La biomasse est-elle vraiment une énergie verte ?

En 2022, le bois-énergie représentait un tiers des énergies renouvelables consommées en France (Photo : Getty Images/iStockphoto)

Moins médiatisé que l'éolien ou le solaire, le bois-énergie (ou biomasse) est pourtant l'énergie renouvelable la plus utilisée en France. Mais peut-on réellement parler d'une énergie verte, alors qu'elle est obtenue par la combustion du bois et provoque donc des émissions de CO2 ?

Brûler du bois peut-il nous aider à sauver l'environnement ? A priori contre-intuitive et provocatrice, cette question se pose réellement lorsqu'on songe à l'importance de l'utilisation du bois-énergie (ou biomasse) dans la stratégie de transition énergétique des pays de l'Union européenne (UE), et notamment de la France.

D'après les dernières statistiques du ministère de la Transition écologique, la part des énergies renouvelables (ENR) dans la consommation finale brute d'énergie s'élevait à 20,7% en 2022 (toujours en deçà de l'objectif de 23% fixé pour 2020 par l'UE). Parmi les ENR, la part la plus importante était assurée par la biomasse solide (6,6% de la consommation finale brute d'énergie en France en 2022), loin devant l'hydraulique (3,7%), les pompes à chaleur (2,8%) et l'éolien (2,7%).

La biomasse représente un tiers des énergies renouvelables en France

Le bois-énergie représente donc près d'un tiers (31,9% précisément) des énergies renouvelables consommées l'an passé dans notre pays. Une proportion suffisamment conséquente pour s'interroger sur son impact écologique, à plus forte raison dans la perspective d'une part toujours plus importante des ENR dans la consommation énergétique globale (l'objectif est d'atteindre les 30% d'ENR en 2030). Cette énergie obtenue par combustion du bois peut-elle être considérée comme réellement verte ?

Comme l'explique un rapport de l'association Canopée – Forêts Vivantes, on distingue deux types d'usage de la biomasse comme source d'énergie : à l'échelle individuelle pour chauffer des logements avec des poêles, cheminées ou autres chaudières, et à l'échelle collective ou industrielle, où du bois est brûlé dans des chaudières de plus grandes dimensions pour produire de l'électricité et/ou des réseaux de chaleur.

Au total, selon ce même rapport, ce sont ainsi 30 millions de mètres cubes (Mm3) de bois qui ont été brûlés pour produire de l'énergie en France en 2020, dont la majorité (22 Mm3) pour l'usage individuel et environ 8 Mm3 pour l'usage collectif et industriel. Un tel volume induit nécessairement des impacts importants en termes de pollution atmosphérique et d'émissions de CO2, mais à l'inverse des énergies fossiles (qui génèrent le même type d'impacts), l'utilisation de la biomasse repose sur le principe d'une neutralité carbone.

"La neutralité n'existe nulle part, ce mot devrait être banni de notre langage"

Ce principe correspond à une équation a priori simple, mais sans doute trop caricaturale, décrite par plusieurs chercheurs de l'Office National des Forêts (ONF) dans un article publié en 2015 : "Le CO2 émis par la combustion (du bois-énergie) avait initialement été capté par photosynthèse et il est immédiatement recyclé dans l’accroissement biologique des peuplements forestiers : le bilan est donc neutre pour l’atmosphère… Sauf que ce n'est pas si simple !"

Difficilement quantifiable, la neutralité carbone du bois-énergie est ainsi moins une réalité scientifique qu'un raccourci administratif. "Cela renvoie à une approche comptable, précise Christine Deleuze, directrice projet Stratégie Carbone à l'ONF. Tout arbre coupé est comptabilisé dans l'inventaire forestier national, qui sert de base pour les déclarations de gaz à effet de serre. Les arbres coupés sont considérés comme étant déjà sortis de la forêt, donc on ne les comptabilisera pas une deuxième fois lorsqu'on brûlera le bois. C'est ce qu'on appelle la neutralité carbone du bois-énergie."

"Évidemment, c'est une convention comptable qui ne veut pas forcément dire que c'est neutre de brûler du bois", complète la chercheuse. "La neutralité n'existe nulle part, ce mot devrait être banni de notre langage, tranche Fabien Balaguer, agronome et directeur de l'Association Française d'Agroforesterie. L'erreur de départ, c'est de croire que parce qu'on va faire quelque chose de positif en face de quelque chose de négatif, ça va s'annuler. Ce n'est pas le cas : on a d'un côté une comptabilité des impacts négatifs, qu'il faut manipuler le plus intelligemment possible, et de l'autre côté, on peut faire des choses positives pour l'environnement, mais il n'y a pas de signe égal entre les deux."

"Le bois-énergie, on peut en faire quelque chose de très vertueux"

En l'occurrence, à défaut d'une véritable neutralité carbone, la nature même de la source d'énergie (le bois, qui capte du CO2 au cours de sa croissance) induit une logique de compensation inenvisageable pour les énergies fossiles. Cette différence majeure permet par exemple au Syndicat des Energies Renouvelables d'affirmer, dans un questions/réponses sur le bois-énergie, que l'utilisation de cette ressource a permis d'éviter l'émission de 9,1 millions de tonnes de CO2 en France en 2019. Cet ordre de grandeur correspond en fait à une comparaison avec ce qu'aurait "coûté" la même énergie en utilisant des sources fossiles comme le gaz ou le charbon.

Tout l'intérêt de l'utilisation de la biomasse repose donc sur cette logique de compensation des émissions, mais comment la rendre réellement opérante ? "Cela dépend en fait de deux choses : la manière dont est produit ce bois-énergie (c'est-à-dire la gestion durable qui assure que chaque fois qu'un arbre est coupé, des arbres plus jeunes prennent le relais de la croissance), et les autres usages du bois coupé, répond Christine Deleuze. On ne regarde pas la coupe d'un arbre ponctuellement mais dans l'ensemble de la gestion d'une forêt." Dans une approche écologique de la ressource biomasse, la coupe du bois doit donc toujours, et avant tout, participer au renouvellement des forêts.

"Le bois-énergie, on peut en faire quelque chose de très vertueux, assure ainsi Fabien Balaguer. Pour y arriver, il faut éviter de gaspiller et s'approvisionner avec une ressource renouvelable. Renouvelable, cela veut dire qu'on ne prélève pas plus que ce que le milieu peut fournir sur un laps de temps. Pour un système donné (forêt ou autre), on peut dégager une productivité biomasse sur 10, 15 ou 20 ans. Si on ne prélève pas plus que ce que le système produit, et qu'on le prélève dans les bonnes conditions, avec les bons outils, utilisés de la bonne manière, à la bonne saison, on peut parler de ressource durable."

L'exemple de l'ONFE

Parmi les exemples de pratiques durables, Christine Deleuze mentionne l'exemple de l'ONFE, filiale "énergie" de l'ONF, qui "associe le bois-énergie à une récolte durable de bois en général, orienté vers le bois d’œuvre". Le principe est de valoriser en bois-énergie un certain nombre de sous-produits de ces forêts destinées au bois de construction, au moment de la récolte en récupérant les parties inexploitables en bois d’œuvre, mais aussi avant, au cours de la longue croissance des arbres en question.

"Ce bois d’œuvre met des dizaines d'années à atteindre sa maturité, jusqu'à 180 ans pour du chêne, on fait régulièrement des éclaircies, explique la chercheuse. La plupart du bois récupéré est valorisé en bois-industrie, pour faire des panneaux ou de la pâte, mais on a aussi une valorisation possible en bois-énergie pour les arbres les plus petits." Dans ce cadre, l'utilisation de la biomasse comme source d'énergie permet donc de gaspiller le moins de bois possible, mais elle génère aussi un revenu salutaire.

"Pour ce type de forêts orientés vers le bois d’œuvre, les investissements initiaux ne seront remboursés qu'au bout de plusieurs décennies, donc nous sommes obligés de valoriser en cours de chaîne et le bois-énergie est un moyen de le faire, à condition de le faire proprement, résume Christine Deleuze. Lorsqu'on fait des éclaircies, la récolte de bois-énergie nous permet de payer les travaux afin qu'ils soient faits dans les bonnes conditions pour la préservation des sols. Ce type de travaux coûte cher et nous ne serions pas en capacité de les payer sans ce que l'on tire du bois-énergie, ça fait partie de l'économie du système."

Les trois quarts des forêts françaises appartiennent à des propriétaires privés

S'il constitue un exemple particulièrement intéressant de fonctionnement vertueux, le bois-énergie produit par l'ONF ne représente cependant qu'une petite partie de l'approvisionnement de la filière. "La forêt française, c'est un total d'à peu près 16 millions d'hectares, resitue Fabien Balaguer. Les trois quarts sont aux mains de propriétaires privés, le dernier quart est géré par l'ONF et est constitué en majeure partie de forêts de récréation."

L'essentiel de la biomasse consommée en France, que ce soit à titre individuel ou collectif, est donc fourni par des particuliers ou par des entreprises possédant des propriétés forestières. "Ces 12 millions d'hectares privés appartiennent à 3,5 millions de propriétaires différents, ce qui veut dire qu'il y a un morcellement très important", précise l'agronome. Inévitablement, cette diversité complexifie l'objectif d'un approvisionnement durable de la filière.

Des plans de gestion pour éviter les dérives

Pour les plus importantes parcelles, dépassant les 25 hectares, la coupe du bois est ainsi régie par des plans de gestion. "C'est quelque chose d'assez encadré, mais d'assez basique, explique Fabien Balaguer. Le principe est de définir la quantité de bois utilisable sur une parcelle pour que ce soit durable, en estimant le gisement disponible, le taux d'accroissement annuel, mais aussi en respectant la physiologie de l'arbre au moment où on le coupe."

Dans un contexte où la filière bois-énergie est principalement alimentées par ces grandes parcelles, ce cadre légal constitue selon l'agronome une garantie que l'approvisionnement ne tourne pas à la déforestation. "Il n'y a pas forcément les moyens du contrôle systématique, mais les règles qui existent ne permettent pas de tout faire, certifie Fabien Balaguer. Ce n'est pas parce que la forêt est à vous que vous pouvez, du jour au lendemain, décider de tout couper."

"Il y a tout de même des dérives, reconnaît l'agronome, mais ce sont beaucoup de cas isolés, pas très professionnels, non officiels en tout cas. Quand vous avez des filières qui ont des schémas d'approvisionnement, des contrats, c'est plus encadré et plus facile à analyser pour voir où sont les marges de progrès." La situation actuelle est cependant loin de correspondre à cet idéal, l'essentiel des investissements récents dans le bois-énergie ayant davantage concerné l'aval (les chaudières et autres appareils de combustion) que l'amont (l'approvisionnement en bois).

Une filière à structurer

A l'échelle individuelle, on peut citer les incitations financières déployées par l'Etat pour l'achat de dispositifs de chauffage au bois. A l'échelle collective, l'essor de la filière a suivi les mêmes tendances, avec d'importantes subventions en bout de chaîne. "Les principales entreprises du secteur (Engie, Dalkia, Idex) sont chargées de monter des chaudières et organisent ensuite les approvisionnements, résume Fabien Balaguer. Des contrats sont passés avec les filières forestières, qui doivent fournir un volume annuel donné de bois. Il y a des intermédiaires évidemment, sur des métiers bien particuliers comme le transport, le broyage ou le stockage."

"En France, il y a encore beaucoup le besoin de structurer ces filières officielles qui fonctionnent souvent en flux tendu, affirme l'agronome. S'il devait y avoir une politique de développement durable autour de cette question du bois-énergie, il faudrait mettre beaucoup plus l'accent sur le financement du développement et de l'organisation de la filière que sur celui des chaudières en bout de chaîne. On peut se dire qu'en finançant les chaudières, tout le reste va se mettre en place tout seul, mais c'est à mon avis très illusoire."

En cumulant les différents plans de relance en cours en France, le total des subventions annoncées pour la forêt avoisine ainsi les 200 millions d'euros, tandis que l'Etat a annoncé un total dépassant 520 millions d'euros pour le fonds chaleur, dans le but de rénover les installations. Une répartition trop déséquilibrée, selon Christine Deleuze : "Il faudrait mettre davantage d'argent pour les entreprises de travaux forestiers, qui sont des toutes petites structures fragiles et dont on a besoin pour faire des travaux complexes, adaptés aux contextes forestiers, respectueux des sols."

Comment mieux orienter les subventions ?

"C'est un problème politique, assure Fabien Balaguer. Aujourd'hui, il y a de la subvention à peu près partout, mais il faudrait les réorienter pour développer, former et mettre en place des animateurs de filières, dont le rôle sera de coordonner le processus d'approvisionnement, c'est-à-dire d'envoyer les bonnes machines et les bonnes personnes au bon moment, sur les bonnes ressources. C'est du pilotage et cela se fait à l'échelle d'un territoire." Pour l'agronome, cette dimension nécessairement locale de la ressource bois est cependant menacée par un phénomène d'uniformisation.

"Depuis 60 ans, toutes les dérives forestières et agricoles sont les mêmes : quand vous standardisez pour avoir des produits qui sont tous pareils, vous sortez de la logique du développement durable, décrit Fabien Balaguer. En quelque sorte, dans la filière forestière, l'amont est prisonnier de l'aval, qui veut quelque chose de très standardisé. Une abatteuse aujourd'hui coûte tellement cher que pour être rentabilisée, elle doit fonctionner dix heures par jour, 300 jours par an. Quand on en est là, c'est difficile d'espérer avoir une foresterie adaptée au contexte."

L'UE se prononce en faveur de "critères plus stricts" pour les récoltes de bois

On l'aura compris, les solutions existent pourtant, mais dépendent beaucoup de choix politiques en matière de subventions. Dans le cadre de la dernière révision de la directive RED 3, relative aux énergies renouvelables, l'UE semble d'ailleurs avoir fait un pas dans cette direction. "Les députés ont plaidé en faveur de critères plus stricts sur l’utilisation de la biomasse afin de s’assurer que l’UE ne subventionne pas les pratiques non durables, affirme ainsi un communiqué de presse du Parlement européen. Les récoltes devront être menées en évitant de nuire à la qualité des sols et à la biodiversité."

Les modalités concrètes d'application de cet engagement restent à définir, mais l'enjeu est clairement posé. Pour que la biomasse reste une énergie renouvelable, tout en soutenant une demande croissante, l'approvisionnement de la filière va devoir être pensé sur le moyen terme et les bonnes pratiques vont devoir devenir la norme. Si ces conditions sont remplies, le bois-énergie pourrait constituer un atout précieux pour continuer à diminuer les émissions de CO2, mais aussi pour aider les forêts à s'adapter à l'inévitable nouvelle donne climatique.

Le bois-énergie, un allié pour adapter les forêts au réchauffement climatique ?

"Il y aujourd'hui un réel enjeu d'adaptation des forêts, alerte Christine Deleuze. Le réchauffement climatique va dix fois plus vite que la migration des espèces d'arbres. On a déjà des forêts qui sont menacées et qui dépérissent, notamment dans le Grand Est et on en aura davantage demain. Sur notre surface de forêt publique, on sait que 30% sont menacées à court terme, c'est-à-dire 30 ans. Il faut agir rapidement pour adapter ces forêts et migrer des essences provenant du Sud pour avoir à terme des peuplements plus résilients."

Le problème concerne d'ailleurs autant les grandes exploitations que les parcelles plus modestes, souvent laissées en libre évolution. Selon l'IGN, 50% des espaces forestiers privés français ne sont ainsi pas régis par un plan de gestion. "Il y aurait des choses à faire, comme implanter de nouveaux peuplements ou valoriser certaines essences, glisse Christine Deleuze, et le bois-énergie pourrait être une opportunité pour faire des opérations et faire avancer la forêt."

Tenter de préserver à tout prix ces forêts en l'état reviendrait en effet à les condamner. "Si on met la forêt sous cloche, parce qu'on dit qu'il faut arrêter de couper, on prend le risque que ça dépérisse d'un coup, prévient la chercheuse de l'ONF. Et dans ce cas, au mieux, ce sera exploité en bois-énergie, et au pire, ça partira en incendie et ce sera perdu à tous les niveaux. Il faut être conscient qu'aujourd'hui, c'est un risque énorme qu'on fait peser sur la forêt si on ne fait rien." Ainsi, dans certains cas de figure, couper et brûler du bois pourrait bien constituer le meilleur moyen... de sauver la forêt.

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