La BCE se prépare à l'éventualité d'un QE sans la Bundesbank

LA BCE SE PRÉPARE À L'ÉVENTUALITÉ D'UN QE SANS LA BUNDESBANK

par Francesco Canepa et Balazs Koranyi

FRANCFORT (Reuters) - La Banque centrale européenne (BCE) est en train d'élaborer des procédures qui lui permettraient de poursuivre la mise en oeuvre de ses programmes d'achats d'actifs sur les marchés sans la Bundesbank au cas où la cour constitutionnelle allemande obligeait cette dernière à se retirer de ce dispositif, a-t-on appris de quatre sources distinctes.

Dans le pire des cas, la BCE lancerait une procédure judiciaire sans précédent contre la Bundesbank (Buba), son premier actionnaire, pour l'obliger à participer de nouveau aux programmes, ont ajouté ces sources, qui ont requis l'anonymat.

La cour constitutionnelle allemande a donné jusqu'à début août à l'institution dirigée par Christine Lagarde pour justifier ses achats massifs d'obligations d'Etat, faute de quoi la Bundesbank devrait cesser de participer à ces opérations, alors qu'elle assume en théorie plus d'un quart des achats globaux de l'Eurosystème.

Une majorité des personnes interrogées ont dit s'attendre à ce que le défi juridique que constitue la décision allemande soit résolu par la Bundesbank elle-même en démontrant que la politique mise en cause est appropriée et en répondant aux interrogations sur ses effets indésirables.

Néanmoins, les équipes de la BCE et celles des banques centrales nationales se préparent à ce que l'une des sources a qualifié d'"incroyable": un scénario dans lequel la cour allemande interdirait bel et bien à la Bundesbank de prendre part aux achats.

Dans ce cas, la BCE ou (ce qui est moins probable) les autres banques centrales nationales assumeraient les quotas d'achats de la Buba dans le cadre du Public Sector Purchase Programme (PSPP), le programme mis en cause par la cour allemande, et achèteraient donc des obligations allemandes, ont expliqué les sources.

Les projets en cours d'élaboration ne sont pas finalisés et n'ont pas encore fait l'objet de débats au sein du Conseil des gouverneurs, ont-elles ajouté.

Des porte-parole de la BCE et de la Bundesbank ont refusé de commenter ces informations.

INCONCEVABLE D'ARRÊTER LES ACHATS DE TITRES ALLEMANDS

Si d'autres banques centrales que la Buba achetaient des obligations d'Etat allemandes, elles enfreindraient le principe du "non partage des risques" sur lequel la Bundesbank avait insisté au lancement du programme en 2015 et selon lequel chaque banque centrale nationale achète des titres de son propre pays.

La BCE a ralenti ses achats d'obligations allemandes depuis le début de la pandémie de coronavirus pour concentrer ses efforts sur l'Italie, sous pression sur le marché obligataire.

Les achats de titres souverains allemands par la Bundesbank n'ont représenté que 628 millions d'euros en avril, soit 2,3% seulement des achats totaux réalisés dans le cadre du PSPP ce mois-là.

Mais même si la Bundesbank ne participe plus à la mise en oeuvre du PSPP, il est hors de question que les achats de titres allemands soient totalement interrompus car ils restent la référence pour l'ensemble de la zone euro pour les investisseurs privés. De plus, une telle évolution ne manquerait pas d'alimenter les spéculations sur le risque d'éclatement de la zone euro.

Parallèlement, la BCE lancerait probablement une procédure d'infraction contre la Bundesbank pour manquement à ses obligations de membre de l'Eurosystème si elle cessait d'acheter des obligations d'Etat, ont dit les sources.

Le dossier pourrait alors remonter jusqu'à la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), ce qui serait une première depuis la naissance de l'euro en 1999.

La CJUE a déjà validé le PSPP en 2018 mais sa décision a été écartée par la cour institutionnelle allemande.

(Version française Marc Angrand, édité par Jean-Michel Bélot)