Bernard Tapie contre l'extrême droite, l'engagement d'une vie

Le leader du Front National Jean-Marie Le Pen et le député des Bouches du Rhône Bernard Tapie s'installent, en 1994, sur un plateau de France Télévision à Paris, avant de participer à un débat politique. - Georges Bendrihem
Le leader du Front National Jean-Marie Le Pen et le député des Bouches du Rhône Bernard Tapie s'installent, en 1994, sur un plateau de France Télévision à Paris, avant de participer à un débat politique. - Georges Bendrihem

Bernard Tapie, mort ce dimanche des suite d'un cancer, aura passé les huit années de sa vie politique à affronter Jean-Marie Le Pen régulièrement sur des plateaux de télévision. Jusqu'au bout, l'ancien ministre de la Ville n'aura cessé d'attaquer le Rassemblement national. Retour sur ce duel.

L'entrée dans la vie politique de l'homme d'affaires coïncide avec le début du second mandat de François Mitterrand à l'Élysée en 1988. Fraîchement réélu, le chef de l'État décide de dissoudre l'Assemblée nationale dans l'espoir de s'assurer une majorité aux législatives.

Tapie désigné pour battre le FN

Jean-Marie Le Pen, qui a multiplié les bons scores électoraux lors des dernières élections, décide de viser la députation à Marseille. En filigrane, le frontiste pense à conquérir la Cité phocéenne pour les prochaines municipales.

La ville est aux mains de Gaston Defferre, un intime de la mitterrandie. Pas question pour le parti socialiste de prendre le moindre risque de défaite. L'Élysée a déjà repéré le charismatique entrepreneur qui a repris l'Olympique de Marseille deux ans plus tôt et qui souhaite s'engager en politique. Le patron du club est donc investi.

Bernard Tapie a beau ne pas se présenter dans la même circonscription que celle du patron du FN, c'est le début d'une relation mouvementée entre les deux hommes.

Castagne télévisuelle

Quelques mois plus tard, TF1 organise un débat sur l'immigration entre les principaux partis politiques. Quand la chaîne leur apprend que l'élu frontiste y participe, tous se désistent. L'entrepreneur, devenu entre-temps député, propose, lui, sa participation à la chaîne de télévision.

Spectacle assuré.

- "Ce n'est pas parce que vous avez une grande gueule et que vous criez fort que vous y arriverez... tance l'homme d'affaires. - Soyez poli. Vous êtes sorti des bas-fonds mais soyez poli, lui répond vertement Jean-Marie Le Pen. - Ce n'est pas parce que vous parlez fort que ce que vous dites est vrai. Parce que vous dites n'importe quoi", s'énerve alors le dirigeant de l'OM.https://www.youtube.com/embed/dwcv0wfe0m8?rel=0

L'échange a fait grande impression à Jean-Marie Le Pen. "Nous sommes millionnaires l'un et l'autre: moi en voix, lui en dollars", avait-il jugé, comme le rapporte L'Express.

"Salauds" d'électeurs

Trois ans plus tard, c'est le retour du combat entre les deux hommes, à nouveau dans le sud de la France. À l'occasion des élections régionales en Provence-Alpes-Côte d'Azur, trois listes s'affrontent: une liste RPR-UDF menée par Jean-Claude Gaudin, une liste FN, et une liste "Energie Sud", conduite par Bernard Tapie.

Celui qui est devenu un charismatique ministre de la Ville cible à nouveau l'extrême droite. Cette fois-ci, il monte d'un cran en s'attaquant directement aux électeurs. Pendant la campagne, le parlementaire décide de se rendre dans un meeting du parti.

Quand Bruno Gollnish, l'un des proches de Jean-Marie Le Pen, apprend que le candidat est dans la salle, il lui propose de venir s'exprimer à la tribune. Le politique y tient un discours qui secoue la salle.

"Les immigrés, il faut tous les mettre dans des bateaux", explique l'élu au micro. Il est alors acclamé par la salle. "Et quand ils sont assez loin, on les coule", continue-t-il, sous les acclamations du public. Bernard Tapie change finalement de ton: "j'ai parlé d'un massacre, d'un génocide, et vous avez applaudi. Demain matin, quand vous vous regarderez dans la glace, gerbez-vous dessus", avait-il conclut, comme le rapporte France Culture.

Des gants de boxe

Rebelote en 1994 où, à la faveur des élections européennes, Jean-Marie Le Pen et l'homme d'affaires débattent à nouveau l'un face à l'autre dans une séquence restée célèbre. Paul Amar, le présentateur du 20 Heures de France 2, qui reçoit les deux hommes, sort des gants de boxe d'un sac Décathlon et leur propose de les enfiler. La méthode déplaît à l'ancien ministre, qui lui répond sèchement: "la politique, c'est sérieux".

Deux ans plus tard, après un score aux européennes de 12,4%, à seulement deux points de celui de Michel Rocard, le candidat officiel du PS, Tapie est contraint d'arrêter la politique pour cause de poursuites judiciaires.

Ce retrait n'empêchera pas le businessman de continuer sa lutte contre le FN. En 2014, il juge Marine Le Pen, qui a succédé trois ans plus tôt à son père, "cynique" et ses propositions "ridicules" sur Europe 1.

Discret ces dernières années sur la scène médiatique, l'homme d'affaires a pris le temps en juin dernier de prendre sa part contre ce qu'il continue d'appeler "le combat contre les fachos" lors des élections régionales en Paca.

Faire perdre Thierry Mariani

À l'issue d'une campagne très mouvementée, trois candidats peuvent finalement se maintenir au second tour: Thierry Mariani (RN), le président sortant Renaud Muselier (LR), et Jean-Laurent Félizia, le candidat écologiste.

Si les appels au retrait de la candidature du dernier se multiplient pour faire "barrage" à l'extrême droite, c'est le coup de fil de Bernard Tapie qui est décisif.

L'ancien politique passe une heure au téléphone à discuter avec le membre d'EELV qui finit par annoncer, quelques heures plus tard, son retrait.

"Il m'a dit de ne pas attendre dans mon maintien une heure de gloire. (...) Sache que, si tu t'arrêtes là, c'est ce qu'on retiendra de cette aventure électorale et de ce geste. (...) J'ai compris à ce moment-là qu'il y avait un intérêt général qui me dépassait", explique à notre micro Jean-Laurent Félizia.

Malgré ces relations tendues, Jean-Marie Le Pen a salué "le caractère exceptionnel de la personnalité" de Bernard Tapie sur Twitter après l'annonce de sa mort. Marine Le Pen, elle, s'est contentée, d'adresser ses condoléances à ses proches.

Article original publié sur BFMTV.com