"C'est dur", "on rame": 6 mois après les législatives, d'ex-députés macronistes toujours au chômage

L'Assemblée nationale le 3 mars 2020 - Ludovic MARIN / AFP
L'Assemblée nationale le 3 mars 2020 - Ludovic MARIN / AFP

"Six mois plus tard, toujours 60 députés sur le carreau." C'est la conclusion sans appel d'une ancienne députée Renaissance qui n'en revient pas de ses difficultés professionnelles, après des semaines à chercher un travail. Après la défaite lors des élections législatives de juin, certains anciens de la majorité présidentielle pointent toujours au chômage.

Si plusieurs figures de la macronie, d'Amélie de Montchalin à Christophe Castaner en passant par Brigitte Bourguignon ont été nommées ces dernières semaines à des postes prestigieux, leur situation est en effet loin de résumer celle des 114 députés macronistes qui ont été battus ou qui ne se sont pas représentés.

"On est content pour eux et il y a souvent une forme de légitimité à leur atterrisage, mais on aimerait qu'on en fasse autant pour nous, qu'on nous accompagne", grince un perdant auprès de BFMTV.com.

Autour d'un buffet, Emmanuel Macron avait pourtant longuement remercié à la fin de l'été les députés déchus, promettant même de les "aider" à "retourner à la vie extra-politique".

En guise de coup de main, les anciens députés de la majorité présidentielle ont préféré lancer leur propre boucle Telegram. Un temps intitulé "Les virés pas déprimés", elle a été récemment renommée "Plus députés mais toujours engagés".

"On avait bien besoin de ce genre de groupe", estime l'ancienne députée Renaissance Catherine Osson. "On perd son indemnité du jour au lendemain. On n'a même pas l'équivalent d'un préavis. C'est dur."

4271 euros bruts par mois d'indemnité

Si les anciens membres de l'Assemblée nationale ne peuvent bénéficier d’aucune allocation chômage de droit commun - l’indemnité perçue n’étant pas un salaire - les députés battus disposent bien depuis 2018 d'un fonds spécifique alimenté par les parlementaires.

Les règles d’indemnisation sont calquées sur celles du régime des salariés.

"La durée d'indemnisation ne peut être inférieure à 6 mois, ni supérieure à 24 mois pour les allocataires de moins de 53 ans", peut-on lire sur le site de l'Assemblée nationale.

Au-delà, selon l'âge, elle peut aller jusqu'à 30 ou 36 mois. L'indemnisation mensuelle est égale à 57 % du montant de l'indemnité parlementaire, soit 4271 euros bruts.

Si les fonctionnaires reprennent souvent le chemin de leur ancien poste - à l'instar de l'ex-parlementaire Laurence Vanceunebrock, redevenue commissaire de police - ou de leur cabinet pour les professions libérales, il en est tout autrement pour celles et ceux qui ont quitté leur poste dans le privé.

"On rame un peu moralement"

Premier obstacle sur la route de la réintégration professionnelle: le moral à zéro. Après avoir vécu des journées à rallonges, des séances de nuit, des centaines de sollicitations en circonscription, les battus doivent s'habituer à un nouveau rythme de vie.

"Pendant 5 ans, on a été le centre de beaucoup de choses", résume Véronique Hammerer, ex-élue au Palais-Bourbon.

"On a eu des discussions à très haut niveau, avec Matignon, des ministres", poursuit-elle. Du jour au lendemain, le téléphone ne sonne plus, l'agenda toujours plein est désormais vide." "Même si on sait qu'on va digérer, ça prend un peu de temps, on rame un peu moralement", ajoute encore celle qui a été battue par le RN dans sa circonscription.

"Compliqué de retrouver une hiérarchie"

Seconde difficulté: des potentiels employeurs qui ont parfois du mal à imaginer les ex élus dans un autre rôle. Avec en prime l'inquiétude que leur éventuelle recrue peine à se glisser dans le moule du salariat.

"Quand vous êtes député, vous êtes maître à bord", reconnaît encore une autre élue. "C'est compliqué de retrouver une hiérarchie. On peut se dire que vous allez avoir du mal à retrouver votre place dans une équipe, accepter des ordres, vous remettre dans des horaires précis."

La difficulté à pouvoir vendre de nouvelles compétences acquises se pose également. Après avoir beaucoup planché sur les questions d'éducation, une ancienne député se serait bien vue se reconvertir dans le domaine, mais elle peine à convaincre de sa nouvelle expertise.

"On se dit qu'un député n'est qu'une machine à faire des discours", regrette une ex-députée. "Et pourtant, on sait s'exprimer dans les médias, sur qui s'appuyer dans l'écosystème politique. Ce devrait être très précieux pour une entreprise."

"Trop de candidats" pour un seul poste

Troisième embûche sur le chemin: devoir affronter des concurrents au profil similaire. Le délégué général d'une fédération professionnelle nous assure ainsi avoir reçu une dizaine de CV de députés Renaissance pour devenir son numéro 2.

"Il y a une vingtaine ou une trentaine de postes par an qui peuvent correspondre à leurs profils. Quand vous avez une centaine de personnes au CV très proche qui cherchent, forcément, ça fait trop de candidats", analyse ce professionnel.

La question de la localisation géographique pose également question alors que beaucoup d'anciens parlementaires aspirent à rester dans leur ancienne circonscription.

"Moi, je ne suis pas prête à lâcher ma région que j'aime pour travailler à Paris", note une ex-élue. "À un moment, on a perdu, on a bien le droit d'avoir enfin de refaire notre vie professionnelle là où elle a commencé et où on a envie de vivre."

Une situation "vraiment pas bonne pour la démocratie"

L'une de ses collègues de l'hémicycle pointe quant à elle le coût des billets de TGV - "parfois hors de prix" - pour venir passer des entretiens d'embauche à Paris, certains calés la veille du jour J. Si le train était gratuit à vie pour les anciens députés, François de Rugy, alors président de l'Assemblée nationale pendant le premier quinquennat d'Emmanuel Macron a mis fin à cet avantage.

Plusieurs anciens députés Renaissance assurent avoir fait remonter la question à la questure de l'Assemblée nationale.

"Il faut bien qu'on se rende compte que rendre difficile la vie d'après créera dans quelques années une situation qui fera que seuls les fonctionnaires et les avocats voudront devenir députés", tance une ancienne députée très active dans le groupe Telegram des élus battus.

"Ce n'est vraiment pas bon pour la démocratie", assure-t-elle.

Une autre vision de la réforme de l'assurance-chômage?

La surprise des perdants face aux obstacles rencontrés entraîne une autre conséquence: celle de voir différemment la réforme de l'assurance-chômage. Alors que la durée de l'indemnisation sera désormais corrélée à l'état du marché de l'emploi, la précédente législature avait déjà durci les conditions d'indemnisation pour les chômeurs.

"Je n'imaginais pas ça aussi difficile de trouver un travail. Et c'est vrai que je vois les choses un peu différemment maintenant", reconnaît un ancien député, ex-membre de la commission des Affaires sociales.

Certains refusent cependant de se plaindre à l'instar de l'ancien député Renaissance Gaël Le Bohec. Cet ingénieur qui a choisi de ne pas se représenter gère désormais une start-up d'équipements médicaux. "Il y a beaucoup d'anciens députés qui s'en sortent très bien", assure ce Breton. "Je sais qu'on adore parler de ce qui marche mal mais honnêtement, il y a de très belles réussites professionnelles également"."

De quoi faire grincer des dents l'une des députés contactées pour cet article. "Oui, c'est sûr que si on prépare sa sortie en s'appuyant sur ses réseaux, ce n'est pas pareil que si on est jusqu'au bout dans son mandat", assure-t-elle.

Certains tablent cependant sur une porte de sortie: une hypothétique dissolution dans les prochains mois, qui leur permettrait de tenter à nouveau leur réélection dans leur ancienne circonscription.

Article original publié sur BFMTV.com