Boxe: Christian Mbilli, à quand la chance mondiale?
Il remplit sa tâche victoire après victoire. Mais la récompense finale se fait attendre. Avec une question désormais ultra légitime. Christian Mbilli aura-t-il bientôt sa chance mondiale? Opposé à l’Australien Rohan Murdock ce week-end au Centre Vidéotron (environ 20.000 places) de la ville de Québec, une défense de sa ceinture WBC Continental Americas en co-main event du choc pour les titres WBC-IBF-WBO des mi-lourds entre le champion Artur Beterbiev et son challenger Callum Smith, "Solide" (son surnom) n’a jamais été le mieux placé dans cette quête du Graal chez les super-moyens, catégorie dominée par le roi incontesté à quatre ceintures Saul "Canelo" Alvarez. Question de puissance financière et populaire.
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Dans la force de l'âge à 28 ans, le boxeur français naturalisé canadien en octobre – arrivé en France de son Cameroun natal à 11 ans et devenu français à 15, il possède maintenant la double nationalité – a pourtant fait tout ce qu’il fallait sur le plan sportif. 25 combats, 25 victoires, 21 KO. Pas assez attirant pour bénéficier d’une défense de titre volontaire, l’ancien membre de la "Team Solide" tricolore des Jeux de Rio a vite mis en place un plan. L’idée? Grimper dans les classements pour devenir challenger obligatoire et forcer le champion à l’affronter. Mission accomplie. Seul boxeur français classé dans les quatre fédérations majeures, Mbilli occupe la première place pour la WBC et la WBA, la troisième pour l’IBF et la cinquième pour la WBO. Sans oublier son deuxième rang au prestigieux classement du magazine The Ring.
Mais alors, qu’est-ce qui cloche? Bienvenue dans la boxe et ses obstacles infernaux. La WBC et la WBA ont ainsi un champion en-dessous du champion: l’Américain David Benavidez, champion intérimaire pour la première, et le Cubain David Morrell, champion "régulier" pour la seconde. Conséquence? Si une de ces deux organisations ordonnent une défense, les deux seront prioritaires sur lui. Le tout avec au-dessus un Canelo sans doute plus grande star actuelle du noble art et qui peut choisir ses combats selon ses envies avec moins de chance de destitution de ceinture que pour d’autres.
"J’ai bien sûr hâte d’avoir Canelo en face de moi, lance-t-il dans une interview à RMC Sport. Mais je suis arrivé à un moment de ma carrière où la patience sera le plus compliqué. Il faut être patient, attendre son heure. Je suis dans une catégorie un peu bloquée par Canelo. Il fait un peu ce qu’il veut. Je sais que ça va arriver, que j’aurai ma chance, et je continue de me concentrer sur les paramètres que je peux contrôler. Je reste à l’affut derrière les buissons et prêt à sauter à la moindre occasion." Pas facile quand on connaît "Solide". "C’est dur car je suis quelqu’un de très pressé dans la vie de tous les jours. Dans ma carrière en boxe, j’ai toujours sauté des étapes, je me suis habitué à accélérer et à atteindre mes objectifs assez rapidement. Malheureusement, là, il va falloir que je travaille ma patience."
Chez les super-moyens, les amoureux de boxe attendent le choc Canelo-Benavidez. Si tout va bien, il devrait arriver en 2024. Mais plutôt en septembre qu’en mai, les deux mois où Canelo boxe à coup sûr pour surfer sur des fêtes mexicaines, selon les dernières rumeurs. Qui dessinent une alternative nommée Jaime Munguia (numéro 1 WBO) pour le champion en mai. Mais pourquoi Munguia et pas Mbilli, qui le devance d’une place au classement WBC? Le premier est mexicain. Avec tous les avantages que cela apporte sur les plans financier et populaire pour son compatriote Canelo. "Je voudrais que ce soit moi, appuie Mbilli. Mais il faut voir le business derrière. Ce sont des boxeurs qui veulent les combats qui font parler. Canelo-Munguia, deux Mexicains, ce sera plus vendeur qu’un Français un peu méconnu du grand public."
Une leçon apprise avec le temps par le combattant français. "Je l’ai découvert sur le tas. Quand je suis passé professionnel, dans ma tête, je me disais que j’allais tabasser tout le monde et être champion du monde. Mais malheureusement, il y a beaucoup d’autres paramètres, pas que les performances sportives. Ça fait partie du sport. Je n’ai pas d’autre choix que de l’accepter. (…) A ce niveau-là, les combattants partent chercher les combats les plus payants pour eux, que ce soit médiatiquement ou financièrement. Et malheureusement, je représente plus de risques que de bénéfices. C’est le problème. Je ne dirais pas que je suis frustré mais ça me titille un peu car j’ai hâte d’avoir ma chance mondiale."
Risquer de se faire éteindre par le destructeur français alors qu’il ne rapporte pas assez. On comprend bien le frein. Qui ne touche pas que les grosses stars dans une catégorie jugée par Mbilli comme "la plus relevée actuellement, celle avec le plus de talents et de boxeurs dangereux". "C’est toujours un peu pénible pour mon équipe de trouver un adversaire pour moi à chaque combat. Je ne vais pas citer de noms mais que ce soit des Anglais ou des Américains, on est déjà allé chercher des noms et c’était un non catégorique ou ça te sort des chiffres astronomiques…"
Si Canelo prend Munguia en mai, une belle option serait Benavidez pour son titre WBC par intérim. Mais l’Américain jouerait trop gros, une défaite le privant de la perspective de l’ultra lucratif choc contre Canelo. "On attend les propositions de n'importe qui, appuie Mbilli. Mais il faut être un peu stratégique car on arrive dans le moment décisif de ma carrière. L’année 2024 va être décisive. Si Canelo refuse de rencontrer Benavidez, ce dernier va sûrement monter de catégorie comme il l’a laissé entendre. Et on ne sait pas combien il reste de combats à Canelo. Il y a des rumeurs de retraite. Je me concentre sur les paramètres que je maîtrise, mon entraînement et mes performances sur le ring, et pour le reste je fais entièrement confiance à mon équipe qui fait un travail incroyable."
Une montée de catégorie, une retraite qui ferait exploser les quatre ceintures… les possibilités pour voir la catégorie s’ouvrir existent. Mais il faut prendre son mal en patience. En attendant, son promoteur canadien Camille Estephan (Eye Of The Tiger) fait tout pour lui donner la chance de faire augmenter sa cote. Le rendez-vous du week-end représente une occasion en or. En co-main event d’un championnat du monde unifié avec son partenaire de salle Artur Beterbiev, pour la première grosse soirée boxe de l’année, le tout diffusé sur ESPN aux Etats-Unis, il faut marquer les esprits pour devenir incontournable et donner au public l’envie de le voir face à Canelo.
L’intéressé en a bien conscience. "C’est un plaisir et un honneur d’être sur cette carte avec Beterbiev. Mais je ne vais là-bas pour faire acte de présence. Je viens aussi pour lui voler un peu la vedette. Je n'ai pas le choix. Je suis dans une position où je dois attendre et je dois faire parler de moi, donner des victoires spectaculaires. Je dois vraiment être spectaculaire. ESPN, c'est minimum 300.000 téléspectateurs qui seront dessus sans compter le reste avec des droits d'image vendus un peu partout dans le monde. Je dois envoyer un message à la catégorie: Christian Mbilli est là pour prendre la place de numéro 1. A moi de saisir cette chance et de montrer que je suis le futur champion et que j'arrive très vite. J'essaie de ne pas trop me mettre la pression là-dessus mais c'est sûr qu'il va falloir que je sois très spectaculaire."
L’homme chargé de l’en empêcher, Rohan Murdock (27-2, 19 KO; 31 ans), est selon le combattant français "un boxeur assez atypique, assez complet, très rapide des bras, assez sur les jambes, qui peut avancer et reculer". "C'est quelqu'un qui va peut-être foncer dedans. Je pense que ça va être un combat assez rapide et spectaculaire. Il va falloir que je sois vigilant, que je monte bien la garde et que je ne laisse aucune ouverture au niveau défensif. Comme d'habitude, je promets des feux d'artifice, un combat engagé, avec beaucoup de générosité sur les coups. Et à la moindre occasion, je n’hésiterai pas à lui faire payer et à le descendre."