« Moi, Capitaine » : Matteo Garrone raconte la vraie histoire de migrants et ce voyage « qu’on ne voit jamais »

CINÉMA - Il y a des histoires plus difficiles que d’autres à raconter. Celle de Mamadou Kouassi n’en est que plus importante. Après avoir fui la Côte d’Ivoire et parcouru le désert du Sahara à pied, il a été emprisonné et vendu en esclavage en Libye, avant de pouvoir traverser la Méditerranée jusqu’en Italie. Moi, Capitaine, le film de Matteo Garrone sorti le 3 janvier au cinéma, retrace son périlleux voyage, et celui de tant d’autres migrants.

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Pour écrire le scénario, le réalisateur italien s’est inspiré de trois témoignages. Le film suit Seydou et Moussa, deux Sénégalais de 16 ans, qui rêvent d’aller vivre en Europe. Malgré les mises en garde de leurs proches, ils quittent leur terre natale et prennent la route. Mais leurs espoirs d’une vie meilleure vont se heurter à la violente réalité bien avant d’atteindre l’autre continent.

En reprenant les codes du genre du voyage du héros, le réalisateur s’intéresse autrement à l’immigration, à travers le regard de ceux qui entreprennent cette odyssée souvent mortelle. « C’est précisément la partie du voyage que nous ne voyons pas. Nous ne voyons toujours que l’arrivée des bateaux », explique Matteo Garrone au HuffPost dans l’interview vidéo ci-dessus.

Pour Mamadou Kouassi, qui a été consultant sur le scénario, ce film est surtout « une grande opportunité de porter une voix, pas seulement ma voix, mais celle de beaucoup de personnes que nous avons vu périr dans le désert, dans les prisons et pendant la traversée de la mer ».

Une violence atténuée par rapport à la réalité

Si la caméra de Matteo Garrone sait sublimer les paysages que les deux héros traversent, son film montre aussi l’horreur, qui n’a rien de fictionnelle. Dans le désert, des cadavres sont enfouis dans le sable et Seydou et Moussa se retrouvent obligés d’appliquer la règle du marche ou crève, au risque d’y rester.

Les scènes dans les prisons libyennes, où la torture et le trafic d’êtres humains sont pratiques courantes, sont particulièrement difficiles à regarder. Pour Mamadou Kouassi, qui a survécu à trois années en Libye, « c’était important de faire voir ces réalités que nous vivions ». Là-bas, les personnes exilées n’ayant pas de quoi payer leur liberté sont tuées ou entassées dans des geôles insalubres. Certains sont ensuite vendus en esclavage comme ouvriers, comme ce fut le cas pour Mamadou Kouassi et Seydou dans le film.

« Les gens ne savent pas, les Européens disent que la Libye est un pays sûr. On n’a rien inventé dans le film, il y a même des réalités qui n’apparaissent pas et je pense qu’il a bien fait », raconte Mamadou Kouassi. « J’ai essayé de montrer la violence le moins possible, sans jamais spéculer. Ce qu’on voit dans le film est très inférieur à ce qu’ils ont réellement vécu », déplore le réalisateur.

Plus que dans les images, la violence se ressent dans l’inhumanité avec laquelle les migrants sont traités par les gens qu’ils rencontrent en chemin, du vendeur de faux passeport aux gardes libyens et les passeurs.

« Moi, Capitaine« », cap vers l’espoir

Matteo Garrone tenait à ce que son film raconte aussi « l’immense solidarité qui se crée dans les moments difficiles, et l’humanité qui parvient à survivre chez ceux qui entreprennent ce voyage ». Pour Mamadou Kouassi, les scènes de solidarité sont des moments clés du film : « Il a parlé de notre culture africaine, qui est une culture de solidarité ».

Dans « Moi, Capitaine » comme dans la vraie vie, des milliers de personnes risquent leur vie en traversant la Méditerranée.
Pathé Dans « Moi, Capitaine » comme dans la vraie vie, des milliers de personnes risquent leur vie en traversant la Méditerranée.

En Italie, Moi, Capitaine a été récompensé à la Mostra de Venise et projeté dans les écoles pendant six mois après sa sortie en septembre. À travers les témoignages portés à l’écran, le réalisateur italien espère faire changer de regard sur l’immigration. « La plupart des jeunes n’allaient pas voir le film spontanément parce qu’ils pensaient que ça ne les intéresserait pas », raconte-t-il.

« Quand on les a emmenés le voir, ils ont réalisé que derrière les nombres qu’ils voient dans l’actualité, il y a des jeunes comme eux, qui poursuivent un rêve, qui veulent voyager. La différence, c’est que contrairement à eux, les héros du film n’en ont pas la possibilité », compare Matteo Garrone.

Mamadou Kouassi aimerait, lui, que le film « touche le cœur de toutes les générations » sur la liberté de se déplacer. « Ce film parle d’un rêve auquel les jeunes européens et américains peuvent rêver. Mais nous pour rêver, nous sommes obligés de faire le voyage à travers le désert, la mer. On voudrait juste avoir les mêmes opportunités », résume-t-il.

Moi, Capitaine ne montre pas ce qui arrive aux héros une fois les côtes italiennes atteintes. À son arrivée à Rome, Mamadou Kouassi a, lui, passé des années difficiles à dormir dehors. Aujourd’hui, il préfère en rigoler : « c’est un autre film, on ne sait pas si Matteo va le faire ! »

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