Droits de l'Homme menacés : à quoi joue la Chine ?
Selon le dernier rapport de Human Rights Watch, la Chine mène une “offensive mondiale contre les droits humains”. Ouïghours, société civile… les cibles sont nombreuses et la réaction de la communauté internationale, elle, est bien faible.
À l’occasion du lancement du Rapport mondial 2020 de Human Rights Watch, présenté le 14 janvier au siège de l’ONU, le directeur exécutif de l’ONG a dénoncé “l’offensive mondiale contre les droits humains” menée par la Chine.
L’empire du Milieu n’est pas le seul pays critiqué dans les 652 pages que constitue cette trentième édition, mais la politique de Xi Jinping y est fortement pointée du doigt. D’ailleurs, c’est initialement à Hong Kong que devait avoir lieu la prise de parole de Kenneth Roth, mais le directeur exécutif de Human Rights Watch s’est vu refoulé du territoire quelques jours plus tôt. Un ordre tout droit venu de Pékin, comme nous le précise Jean-Philippe Béja, directeur de recherche émérite au CNRS et au Ceri Sciences Po (Centre de recherches internationales). “C’est sans précédent”, ajoute-t-il.
China #Rights2020: "No other government flexes its political muscles with such vigor and determination to undermine the international human rights standards and institutions that could hold it to account." ~ @KenRoth https://t.co/yPjRkE9F6h pic.twitter.com/FnNudLlF1V
— Human Rights Watch (@hrw) January 16, 2020
L’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, un déclencheur
“La situation se dégrade depuis que Xi Jinping est au pouvoir”, nous précise Lun Zhang, professeur d’études de civilisation chinoise à l’université de Cergy-Pontoise, et auteur de “TienAnMen 1989 : Nos espoirs brisés”. “Il y a eu un changement d’orientation”, poursuit celui qui est aussi professeur associé au collège d’études mondiales. “Surtout depuis son deuxième mandat, même si les offensives contre la société civile ont commencé dès 2013”, complète de son côté Jean-Philippe Béja.
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Les mots du directeur exécutif de Human Rights Watch sont forts : selon ses observations, “le gouvernement du président Xi Jinping est actuellement engagé dans l’oppression la plus brutale et généralisée qu’ait connue la Chine depuis des décennies”. Et les victimes du régime chinois sont multiples. “Il y a les Ouïghours bien sûr, mais pas seulement : les représentants religieux, les intellectuels, les avocats sont aussi victimes d’arrestation. Les militants qui défendent les droits des ouvriers ou des couches les plus défavorisées également”, énumère Lun Zhang. En bref, “tout ceux qui menacent les intérêts des puissants”, résume-t-il.
Le silence de la communauté internationale
La répression est telle qu’elle ne concerne plus seulement le territoire chinois. “Il y a longtemps que Pékin réduit au silence ses détracteurs sur son territoire. Mais maintenant, le gouvernement chinois essaie d’étendre cette censure au reste du monde”, regrette Kenneth Roth dans son rapport annuel. Et il faut bien avouer que les réactions internationales ne font pas grand bruit.
“Ça fait quelque temps que la communauté internationale se tait sur les droits de l’Homme”, constate Jean-Philippe Béja. Dans cette situation précise, le gouvernement chinois a quelques arguments pour convaincre. “D’un point de vue économique, il y a une vraie demande pour les investisseurs chinois ainsi qu’une volonté de garder une part du marché du pays”, décrit le directeur de recherche émérite au CNRS. D’un point de vue géopolitique, les autres pays “ont besoin de la Chine sur la scène internationale pour différents sujets : l’environnement, les conflits régionaux comme ce qui se déroule actuellement en Iran…”, décrit Lun Zhang. Le pays est “omniprésent et influent”. Difficile donc de se passer de son appui.
Les Autorités françaises et chinoises ont décidé d’organiser en 2021 « L’année Franco-chinoise du tourisme culturel ». Initiatives, projets, événements sont les bienvenus.
@francediplo @AmbassadeChine @EmmanuelMacron @JY_LeDrian @franckriester pic.twitter.com/oZQiKIn7ew— Jean-Pierre Raffarin (@jpraffarin) January 17, 2020
Pression et propagande
Le gouvernement de Xi Jinping use de bien d’autres stratagèmes pour asseoir son autorité, à commencer par les pressions, la censure et la propagande. Il a par exemple convaincu des pays musulmans, comme le Pakistan ou l’Arabie Saoudite, de le soutenir sur la gestion des populations ouïghours - placées en détention pour les soumettre à un endoctrinement politique et les détourner de l’Islam. Ou, du moins, de ne pas dénoncer ses actions.
Des pressions sont aussi exercées dans certaines universités internationales, via les Instituts Confucius, “qui distribuent des moyens aux facultés” si les exactions du régime ne sont pas évoquées, nous dévoile Jean-Michel Béja. Sans compter la propagande, qui prend par exemple en France le visage de Jean-Pierre Raffarin, dont le livre “Chine : Le Grand paradoxe” qui fait la promotion du pays de Xi Jinping.
Sur le territoire chinois, le gouvernement est propriétaire de “quasiment tous les médias”, pointe le spécialiste. Il peut surtout compter sur des nouvelles technologies, comme l’intelligence artificielle. “Il y a des moyens plus modernes que dans n’importe quel pays pour atteindre l’objectif du contrôle de la population”, décrit Lun Zhang. Collecte forcée d’échantillons d’ADN, analyse des mégadonnées, système sophistiqué de censure de l’internet… les moyens ne manquent pas, comme le précise Human Rights Watch.
Un changement de l’intérieur
Récemment, la mainmise chinoise a aussi sévi à Hong Kong. Si la population ne s’est pas laissée faire et que les manifestants se sont réunis pendant des mois dans les rues de la péninsule, le gouvernement - en théorie autonome mais piloté à distance par Pékin - a mené une répression sévère et arrêté plus de 6500 personnes. “Les libertés limitées de Hong Kong [...] sont en train d’être gravement remises en cause”, constate le rapport de Human Rights Watch.
Pour Jean-Philippe Béja, les appels des ONG ne sont pas inutiles. Ils “remettent la nature du régime chinois au centre des préoccupations”, et sont “bons pour le moral des opposants”. Dénoncer les arrestations arbitraires “permet aussi, parfois, d’offrir un meilleur traitement” à ceux qui en sont victimes. Mais “ce n’est pas de là que viendra le changement. Il viendra de l’intérieur de la société chinoise”, conclut le chercheur.
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