CNews, source de tensions dans certaines familles : « Je n’aurais jamais pensé entendre ça de sa bouche »

L’apparition des thèmes chers à CNews dans les repas de famille peut générer de nombreuses tensions.
skynesher / Getty Images L’apparition des thèmes chers à CNews dans les repas de famille peut générer de nombreuses tensions.

FAMILLE - Pendant 40 ans, le grand-père de Théo était de gauche. Mais ça, c’était avant qu’il ne se mette à regarder CNews plusieurs heures par jour. « Depuis quelques années, il a progressivement abandonné ses idéaux et développé une haine de l’Islam alors qu’il n’avait aucun problème avec cette religion », regrette le petit-fils, qui redoute désormais d’aborder certains sujets avec son aïeul.

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Propriété du milliardaire Vincent Bolloré, CNews se place en tête des chaînes d’information au mois de mars, à égalité avec sa concurrente BFMTV. La chaîne est pourtant régulièrement sanctionnée par l’Arcom en raison de dérapages et de manquements à ses obligations. Dernière sanction en date ? Une mise en garde émise par l’autorité pour des propos de Pascal Praud établissant un lien entre immigration, hygiène et punaises de lit.

Autre point de friction autour de la chaîne : le manque de pluralisme de ses plateaux. Jusqu’à pousser le Conseil d’État à préciser que l’obligation de l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinions ne s’applique pas seulement aux personnalités politiques mais à tous les participants des programmes télé.

Car CNews véhicule « un discours traditionnel et conservateur », explique Benjamin Tainturier, doctorant au médialab de Science Po et spécialiste de l’extrême droite dans les médias. « La chaîne valorise le statu quo des identités et met en avant que l’effort de compréhension des mécanismes de domination est une régression des libertés, et non un progrès », analyse-t-il.

« On a haussé le ton »

Un positionnement politique clivant, jusqu’au sein des familles, où l’apparition des thèmes chers à la chaîne du groupe Bolloré dans les conversations peut générer de nombreuses tensions, comme en témoignent ces personnes auprès du HuffPost.

Lors de moments forts de l’actualité couverts par CNews, des conflits ont ainsi pu survenir dans la famille de Théo, qui se souvient particulièrement des émeutes après la mort de Nahel. « Mon grand-père disait qu’on n’était plus chez nous, que les cités étaient des zones de danger et de guerre civile. Ce sont des phrases que jamais je n’aurais pensé entendre de sa bouche », se souvient-il.

« On a haussé le ton, en lui faisant comprendre que ce n’est pas possible de dire ça. » Ce qui n’a pas empêché son grand-père de continuer à regarder la chaîne. Lors de la constitutionnalisation de l’IVG, l’aïeul a cette fois avancé que le « grand remplacement » adviendrait « si les femmes françaises ne faisaient pas d’enfant ». Un argument qui fait écho aux propos tenus par Phillipe de Villiers sur la chaîne.

Théo n’est pas le seul à être confronté à ces frictions. Le père de Lorine, une Parisienne de 24 ans, s’informe uniquement sur CNews : « À chaque fois que je lui demande d’où il tient son argument, ça ne rate jamais : c’est CNews. C’est arrivé que le ton monte très fort. Mais les discussions se terminent car on sait qu’on ne sera pas d’accord. »

Le langage de CNEWS

Si leurs désaccords n’ont pas débouché sur de profondes disputes, ce n’est pas le cas chez Solène. La mère et l’oncle de la trentenaire ont cessé de se parler pendant six mois. La raison ? Le second avait refusé de couper CNews pendant un discours d’Eric Zemmour à la demande de sa sœur. « Mon oncle vit chez mes grands-parents et regarde cette chaîne toute la journée. C’est pour ça qu’on ne parle plus du tout de politique et qu’on ne se réunit presque plus », déplore-t-elle.

Ils sont plusieurs à relever, dans la rhétorique des membres de leur famille, certains éléments de langage qu’ils attribuent à Cnews. Théo observe dans la bouche de son grand-père des mots « chers à l’extrême droite », comme « islamisation », « invasion », « chaos social » ou encore le fameux « grand remplacement » (cette théorie propagée par l’extrême droite imagine un processus de substitution des Français « de souche » par des immigrés extra-européens). « Ce sont les éléments de langage présents dans les bandeaux de CNews et dans la bouche des chroniqueurs », estime Théo.

Ce type de formules, Sophie* les entend aussi dans le discours de son père et son frère, tous deux adeptes de la chaîne. « Ils reprennent des phrases comme “il ne faut pas se le cacher, ce sont toujours les mêmes qui vandalisent” », raconte celle qui estime que « CNews fait appel à un langage très simple et populiste et à des sentiments primaires, ce qui pousse les gens à être plus radicaux dans leurs propos ».

Varier les médias ?

Comment réagir dans cette situation ? Tous ont tenté d’inviter les membres de leur famille à varier les sources d’information (à défaut d’arrêter de consulter CNews complètement). Sans succès. « Il y a un thème récurrent dans les milieux de droite, remarque Sophie, issue d’une famille catholique et assez conservatrice. On pense que tous les médias appartiennent à la gauche. Et que la parole est donc muselée. Pour la “libérer”, il n’y a pas d’autres choix que de se tourner vers CNews. »

La chaîne elle-même n’encourage pas à varier ses sources, puisqu’elle « critique des institutions fondamentales pour la démocratie, comme l’université, les autres médias ou les institutions culturelles », selon Benjamin Tainturier.

Malgré les tensions avec son père, Lorine tente de voir le bon côté des choses et estime que ces divergences d’opinions nourrissent les débats. « Ça nous arrive d’en plaisanter », confie celle qui garde espoir de lui faire changer d’avis.

Tous n’ont pas son flegme. Pour Théo, « un tel changement » de la part de son grand-père, qu’il estime beaucoup, et qu’il considère « intelligent et critique », le rend très triste. « C’est la personne qui m’a transmis le goût de la politique. Maintenant, je dois me fixer des limites sur certains sujets car il sera trop bloqué », regrette-t-il.

*Les prénoms ont été modifiés

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