Borne, Meloni, Truss… Le destin des Premières ministres en dit beaucoup sur la politique européenne en 2022

POLITIQUE - Alors que 2022 s’achève, c’est l’heure des bilans. Et sur le plan politique, on peut constater qu’il n’y a jamais eu autant de Premières ministres en Europe qu’en 2022. Au total, d’Élisabeth Borne à Liz Truss en passant par Giorgia Meloni et Sanna Marin, onze femmes ont, sur une partie ou la totalité de l’année 2022, exercé des fonctions de cheffe de gouvernement sur le continent, dont sept dans l’Union européenne.

Premier grand enseignement : le destin politique des Premières ministres illustre de manière claire la montée de l’extrême droite en Europe. En septembre dernier, la Première ministre suédoise Magdalena Andersson – la seule que le pays ait jamais connue –, a dû laisser sa place après la victoire du bloc de droite et d’extrême droite aux législatives. Sans y participer, le parti nationaliste des Démocrates de Suède soutient le nouvel exécutif d’Ulf Kristersson. C’est inédit.

Entreprise de dédiabolisation

En Italie, l’extrême droite avait déjà participé à des gouvernements. Mais à l’automne, Giorgia Meloni a réussi l’exploit de devenir la première femme et la première dirigeante d’extrême droite à être nommée à la tête de l’exécutif. Son accession au pouvoir est symptomatique de l’ascension des femmes dans les mouvements d’extrême droite en Europe.

« Le fait d’avoir des femmes à la tête de partis d''extrême droite est mis au service d’une stratégie de dédiabolisation » des mouvements d’extrême droite en Europe, souligne Cécile Leconte, maîtresse de conférences en science politique à Sciences Po Lille, qui cite également les exemples de Siv Jensen à la tête du Parti du progrès en Norvège, de Pia Kjaersgaard comme cheffe du Parti populaire danois, et évidemment de Marine Le Pen en France. « Cette stratégie repose sur l’activation de stéréotypes de genre, par exemple l’idée selon laquelle les femmes seraient moins inclines à la violence, plus empathiques... Et donc de l’exercer – soi-disant– différemment », poursuit Cécile Leconte auprès du HuffPost.

Une démarche qui se double parfois d’un discours en faveur « d’un libéralisme politique, la défense des femmes et des minorités sexuelles… même si les votes des eurodéputés à Bruxelles vont souvent à l’encontre de ce discours », observe la chercheuse spécialiste de l’extrême droite. Qui souligne toutefois que ce n’est pas le cas de Giorgia Meloni qui développe une rhétorique anti-féministe et anti-« théorie du genre », à l’instar des partis d’extrême droite en Allemagne, en Europe centrale et du Sud.

Dans l’Hexagone, c’est également l’entrée fracassante de l’extrême droite de Marine Le Pen au sein de l’Assemblée nationale qui marque le mandat d’Élisabeth Borne. S’ils ne sont pas les seuls responsables de l’absence de majorité absolue pour les macronistes, la présence des 89 députés RN dans l’hémicycle est l’une des raisons qui a contraint la Première ministre à utiliser l’article 49.3 à dix reprises au cours de l’automne.

Sexisme persistant en politique

Le deuxième enseignement de cette « année des Premières ministres », c’est évidemment le sexisme persistant en politique. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : sur les 27 pays de l’UE, malgré l’entrée en fonction de plusieurs Premières ministres cette année, moins d’un quart des États sont aujourd’hui pilotés par une cheffe de gouvernement.

Outre l’Italie et la France, Mette Frederiksen a été reconduite cette année au Danemark, Sanna Marin exerce depuis plus de deux ans en Finlande, tandis que Kaja Kallas et Ingrida Šimonytė sont respectivement aux manettes de l’Estonie et de la Lituanie. Au-delà des frontières de l’UE, seules l’Islande, la Serbie et la Moldavie sont actuellement gouvernées par des femmes : Katrín Jakobsdóttir, Ana Brnabić et Natalia Gavrilița. Bon nombre de pays européens n’ont jamais connu de Première ministre, notamment l’Espagne, l’Irlande, les Pays-Bas ou encore l’Autriche.

Et même lorsqu’elles sont nommées, les Premières ministres ne sont pas épargnées par le sexisme. Après la diffusion de vidéos d’elle en train de faire la fête cet été, la Finlandaise Sanna Marin a été l’objet d’une campagne médiatique virulente qui remettait en cause ses capacités de dirigeante. Il y a quelques semaines encore, alors qu’elle rencontrait son homologue néo-zélandaise Jacinda Ardern, Sanna Marin a dû répondre à la question particulièrement sexiste d’un journaliste qui demandait aux deux Premières ministres si elles se rencontraient parce qu’elles ont presque le même âge. « Nous nous rencontrons parce que nous sommes Premières ministres », a taclé la responsable.

Liz Truss et la « falaise de verre »

Et puis il y a le cas Liz Truss. Nommée par la reine le 6 septembre, elle a annoncé sa démission 45 jours plus tard, battant ainsi le record du mandat le plus court au 10 Downing Street. Si la conservatrice a payé plusieurs erreurs politiques majeures, elle a aussi fait l’objet d’une forme très particulière de discrimination, que les chercheurs et chercheuses en sciences sociales décrivent sous les termes de « falaise de verre ».

« Au-delà du plafond de verre, la falaise de verre consiste à nommer une femme à un poste à hautes responsabilités dans un moment critique de la structure où elle est nommée », explique au HuffPost Anne-Sarah Bouglé Moalic, docteure en histoire de l’université de Caen. « À un moment où il y a une crise, on va se dire ’tiens, si on nommait une femme pour prendre les choses en main !’, avec évidemment tous les risques que cela comporte. Si la femme échoue, on pourra dire ’la marche était trop haute’ ou bien ’on aurait pas dû nommer une femme’, et cela va renforcer un cliché sexiste négatif pour les femmes à haut niveau de responsabilités. »

Avant Liz Truss, Theresa May avait déjà été confrontée à cette « falaise de verre », observe la spécialiste de l’égalité femmes-hommes. « Theresa May et Liz Truss ont toutes deux fait les frais de crises mises en place par les hommes, le Brexit en l’occurrence. Theresa May a été nommé juste après le référendum. Elle a dû faire avec les conséquences de cette décision. Liz Truss en paie aussi les conséquences car les effets du Brexit n’ont toujours pas été absorbés par le Royaume-Uni », pointe Anne-Sarah Bouglé Moalic.

Le concept de falaise de verre a aussi été évoqué lors de la nomination d’Élisabeth Borne à Matignon, mais comme le souligne la chercheuse Sarah Saint-Michel dans un entretien accordé à Elle, cette notion est généralement analysée a posteriori.

À voir également sur Le HuffPost :

Lire aussi