Avant la mort de Nahel, toutes ces fois où les vidéos ont permis d’authentifier les violences policières

Toutes ces fois où les vidéos ont permis d’authentifier les violences policières (photo d’illustration tirée de la vidéosurveillance du studio de musique de Michel Zecler)
Toutes ces fois où les vidéos ont permis d’authentifier les violences policières (photo d’illustration tirée de la vidéosurveillance du studio de musique de Michel Zecler)

POLITIQUE - 10 secondes de vidéo. Et une photo à la Une des quotidiens. La mort du jeune Nahel, 17 ans, tué par un policier lors d’un refus d’obtempérer mardi 27 juin à Nanterre dans les Hauts-de-Seine, provoque une onde de choc dans le pays, et entraîne son lot de réactions en chaîne : plusieurs villes ont connu deux nuits d’émeute, tandis que le débat politique se polarise à nouveau sur les pratiques et les dérives de la police.

Ce drame rappelle, en ce sens, le rôle joué par les images dans le retentissement de ces affaires. D’autant plus quand elles viennent, comme ce fut le cas ici, contredire les versions établies. Selon le premier récit avancé par certains médias, de sources policières, le conducteur avait foncé sur les deux motards, ce qui ne correspond pas à la vidéo publiée par un témoin quelques minutes plus tard sur les réseaux sociaux.

« L’enregistrement sonore ou vidéo est fondamental, c’est l’attestation de la preuve, analyse Arnaud Mercier, professeur en communication dans les colonnes du Parisien, pour expliquer la force des images, il n’y a d’émotion partagée, populaire, traversant l’ensemble de la société, uniquement lorsqu’il y a des preuves. » Retour sur des affaires de violences policières où les vidéos ont joué un rôle fondamental.

Michel Zecler, le producteur tabassé

21 novembre 2020. Michel Zecler est passé à tabac par plusieurs policiers dans son studio de musique à Paris. La scène captée par la vidéo de surveillance et par des voisins - à l’opposé de la version des policiers qui justifient le contrôle du producteur noir par une « absence de port du masque » et une « forte odeur de cannabis » (seul 0,5 g sera retrouvé) - indigne le pays.

Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin fustige immédiatement une scène « inqualifiable, extrêmement choquante », avant que le président de la République ne prenne la parole pour expliquer que « ces images nous font honte. ». Emmanuel Macron convoquera, quelques semaines plus tard, le « Beauvau de la sécurité. » Un grand raout de la police sur plusieurs mois, pour répondre à un malaise et à une fracture croissante avec la population.

Signe supplémentaire de ce retentissement particulier, plusieurs sportifs se fendent de réactions sur les réseaux sociaux, à l’image de ce qui a pu être observé en lien avec la mort du jeune Nahel. A l’époque déjà, Kylian Mbappé dénonce « une vidéo insoutenable » et « des violences inadmissibles ». « S’il n’y avait pas eu les vidéos, je serai en prison. Même ma mère ne m’aurait pas cru », affirme pour sa part Michel Zecler, un an après les faits, dans les colonnes du Parisien.

« J’étouffe », à 9 reprises

3 janvier 2020. Un livreur en scooter, Cédric Chouviat, est plaqué au sol avec son casque de moto sur la tête, pendant un contrôle policier à Paris. Il fait un malaise cardiaque et décède deux jours plus tard. Dans l’une des vidéos tournées lors de l’interpellation, on entend l’homme de 42 ans dire « j’étouffe » à neuf reprises, ce qui met à mal la version des policiers, lesquels assurent n’avoir pas entendu.

Au printemps, et alors que la mort de George Floyd aux États-Unis (une affaire qui présente des similitudes avec le décès de Cédric Chouviat) provoque des manifestations en France, Christophe Castaner annonce l’abandon de la technique de la clé d’étranglement. Une décision qui lui attire les vives critiques des syndicats policiers. Ils manifestent et posent menottes à terre, contribuant au départ de « Casta » de la Place Beauvau en juillet 2020.

Les gilets jaunes, la guerre des images

Octobre 2018. Les vidéos des manifestations de gilets jaunes inondent les réseaux sociaux, trustent les médias, et contribuent un temps à la popularité du mouvement. Les participants se filment des heures durant sur Facebook, et documentent les violences policières dont ils sont l’objet.

On se souvient des nombreuses vidéos de manifestants violentés, des images de Jérôme Rodrigues victime d’un tir de lanceur de balle de défense (LBD) dans l’œil, ou des « allô ? Place Beauvau », du journaliste David Dufresne qui agrège toutes ces images sur Twitter. Le tout en direct. Ce faisant, les gilets jaunes documentent également… Leurs propres exactions.

Christophe Dettinger, pouvait par exemple difficilement échapper à la justice après le retentissement de la vidéo le montrant « boxer » un policier sur la passerelle Léopold-Sédar-Senghor à Paris en janvier 2019. C’est également grâce aux images des manifestants que les gilets jaunes ayant défoncé la porte d’un ministère où se trouvait le secrétaire d’État de l’époque Benjamin Griveaux sont retrouvés et jugés.

« L’affaire Théo »

Avant ces différents dossiers, auxquels on pourrait ajouter l’affaire Benalla, quand ce proche d’Emmanuel Macron est filmé place de la Contrescarpe à Paris en train de frapper un manifestant en mai 2018, les enregistrements vidéo de l’arrestation de Théodore Luhaka ont également joué un rôle dans l’écho donné à son histoire.

« Théo », un jeune homme noir de 22 ans, est grièvement blessé à l’anus par une matraque télescopique le 2 février 2017 lors d’une interpellation dans la cité des 3.000 à Aulnay-sous-Bois en Seine-Saint-Denis. Alors que des policiers tentent de l’immobiliser, le jeune homme se débat puis s’effondre, selon les caméras de surveillance. Il est ensuite emmené hors du champ de la caméra. Indignations et violences urbaines éclatent.

De Théo à Michel Zecler, en passant par Cédric Chouviat… Toutes ces affaires ont été au cœur d’un vif débat en novembre 2020. Gérald Darmanin voulait alors punir d’un an de prison et de 45.000 euros d’amende le fait de diffuser « l’image du visage ou tout autre élément d’identification » d’un policier ou d’un gendarme en intervention dans le but de porter atteinte à son « intégrité physique ou psychique ». Le fameux article 24 de la loi sécurité globale.

Les opposants à cette disposition ont alors dénoncé le risque de jeter un voile sur les interventions de police, exemples de vidéos déterminantes à l’appui. Ils pointaient également le risque « d’autocensure » chez les témoins de violences. Le Conseil constitutionnel a censuré ces dispositions en mai 2021.

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