"Bombe sale": quel est l'objectif de la Russie avec ses accusations contre l'Ukraine?

"Bombe sale": quel est l'objectif de la Russie avec ses accusations contre l'Ukraine?

Réelle menace ou nouveau coup de bluff? Ce lundi, la Russie a affirmé que l'Ukraine était entrée "dans la phase finale" de la fabrication de sa "bombe sale", une affirmation que Moscou brandit depuis dimanche et qui est fermement rejetée par Kiev et ses alliés occidentaux.

Ce week-end, le ministre des Armées russe Sergueï Choïgou avait porté ces accusations lors d'un appel téléphonique avec plusieurs de ses homologues européens dont Sébastien Lecornu. La France avait pour sa part indiqué refuser "toute forme d'escalade", notamment nucléaire.

"Si la Russie dit que l'Ukraine serait en train de préparer quelque chose, cela signifie une seule chose: la Russie a déjà préparé tout cela", a réagi le président ukrainien Volodymyr Zelensky, accusant Moscou d'ainsi chercher à justifier une escalade du conflit.

Chiffon rouge

Sur notre antenne, le général Jérôme Pellistrandi, consultant défense de BFMTV, s'interroge sur l'objectif russe de ces derniers jours et la série d'accusations visant l'Ukraine. Selon lui, techniquement, l'utilisation de cette bombe n'aurait aucun intérêt militaire pour Kiev.

"Quel est l’intérêt d’utiliser 'une bombe sale'? C’est une bombe classique dans laquelle on va rajouter des éléments radioactifs, on pollue complètement un territoire. Est-ce qu’ils voudraient polluer le territoire ukrainien? On ne voit pas l’intérêt militaire", explique-t-il.

Dans les colonnes du Parisien, le général Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire française auprès des Nations unies, assure de son côté que la Russie tente ici de détourner l'attention de ses défaites militaires qui se multiplient, en particulier dans la région de Kherson.

"Les Russes ont l’habitude d’animer le paysage médiatique à l’aide de menaces fictives afin de masquer la véritable information d’intérêt", assure-t-il. Depuis l'invasion de l'Ukraine en février dernier, à plusieurs reprises, différents officiels russes avaient ainsi, en filigrane, menacé de l'utilisation d'armes nucléaires tactiques en Ukraine.

Sur notre antenne ce lundi soir, Jean-Paul Paloméros, ancien chef d’état-major de l’armée de l’air, ajoute quant à lui que "Moscou essaie d'effacer des revers militaires" mais aussi d'apporter "une justification" à la mobilisation de plusieurs dizaines de milliers d'hommes.

"Ils préparent peut-être l’opinion publique russe dans le cas ù tout tourne mal pour eux, la bataille de Kherson était la première étape", ajoute-t-il.

Réponse ferme

Pour le général Pellistrandi, cette manoeuvre vise en réalité à modifier le narratif de la guerre tout en maintenant une certaine pression sur les partenaires ukrainiens. "Ça fait monter la tension, la pression, c'est un moyen de vouloir dire aux Européens: 'attention les Ukrainiens ne sont pas gentils.'"

"Moscou cherche par tous les moyens à renverser la culpabilité, la responsabilité de la guerre. C’est totalement irréaliste et ne correspond à rien sur le plan militaire", ajoute le gradé. Cette stratégie avait d'ailleurs été utilisée par Vladimir Poutine au moment de lancer son "opération militaire spéciale" du 24 février dernier.

Les différents ministres des Affaires étagères contactés par Sergueï Choïgou ne s'y sont d'ailleurs pas laissé prendre. Dans un communiqué commun publié ce lundi, ceux-ci ont prévenu: "personne n(’est) dupe d’une tentative d’utiliser cette allégation comme prétexte à une escalade." Lundi soir, le chef de l'Otan a également déclaré que Moscou ne devait pas utiliser "un prétexte" pour "une escalade".

Une bombe qui vise "à faire peur"

La nature même de ces armes pose question. Le terme de "bombe sale", aussi appelée "dispositif de dispersion radiologique" (DDR), désigne plus généralement tout engin détonant disséminant un ou plusieurs produits chimiquement ou biologiquement toxiques (NRBC - nucléaire, radiologique, biologique ou chimique).

Ce type de bombe n'est pas considéré comme une arme atomique, dont l'explosion résulte de la fission (bombe A) ou de la fusion (bombe H) nucléaires et provoque d'immenses destructions dans un vaste rayon. La fabrication d'une bombe atomique requiert de recourir à des technologies complexes d'enrichissement d'uranium.

Beaucoup moins complexe à confectionner, la "bombe sale" emploie quant à elle un explosif conventionnel et a pour but principal de contaminer une zone géographique et les personnes qui s'y trouvent à la fois par des radiations directes et par l'ingestion ou l'inhalation de matériaux radioactifs.

"Une bombe sale n'est pas une 'arme de destruction massive' mais une 'arme de perturbation massive' qui vise principalement à contaminer et faire peur", résume la Commission de régulation nucléaire américaine (U.S NRC).

Le principal danger d'une "bombe sale" provient de l'explosion et non de la radiation. Seules les personnes très proches du site de déflagration seraient exposées à des rayonnements suffisants pour causer une maladie grave immédiate. Cependant, la poussière et la fumée radioactives peuvent se propager plus loin et présenter un danger pour la santé en cas d'inhalation de la poussière ou d'ingestion d'aliments ou d'eau contaminés.

Article original publié sur BFMTV.com