Bac 2023 : comment la vidéo d'un tiktokeur a inspiré de nombreuses copies de philo

De nombreux correcteurs ont constaté la présence dans les copies de références issues d'une même vidéo du professeur de philosophie et tiktokeur Serial Thinker. Le symbole d'une nouvelle approche des révisions ?

Professeur de philosophie en Mayenne, Pascal Jacob a vu double au moment de corriger l'épreuve de cette année. Sur son lot de 119 copies, un tiers de celles ayant choisi le sujet sur le bonheur - "le bonheur est-il affaire de raison?" - reprenaient les éléments, références, citations et exemples d'une vidéo du tiktokeur Serial Thinker. "C'était presque du mot à mot", assure-t-il à BFMTV.com.

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"Les copies sur le bonheur que j'ai corrigées portaient pour beaucoup sa patte", abonde Clémentine Gourdon, professeure de philosophie à Montargis. Les élèves "nous en parlent, demandent si on le connaît", observe Valentin Husson, professeur de philosophie au lycée et à l'Université de Strasbourg.

"Dans les copies du bac, et même durant l'année, il font explicitement référence au contenu de cette chaîne", assure-t-il à BFMTV.com.

Le bonheur en 3 minutes

De quoi est-il question exactement? Du tiktokeur et youtubeur Serial Thinker et plus précisément de sa vidéo de trois minutes consacrée au bonheur, qui a d'ailleurs été évoquée en réunion d'harmonisation. Ce professeur de philosophie en disponibilité - de son vrai nom Lev Franckel - est l'auteur de nombreuses vidéos, diffusées sur les réseaux sociaux, consacrées à la discipline.

Il a ainsi réalisé des vidéos de trois minutes consacrées à chacune des notions au programme, dont le bonheur. Mais aussi des contenus de moins de deux minutes sur les "cinq défauts qui énervent le correcteur" ou les "cinq erreurs fatales au bac de philo".

Un modèle qui semble séduire les lycéens et lycéennes. "J'avais regardé plusieurs fois sa vidéo 'Tout le programme du bac philo en une heure'", confie Youna, une élève de terminale qui a justement choisi de plancher sur le bonheur. "Ça donne un condensé d'informations et ça permet d'ancrer les connaissances."

Parmi les nombreuses références de sa copie: Epicure et Kant, justement cités dans la vidéo du prof tiktokeur. Ce que déplore le correcteur Pascal Jacob, qui regrette une uniformisation des copies. "Les élèves reprennent ces références sans réflexion, sans élément de recul", constate-t-il.

"Ils ne parviennent pas à comprendre la spécificité de la philosophie. On ne leur demande pas de réciter mais de réfléchir. Ces vidéos ont été conçues comme des petites introductions, mais les élèves s'en sont contentés."

500.000 vues la veille

Le professeur tiktokeur confirme l'attrait des lycéens pour ses contenus. La veille du bac philo, sa vidéo sur le bonheur a ainsi enregistré un pic à 500.000 vues - sur un total d'un million. Mais il tient à préciser qu'au moment de l'épreuve, la vidéo n'a quasiment pas été visionnée.

Lev Franckel, également auteur de La philo en mode Serial Thinker qui aborde les notions au programme, juge injustifiées les critiques. "Quand je corrigeais les copies du bac, je constatais toujours les mêmes problèmes: dans deux copies sur trois, les candidats n'avaient pas retenu un seul auteur", se souvient-il pour BFMTV.com.

"La plupart des élèves sont paumés", estime-t-il. "Souvent, à la fin de l'année, ils se retrouvent avec un paquet de cours qu'ils ne comprennent pas."

C'est le cas de Divine qui, à l'heure des révisions, s'est retrouvée devant des pages et des pages de notes "assez brouillonnes". "Je ne savais pas comment m'y prendre." Durant l'année, sa classe travaillait sur des textes. Pour chaque auteur, explique la jeune fille à BFMTV.com, "il y avait plusieurs notions et on devait nous-même faire les liens".

Face à des cours "pas clairs" - "c'était la cata, je ne connaissais rien" - la lycéenne a donc réalisé des fiches sur chacune des 17 notions au programme à partir de vidéos de professeurs de philo, dont Serial Thinker.

Avec des contenus clairs de trois minutes par notion, "les élèves ont au moins quelques connaissances et quelques exemples pour leur dissertation", se défend-il. Ajoutant: "On ne peut pas tellement demander plus à un élève qui n'a même pas un an de philosophie derrière lui."

Et que les élèves se soient inspirés de la vidéo du prof tiktokeur ou non, l'aspect uniforme des copies n'a rien de surprenant, considère Adinel Bruzan, professeur de philosophie à Dieppe et membre du syndicat du Sgen-CFDT. "En classe, quand on aborde une notion, il y a des points d'appui et des auteurs récurrents", note-t-il. Dont Kant et Epicure sur le bonheur.

"Pour faire la différence entre les désirs naturels et non nécessaires, on peut évoquer le caviar, l'immortalité, la gloire, ce qui a été largement cité dans les copies", remarque-t-il. "Ce sont des poncifs et des exemples qui reviennent de façon récurrente."

"L'Annabac de la nouvelle génération"

La promesse de Serial Thinkeur semble en tout cas efficace, à en croire certains correcteurs. La professeure de philosophie Clémentine Gourdon remarque en effet que le sujet sur le bonheur a globalement écopé d'une meilleure moyenne que les autres - entre 13 et 14/20 pour son lot. Également tiktokeuse philo, elle considère que son activité sur les réseaux sociaux, comme celle de Lev Fraenckel, est "d'intérêt public".

"Nous ne faisons que vivre avec notre temps, ou plutôt celui des élèves", estime-t-elle.

"Autrefois, nous avions nos Annabacs pour bachoter", abonde le professeur de philosophie Valentin Husson. "Aujourd'hui, nos jeunes élèves ont des écrans."

"Lev Fraenckel s'inscrit pleinement dans cette nouvelle ère et cette mutation structurelle. Il est, au fond, l'Annabac de la nouvelle génération."

Ce dont se félicite cet enseignant. "Les élèves révisent avec un professeur de philosophie compétent, qui a de grandes qualités pédagogiques et qui réussit à ramasser en quelques minutes, en toute clarté et profondeur, les notions de philosophie du programme."

Il n'en reste pas moins que pour l'année prochaine, Lev Fraenckel envisage des formats plus longs avec davantage d'exemples, "pour éviter que la même chose ne revienne trop souvent dans les copies".

Article original publié sur BFMTV.com

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