 3 centimes par rapport à 2023.

La mesure décidée par Bercy vise à encourager le secteur agricole à aller sur le terrain de la transition écologique. C'est premier secteur d'émission de gaz à effet de serre sur tout le continent européen. Elle a également pour but de faire faire des économies aux finances publiques. Cet avantage fiscal a coûté pas moins d'1,7 milliard d'euros aux finances publiques en 2023.

Mais la FNSEA a fait rapidement savoir son mécontentement dès juin, bien avant les manifestations d'agriculteurs. Résultat: le gouvernement a lâché du lest à l'été. La hausse progressive des taxes va s'étaler jusqu'en 2030 et les agriculteurs gardent toujours la possibilité de se faire rembourser une partie de leurs factures à la pompe sur présentation des justificatifs.

Mais près d'un tiers des agriculteurs, déjà soumis à de nombreuses demandes administratives, n'envoient pas ces documents pour remboursement. Le gouvernement pourrait désormais permettre une remise directement sur le coût du GNR, sans envoi de papiers supplémentaires. Ce serait alors les pétroliers qui assumeraient cette baisse avant de se faire rembourser par le gouvernement.

La FNSEA espère également la mise en place immédiate d'un crédit d'impôt qui correspond aux 3 centimes supplémentaires versés par litre. Avec cependant une certaine incidence sur les finances publiques qui pourrait faire grincer des dents à Bercy.

Améliorer la rémunération des agriculteurs

Les agriculteurs qui multiplient les blocages demandent aussi une meilleure rémunération. Un agriculteur gagne en moyenne 1.475 euros brut par mois, soit près de 300 euros de moins que le smic. Ce chiffre recouvre cependant des moyennes très variés. Les éleveurs de moutons et de chèvres gagnent par exemple 680 euros brut en moyenne par mois contre 3.317 euros brut par mois pour un céréalier.

Pour garantir un meilleur revenu aux agriculteurs, le gouvernement a fait voter en 2018 la loi Egalim. Ce texte visait à garantir une meilleure rémunération des agriculteurs en mettant fin à la guerre des prix dans l'alimentaire entre les supermarchés.

Jusqu'alors, c'était la grande distribution qui imposait ses prix d'achat aux agriculteurs, souvent à des niveaux faibles. Désormais, ce sont les agriculteurs, regroupés en organisations de producteurs pour mieux peser face aux industriels, qui proposent un prix de vente en tenant compte de leurs coûts de production.

Un an plus tard, la loi est très mal respectée et n'a pas vraiment changé la donne, à l'exception du secteur laitier. Egalim est donc renforcé. En mars dernier, faute de nette amélioration de la situation des agriculteurs, une nouvelle loi portée par le député Frédéric Descrozaille renforce leur poids dans les négociations.

Ces règles sont cependant mal respectées. Les exploitants se plaignent ainsi que la grande distribution continue d'acheter leurs produits en dessous de ce qu'ils leur coûtent à produire.

Pour sortir de la crise, Bruno Le Maire a déjà annoncé le doublement des contrôles dans la grande distribution en 2024. La FNSEA réclame d'aller "beaucoup plus loin dans la vérification" et espère un contrôle systématique de toutes les grandes enseignes dans les prochaines mois.

Le gouvernement pourrait donner son accord. Mais il va devoir rapidement montrer que ces vérifications qui dépendent de Bercy permettent une augmentation de la rémunération des producteurs, sans faire flamber le prix pour les consommateurs, déjà durement touchés par l'inflation.

• Accélérer le versement des aides pour les inondations et les maladies

Directement confrontés à l'accélération du réchauffement climatique, les agriculteurs ont été sévèrement touchés ces derniers mois par les inondations comme par la séchéresse. Des éleveurs ont également vu leurs troupeaux décimer par la grippe aviaire ou sévèrement atteints par la maladie hémorragique épizootique (MHE) qui visent les bovins.

Alors que le versement des aides peut parfois prendre plusiefurs années, Gabriel Attal a promis des mesures "à très court terme". Pour l'instant, les agriculteurs sont rarement remboursés à 100% de leur perte. En moyenne, ils sont indemnisés de 25 à 35% du montant des pertes. Pour être indemnisé, il faut également que leur perte soit supérieure à 30% de leur production moyenne. L'exécutif pourrait répondre positivement à leurs demandes, avec une incidence importante pour les finances publiques.

La fin de l'obligation de mettre en jachère 4% des terres

Les agriculteurs reprochent au gouvernement la multiplication des normes qui "les étouffent". Dans leur viseur, on trouve notamment l'obligation de conserver 4% des surfaces agricoles en jachère, rentrée en vigueur depuis le 1er janvier dans le cadre de la politique agricole commune.

D'après des chiffres de l'Union européenne, plus de 80% des terres agricoles du continent sont dans un état de conservation mauvais ou médiocre et abritent une très faible diversité. L'idée est donc d'imposer aux cultivateurs de faire une pause sur une partie de leur exploitation agricole pour permettre une meilleure biodiversité, l'un des axes de la stratégie européenne pour le climat. Mais pour les agriculteurs, cela représente également une perte de production.

Si la mesure existait déjà, elle avait été suspendue en 2022 pour répondre à l'objectif de souveraineté alimentaire après le début de la guerre en Ukraine et la flambée du prix des denrées. Déjà alerté par des agriculteurs, Marc Fesneau avait plaidé devant la commission européenne pour que cette dérogation soit prolongée en 2024, sans succès.

Les institutions européennes peuvent-elles vraiment revenir sur cette décision, à quelques mois des élections européennes et alors que la commission va bientôt entrée en pause? La question est ouverte.

La sortie des accords de libre-échange et la fin des importations de produits ukrainiens

Les agriculteurs français se plaignent, tout comme leurs homologues allemands, hongrois ou polonais, de l'importation des produits ukrainiens depuis l'invasion du pays par la Russie en février 2022.

L'ouverture des frontières pour ces produits agricoles a provoqué l'afflux massif de sucre, de volailles, d'œufs et de céréales. Résultat: le prix de la volaille a fortement baissé pour les producteurs européens tandis que le prix du blé est sous pression des volumes ukrainiens sur les marchés mondiaux.

Les traités de libre-échanges sont également dans leur viseur. Les eurodéputés ont ainsi voté largement en faveur d'un accord avec la Nouvelle-Zélande qui va rentrer en cours dans les prochains mois. Très concrètement, cela signifie que le miel, les pommes ou encore la viande produits par les agriculteurs néo-zélandais pourraient être importés dans les prochaines années sans aucun droit de douane en France.

La commission européenne peut-elle vraiment revenir sur ces dispositifs? La prolongation des accords agricoles entre l'Union européenne et l'Ukraine est en cours. Pour l'instant, Bruxelles s'y est toujours dite très favorable mais pourrait se prononcer sur des clauses de sauvegarde dans certains secteurs. Quant aux accords de libre-échange, il est juridiquement très compliqué d'en sortir une fois qu'ils sont signés.

Article original publié sur BFMTV.com