BSD diminué par une infection? Des médecins répondent aux questions que soulève la défaite du Français

"J’étais présent mais mon corps absent." Quelques heures après la terrible déconvenue face à Dustin Poirier, dans la nuit de samedi à dimanche lors de l’UFC 299 à Miami, Benoît Saint Denis a résumé son combat en une phrase. Le Français, réputé pour son mental d’acier et son style guerrier, a ainsi expliqué s’être battu contre une infection la semaine précédant le combat le plus important de sa carrière.

"Malheureusement ce soir je n'ai pas pu pleinement m'exprimer. Mon corps n'a pas suivi après une semaine d'antibiotiques pour lutter contre une infection. J'étais présent mais mon corps absent, il ne réagissait pas comme d'habitude", a assuré l’ancien membre des forces spéciales françaises.

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A post shared by Viktorija Burakauskas (@toribur) on Jan 21, 2020 at 8:43am PST

L’apparition d’un bouton sur le front du "God of War" quelques jours avant le combat avait mis en alerte certains observateurs du MMA. Si Benoît Saint Denis a seulement parlé d’une infection, il semble avoir dû lutter contre un furoncle, forme clinique d’un staphylocoque doré. Pour Muhammad Mokaev, combattant à l'UFC chez les poids mouches, il s’agit tout simplement de "l'une des pires choses qui puisse vous arriver avant le combat". "Votre corps s'effondre, vous n'avez plus de force, vous manquez de concentration, vous avez des vertiges", précise "The Punisher", ajoutant que le système immunitaire "se dégrade lorsque vous perdez du poids".

Face aux témoignages de Saint Denis et de Mokaev, RMC Sport a sollicité des professionnels de la santé pour répondre à plusieurs questions.

• Quel impact d'une infection sur les performances?

"Quand on a une infection, l’organisme est sollicité pour se défendre. L’infection, même lorsqu’elle est localisée, peut avoir un impact sur l’organisme, détaille le docteur Alain Ducardonnet, consultant santé pour BFMTV. Ça peut diminuer les capacités physiques. D’ailleurs, en règle générale, et si l’on sort de l’actualité concernant ce combat, quand on a une infection il ne faut pas faire de sport. Il peut y avoir un trouble du rythme cardiaque", prévient le cardiologue.

"Lors d’une infection, l’organisme lutte contre elle et on a forcément moins de force, appuie Benjamin Rossi, infectiologue à l'hôpital Robert-Ballanger d’Aulnay-sous-Bois.

"Une partie de notre organisme est mis en alerte et déclenche une réaction pour pouvoir nous protéger, donc ça utilise de l'énergie. Dans le cas de Saint Denis, ça ressemble à un furoncle qui se serait rompu. Le pourtour est bien inflammatoire. Dans des performances de haut niveau, ça peut fatiguer", conclut l'infectiologue. La spécificité des sports de combat, avec un cutting (perte de poids rapide quelques heures avant la pesée, NDLR) le plus souvent éprouvant, complique encore plus la tâche de l'athlète atteint d'une infection.

Le niveau de fatigue dépend également de la forme prise par l'infection. "Quand on a une infection localisée, par exemple une infection cutanée, c’est le système immunitaire local qui réagit. Un furoncle n’est pas censé être fatiguant. Ça fait mal mais ce n’est pas fatiguant, poursuit Benjamin Rossi. Toute la question est de savoir si c’est une infection locale ou si cette infection locale s’est accompagnée d’un passage dans la circulation générale. S’il y a eu une infection disséminée et que la bactérie est partie dans le sang, ça fait une septicémie et ça peut fatiguer."

• Quelles sont les conséquences d'un traitement par antibiotiques?

Concernant la conséquence des antibiotiques, les avis divergent. "Des études chez la souris ont montré que lorsque l’on détruisait la flore intestinale avec les antibiotiques, ça pouvait avoir un impact sur la performance physique d’un sportif de haut niveau. Ça diminue l’activité musculaire mais aussi l’utilisation de sucres... et donc le carburant donné au sportif", confie Alain Ducardonnet.

Pour d’autres professionnels de la santé, ce sont surtout certains effets secondaires des antibiotiques qui peuvent avoir un impact sur les performances. "Il n’y a pas beaucoup d’études sur ce sujet. Pour moi, ce n’est pas l’antibiotique en lui-même, mais les effets secondaires, les effets indésirables. Vous pouvez vous retrouver avec une diarrhée ou une hépatite et ça va vous affaiblir", détaille Éric Caumes, infectiologue et professeur de maladies infectieuses à Sorbonne Université.

"L’antibiotique n’est pas forcément pourvoyeur de fatigue, mais ça peut être pourvoyeur d’effets secondaires qui peuvent fatiguer, valide Benjamin Rossi. Il peut y avoir de la diarrhée, la flore intestinale peut être déséquilibrée et on va se retrouver plus fatigué, avec un transit difficile. Certains antibiotiques peuvent aussi donner une hépatite. Et quand on a une hépatite, on est fatigué."

• Comment Saint Denis a-t-il été infecté?

La révélation de Benoît Saint Denis sur cette infection a par ailleurs soulevé la question de la contamination. Avec une interrogation centrale: comment le "God of War" a-t-il attrapé ce staphylocoque doré? Mis en cause par le combattant belge Brian Bouland, ancien du Cage Warriors, le Français Salahdine Parnasse, qui s’est entraîné fin janvier avec Saint Denis, a démenti être à l’origine de cette infection.

"A tous les dermatologues de X, j’ai tourné avec BSD le 29 janvier, soit il y a plus de six semaines. Vos calculs ne sont pas bons les gars", a rétorqué le double champion du KSW.

En réalité, un staphylocoque doré peut se développer bien au-delà de six semaines. Mais il est tout de même impossible d’incriminer Parnasse. "La plupart du temps, il n’y a pas de patient de zéro, tranche Benjamin Rossi. On ne peut pas parler de contamination. L’autre personne ne peut pas attraper le furoncle. Ce ne sont pas des transmissions directes. Il s’agit d’infections avec des déséquilibres de flore. C’est beaucoup plus complexe que la transmission d’une maladie. Ce n’est pas comme la grippe ou le Covid. Là, on parle de bactéries qui sont présentes de manière naturelle sur la peau. On a tous du staphylocoque sur la peau. Il est possible que sa flore cutanée se retrouve, en plus des staphylocoques de d'habitude, avec un staphylocoque un peu plus virulent. Et que, un jour peut-être, il pourrait développer des risques de faire un furoncle. Il faut qu'il y ait un déséquilibre de flore qui favorise la sélection d’un germe un peu plus virulent."

Pour le docteur Benjamin Rossi, inutile de chercher à incriminer un seul combattant. Selon lui, ce sont les salles d'entraînement qui, de manière générale, sont un environnement propice à ce genre d’infections. "C’est très fréquent que ces sportifs qui transpirent beaucoup, qui travaillent dans des ambiances moites, de transpiration, se retrouvent avec des portages de staphylocoques dorés qui favorisent les abcès. Ce sont des milieux particulièrement exposés à ce style de portage. Ils font plus d'abcès cutanés que d’autres."

• Existait-il un risque d'infection pour Dustin Poirier?

À la lecture de cette analyse, difficile d’imaginer une annulation du combat face à Dustin Poirier, le combattant américain évoluant à longueur d’année dans ce type d’environnement. D’autant plus que l’infection de Saint Denis était sous contrôle. "Une des principales règles pour éviter la transmission des staphylocoques dorées est de recouvrir les lésions cutanées avec des pansements. Mais au bout de 48h de traitement antibiotique efficace, ce n’est plus du tout contagieux. Encore plus au bout d’une semaine si l’on se fie aux propos de Saint Denis", indique l'infectiologue Éric Caumes.

"Après une semaine d’antibiotique, la bactérie en tant que telle n’est plus là, approuve son confrère Benjamin Rossi. Au moins temporairement, le portage de la bactérie va être éliminé... Même si cela va revenir à l’arrêt de l'antibiotique. C’est le problème du portage d’une bactérie. Quand on a une flore, elle revient, car on n’éradique pas toute la flore." Mais ça, c’est une autre histoire.

Article original publié sur RMC Sport