Aux Baumettes à Marseille, un restaurant bistronomique en prison

RÉINSERTION - Tartare de daurade et crumble d’agneau évoquent un restaurant gastronomique. Mais aux « Beaux mets », le client déguste des plats préparés par des détenus, sous l’œil d’un surveillant, entre les murs d’une prison de Marseille, dans le sud de la France.

Séparé du monde extérieur par deux portes infranchissables, un étage au-dessus des cellules, dans la célèbre prison des Baumettes, le restaurant dévoile une décoration intimiste, aux banquettes de velours. Comme vous pouvez le voir dans la vidéo ci-dessus, la petite salle d’une quarantaine de couverts a ouvert ses portes ce mardi 15 novembre.

L’un d’eux, préposé aux cocktails ce jour-là, affiche un grand sourire. « Quand je suis au restaurant, j’oublie la détention, je suis dehors dans ma tête, et le soir je me couche fatigué mais heureux, avec l’envie d’être déjà au lendemain », dit-il.

Comme douze autres détenus de la structure d’accompagnement vers la sortie (SAS), réservée aux personnes définitivement condamnées et en fin de peine, il a intégré les Beaux mets dans le cadre d’un chantier d’insertion professionnelle porté par l’administration pénitentiaire et l’association Festin.

« La sortie est très attendue mais plus difficile que ce qu’on imagine, explique Christine Charbonnier, secrétaire générale de la direction interrégionale des services pénitentiaires. L’idée de la SAS c’est que le détenu se prépare à la vie dehors. »

C’est en visitant la prison de Bollate, à Milan, et son restaurant tenu par des détenus, que l’administration pénitentiaire a imaginé les Beaux mets, comparable aussi au restaurant « The Clink » de la prison londonienne de Brixton.

Des détenus « deux fois plus volontaires »

« La cuisine nécessite de l’organisation, de la rigueur, des choses importantes pour remobiliser des personnes éloignées de l’emploi », assure Armand Hurault, directeur de l’association Festin.

Malgré leur inexpérience, les détenus préparent des plats « bistronomiques », une offre garantie par ceux qui les encadrent : un maître d’hôtel et Sandrine Sollier, une cheffe passée notamment par le triple étoilé Petit Nice, à Marseille.

À la carte, monochrome végétal, crumble d’agneau, pomme renversante : « La fierté de faire quelque chose d’excellent, c’est un moteur extrêmement important », selon Armand Hurault. Pour une entrée, un plat et un dessert, il faut compter 35 euros par personne.

Dans la cuisine flambant neuve, pas un mot plus haut que l’autre, chacun est à sa tâche. « La discipline peut s’acquérir sans force, ils sont assez brimés comme ça au quotidien », explique Sandrine Sollier, selon qui les détenus sont « deux fois plus volontaires » que des commis bien plus expérimentés.

Seule contrainte spécifique à la détention, reconnaît-elle : les deux armoires à couteaux, fermées à clé. « Chaque matin et chaque soir, je les recompte », précise-t-elle.

Changer le regard sur la détention

Sur l’inox immaculé du plan de travail, Jeffrey Sandiford, 31 ans, coupe minutieusement en tranches une patate douce cuite. Il est l’un des seuls à revenir à son métier d’origine, appris à l’armée. « Je ne voulais pas perdre l’habitude du travail », souligne-t-il.

Il apprécie que Sandrine Sollier ne le voie pas « comme un détenu mais comme un membre de l’équipe ». Ce restaurant, « ça va prouver que certains détenus peuvent s’en sortir ».

Le projet vise aussi à changer le regard sur la détention, « souvent assez caricatural, prison 4 étoiles pour les uns et honte de la République pour les autres », déplore Christine Charbonnier, secrétaire générale de la direction interrégionale des services pénitentiaires qui souhaite réconcilier « le dedans et le dehors ».

Le restaurant est ouvert du lundi au vendredi, le midi seulement. Inscription obligatoire 72 heures avant sur le site internet du restaurant, le temps pour l’administration pénitentiaire de vérifier l’identité et le casier judiciaire de chaque client.

À son arrivée, chacun devra passer par un portique de sécurité et laisser dans un casier son téléphone portable, ses clés, ses espèces, le temps d’un repas sans alcool, dégusté sous l’œil discret d’un surveillant de prison. « Des conditions contraignantes, oui, mais pour une expérience unique », reconnaît Armand Hurault, directeur de l’association Festin qui milite pour la réinsertion professionnelle via la cuisine.

Côté personnel, le bilan est déjà très positif. Kamel, 21 ans, passe d’une table à l’autre avec aisance. « J’en ai fait des jobs dans ma vie, mais j’ai jamais vraiment apprécié, là il y a un plaisir », décrit timidement le jeune homme.

Bien que très à l’aise dans son rôle de serveur, il n’oublie pas la réalité de sa situation. « Ce n’est pas cet uniforme qui me fait oublier qu’à 17 h 00 je vais rentrer en cellule », explique-t-il. Mais les Beaux mets lui donnent de l’espoir pour l’avenir. « Sortir pour refaire des conneries, non, pour envisager d’être serveur ou travailler dans la restauration, oui ! ».

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