Belgique : Salah Abdeslam risque-t-il vraiment de ne pas purger sa peine pour le 13-Novembre en France ?

La cour d’appel de Bruxelles a interdit temporairement le transfert de Salah Abdeslam en France, avec le risque qu’il ne purge plus sa peine de prison à perpétuité.

BELGIQUE - Une décision difficilement compréhensible d’un point de vue français. La cour d’appel de Bruxelles a interdit cette semaine, en référé « sous le bénéfice de l’urgence », de renvoyer Salah Abdeslam en France pour qu’il y purge sa peine de perpétuité incompressible pour les attentats du 13 novembre 2015. Le terroriste, qui avait refusé de faire appel en France, est actuellement emprisonné dans l’établissement pénitentiaire de Haren, dans la capitale belge.

Cette interdiction temporaire a suscité un tollé auprès des victimes du 13-Novembre. « C’est une nouvelle terrible pour les 131 victimes et les proches des victimes des attentats du 13 novembre 2015. Incompréhensible et difficilement supportable ! », écrit l’association 13onze15, sur X (anciennement Twitter). Arthur Dénouveaux, le président de l’association Life for Paris, évoque une décision « moralement inacceptable ». « Ainsi la justice belge efface une partie du verdict de V13. Le sens du procès s’en trouve forcément affecté », abonde-t-il.

Dans Marianne, l’avocat pénaliste Gérard Chemla, présent du côté des victimes au procès des attentats, dénonce une décision de la part d’un État « réputé pour son total laxisme en matière de gestion des peines de prison », qui « donne l’impression qu’on est en train de remettre en scène le prochain attentat ». « Et maintenant, on vient nous donner des leçons de droits de l’Homme », s’insurge-t-il.

Comment Bruxelles en arrive à cette décision

La chronologie judiciaire est particulièrement friande de technicité et de chausse-trappes, mais de fait la décision de Bruxelles revient à se demander si la justice française est conforme aux droits de l’Homme, tels que l’entend le droit européen.

Pour rappel, Salah Abdeslam a été arrêté en Belgique en mars 2016, seulement quatre jours avant les attentats de Bruxelles dans lesquels il était également impliqué. Il a ensuite été transféré en France pour enquête et procès, avant de retourner en Belgique pour le procès des attentats de 2016. Cette fois, la justice belge a refusé d’ajouter une nouvelle peine de perpétuité, jugeant la française suffisante. Il a été donc été condamné aux assises belges à 20 ans de prison.

Début septembre, ses avocats ont demandé au tribunal civil de Bruxelles d’interdire son renvoi en France. Au cœur de leurs demandes, les conditions de détention en France de leur client : vidéosurveillance 24 heures/24, seul dans une cellule de 9 m2. Les avocats du jihadiste ont souligné aux assises de Bruxelles que dans une prison belge, « il peut recevoir la visite de ses proches », et bénéficie de « meilleures conditions en vue de sa resocialisation », « l’objectif d’une condamnation ».

Déboutés en première instance, ils ont fait appel. Cette fois, dans son arrêt, que l’AFP a pu consulter, la cour d’appel de Bruxelles estime qu’il y a bien un risque de violation de plusieurs articles de la Convention européenne des droits de l’Homme en matière de « peines ou traitements inhumains ou dégradants » (art.3) et au droit de chacun au « respect de (sa) vie privée et familiale ».

Une peine contraire au droit européen ?

Pour Damien Scalia, professeur de droit à l’ULB, contacté par Le HuffPost, c’est en fait la notion de peine incompressible qui se trouve au cœur de cette décision. En France, Salah Abdeslam a été condamné à la perpétuité avec une peine de sûreté incompressible. Une peine rarissime prononcée seulement quatre fois depuis 1994, ainsi que le relevait Libération. Cela veut dire que ce n’est qu’au bout de 30 ans qu’il pourra demander à être libéré – contre 20 ans en Belgique.

En 2014, la Cour européenne a bien validé le droit français, mais dans le même temps, elle a aussi dit que la tendance en la matière était plutôt de 25 ans.

Pour Damien Scalia, qui a eu accès à une partie du référé, la juge a interprété au plus protecteur : « Ce que la juge de la cour d’appel dit, c’est que les conditions posées dans l’arrêt qui a condamné Salah Abdeslam en France, pour avoir accès à cette libération possible après 30 ans, ne sont de facto pas accessibles. Ce qui veut dire qu’il y a bien une possibilité juridique de demander une libération mais que dans les faits elle ne le lui sera jamais accordée. En se basant sur cette argumentation, la juge dit qu’il peut donc s’agir d’une peine contraire au droit européen ».

Quels recours et quelle peine pour Salah Abdeslam ?

Laquelle des peines effectuera-t-il et où ? La réponse est loin d’être tranchée même si le tribunal de Bruxelles doit se saisir du dossier le 17 octobre. « Le tribunal sera amené à se prononcer sur le fond et sur l’entièreté de la décision. Il peut confirmer ou infirmer l’interdiction du transfert en France, mais selon moi il va plutôt le confirmer car la juge rappelle le droit européen. Cela peut prendre des mois, voire des années », prévient Damien Scalia. Ironie terrible, la Belgique a récemment été condamnée au niveau européen pour la lenteur de ses procédures.

La difficulté, comme ne manque pas de la pointer Gérard Chemla auprès de Marianne, est qu’il n’y a pas de partie civile dans une affaire d’extradition. « La justice belge trahit l’engagement qui avait été pris par le gouvernement et la justice de ce pays concernant la restitution de Salah Abdeslam », tonne-t-il.

L’État belge pourrait-il outrepasser la justice dans un dossier si inflammable et décider de lui-même de renvoyer Salah Abdeslam en France ? « Il l’a déjà fait avec des extraditions pour les États-Unis. Le politique belge parfois ne suit pas toujours l’État de droit », pointe Damien Scalia. Là encore, il n’est pas dit que l’affaire échappe aux enjeux diplomatiques : les avocats du terroriste condamné pourraient décider de porter l’affaire directement au niveau européen.

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