Le cliché de la « vieille fille à chats » en dit long sur notre image des femmes célibataires

 « Derrière la figure fameuse de la “célibataire à chat”, [...] on distingue l’ombre de la redoutable sorcière d’autrefois », écrit Mona Chollet.
« Derrière la figure fameuse de la “célibataire à chat”, [...] on distingue l’ombre de la redoutable sorcière d’autrefois », écrit Mona Chollet.

SEXISME - Il suffit de trois mots pour convoquer son image. La « fille à chats », c’est Eleanor Abernathy, la vieille folle des Simpson qui vit avec une horde de félins qu’elle balance sur quiconque ose s’approcher de chez elle. C’est Liz Lemon, dans la série 30 Rock, qui, après avoir renoncé une bonne fois pour toutes à l’amour, débarque au bureau habillée en survet’ accompagnée de son nouveau chat, Emily Dickinson.

Dans l’imaginaire collectif, « la fille à chats, c’est la fille qui a renoncé à l’amour et à la cohabitation avec d’autres êtres – et surtout avec un homme, évidemment. C’est une figure d’échec », décrit Nadia Daam, autrice de Comment ne pas devenir une fille à chats ? (éd. Mazarine). « Le chat, c’est un adjuvant de la loose. Il y a la femme qui vit seule, et puis celle qui vit seule avec un chat. »

Bien sûr, la « fille à chats » n’a pas son pendant masculin. Car la dérision qui entoure cette figure de « vieille fille » est surtout l’incarnation de tous les clichés que l’on associe aux femmes célibataires. Et ce, depuis déjà plusieurs siècles.

De la sorcière à la vieille fille

Comme le rappelle Mona Chollet dans son essai Sorcières (éd. Zones), « derrière la figure fameuse de la “célibataire à chat”, laissée-pour-compte censée être un objet de pitié et de dérision, on distingue l’ombre de la redoutable sorcière d’autrefois, flanquée de son “familier” diabolique. »

Déclaré comme « serviteur du Diable » dans une bulle du pape Grégoire IX en 1233, le chat a en effet très vite été associé à la figure de la sorcière par l’Église. « En 1484, Innocent VIII ordonna que tous les chats vus en compagnie d’une femme soient considérés comme des familiers ; les “sorcières” devaient être brûlées avec leurs animaux, rappelle Mona Chollet. L’extermination des chats contribua à augmenter la population de rats, et donc à aggraver les épidémies de peste – pour lesquelles on blâmait les sorcières. » À la fin du XVe siècle, le Malleus Maleficarum – traité écrit par des moines dominicains et texte de référence dans la chasse aux sorcières –, relate par ailleurs l’histoire de trois femmes s’étant transformées en chats.

Cette association entre chats et sorcières s’est muée au fil des siècles en un cliché toujours présent aujourd’hui : celui de la vieille célibataire un peu folle qui vit seule avec ses compagnons à quatre pattes. Une gravure anglaise de 1789 intitulée « Vieilles filles à l’enterrement d’un chat » montre un groupe de femmes âgées, mal fagotées, à la mine renfrognée, chacune avec un chat dans les bras, accompagnant la dépouille d’un félin vers sa dernière demeure. Un cliché qui se poursuit à l’époque victorienne. Une édition de 1880 du quotidien écossais le Dundee Courier disserte ainsi : « Les vieilles filles et les chats sont depuis longtemps fameusement associées. Et, à tort ou à raison, ces créatures sont considérées avec un certain degré de suspicion et d’aversion par une grande partie de l’espèce humaine. » Les créatures en question sont-elles les chats ou les « vieilles filles » ? Sans doute les deux.

Une indépendance menaçante

Car la vieille fille à chats est à la fois un objet d’apitoiement, de condescendance et de suspicion. À ce sujet, Mona Chollet écrit que « la pitié réservée aux femmes célibataires pourrait bien dissimuler une tentative de conjurer la menace qu’elles représentent ». Et cette menace s’incarne aussi dans la figure du chat.

« Pourquoi avoir choisi cet animal pour symboliser l’abdication de ces femmes alors que le chat […] est par excellence l’animal que l’on ne domestique jamais tout à fait ? », s’interroge l’autrice Marie Kock, dans son essai Vieille Fille (éd. La Découverte). « L’indépendance du chat primera toujours sur l’affection qu’il peut recevoir. Il fait exactement ce qui lui plaît sans se soucier de l’avis de ses maîtres. Et peut-être que c’est exactement ça que l’on reproche à la femme à chats. De privilégier son indépendance à l’espoir d’affection, de ne pas se soucier de l’avis de ses “maîtres”. » 

La femme-chat menaçante par excellence est bien entendu Catwoman, ancienne vieille fille transformée en femme fatale après avoir absorbé le pouvoir de ses compagnons félins. Bob Kane, co-créateur de Batman, expliquait d’ailleurs avoir conçu ce personnage parce que les femmes sont « des créatures félines, tandis que les hommes sont plus semblables à des chiens. Les chiens sont amicaux et loyaux, les chats sont froids, détachés, peu fiables… Les chats sont aussi difficiles à comprendre que les femmes. Il faut toujours tenir les femmes à distance. On ne veut pas qu’elles s’emparent de nos âmes, comme elles ont tendance à le faire. »

Le célibat toujours perçu comme un échec

Ces dernières années, les tentatives de réhabilitation de la « fille à chats » se sont multipliées. La « cat lady » autoproclamée la plus connue est Taylor Swift (heureuse maman de trois chats), une femme « talentueuse, accomplie et multimillionnaire », s’enthousiasme cet article du Sydney Morning Herald. Tandis qu’un article publié en 2014 dans le New York Times brosse le portrait d’un nouveau type de propriétaire de félins : « cette nouvelle espèce est jeune, sociable et ambitieuse ». Surtout, « cette nouvelle espèce » est souvent mariée ou en couple !

Une rhétorique qui vise surtout à dissocier l’image de la propriétaire de chats de celle de la vieille célibataire endurcie. « C’est pour dire “non, non mais en fait c’est bon, elles baisent”, analyse Nadia Daam. On a ce réflexe-là à chaque fois qu’on veut réhabiliter une figure féminine de dire “non mais c’est bon tout va bien, elle a une sexualité et elle est jeune, elle est belle, elle ne sent pas la vieille litière”. »

Il s’agirait plutôt de savoir pourquoi une femme célibataire de plus de 35 ans représente toujours un tel échec aux yeux de la société. Et pourquoi les femmes qui vivent seules après un certain âge risquent de voir chacune de leur habitude, même la plus réconfortante ou épanouissante, tournée en dérision.

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