Au Soudan, que se passe-t-il entre l’armée et les putchistes ?

Une épaisse fumée au-dessus de bâtiments à proximité de l’aéroport de Khartoum, le 15 avril 2023, au milieu d’affrontements dans la capitale du Soudan.
Une épaisse fumée au-dessus de bâtiments à proximité de l’aéroport de Khartoum, le 15 avril 2023, au milieu d’affrontements dans la capitale du Soudan.

SOUDAN - La situation se tend d’heure en heure dans la capitale soudanaise. L’armée a envoyé ce samedi 15 avril son aviation contre les paramilitaires qui disent avoir pris le contrôle de l’aéroport et du palais présidentiel de Khartoum dans l’épisode le plus violent de la rivalité entre les deux généraux aux commandes depuis le putsch. Au moins 56 personnes ont trouvé la mort, a annoncé dimanche une organisation de médecins.

Les Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohamed Hamdane Daglo, dit « Hemedti », assurent tenir l’aéroport international et le palais présidentiel et appellent l’ensemble de la population, parmi laquelle les soldats, à se retourner contre l’armée.

En face, l’armée, dirigée par le général Abdel Fattah al-Burhane, dirigeant de facto du Soudan depuis son coup d’État du 25 octobre 2021, a dit que son aviation menait des « opérations » contre l’« ennemi ».

À Khartoum, des journalistes de l’AFP ont entendu des survols au-dessus de bases des FSR alors que l’armée postait, sur son compte Facebook, la photo de l’une d’elles en feu dans le sud de Khartoum. Les deux camps s’affrontent également aux abords du siège des médias d’État, rapportent des témoins à l’AFP. Lors des combats, trois civils ont été tués dans le pays, dont deux dans la capitale.

Le conflit entre militaires et paramilitaires, latent depuis des semaines, a désormais pris un ton guerrier : l’armée dit « affronter l’ennemi » et parle de « milices » qu’elle accuse de « mensonges » et de « trahison ».

Lors du putsch, Hemedti et Burhane avaient fait front commun pour évincer les civils du pouvoir. Mais au fil du temps, Hemedti - dont de nombreux hommes sont des ex-miliciens formés au combat dans la région du Darfour - n’a cessé de dénoncer le coup d’État.

Récemment même, il s’est rangé du côté des civils - donc contre l’armée dans les négociations politiques - bloquant les discussions et donc toute solution de sortie de crise au Soudan.

L’aéroport international de Khartoum pris par les FSR

Depuis des jours, la rue bruissait de rumeurs sur une guérilla imminente entre les deux camps. Ce samedi matin, Khartoum s’est réveillée au son des tirs à l’arme lourde et légère et des explosions quasi-ininterrompues.

En quelques heures, les FSR ont annoncé avoir pris l’aéroport international de Khartoum, en plein cœur de la capitale, puis le palais présidentiel où siège habituellement le général Burhane, ainsi que le palais réservé aux hôtes de l’État, un aéroport du nord du pays et « d’autres bases dans différentes provinces ».

L’armée dément la prise de l’aéroport mais assure que les FSR s’y sont « infiltrées et ont incendié des avions civils, dont un de la Saudi Airlines ». Elle assure en outre avoir toujours le contrôle du QG de son état-major.

De leur côté, les FSR appellent la population à « se rallier à elles » et affirment aux militaires qu’elles ne « les visent pas eux, mais leur état-major qui les utilise pour rester sur son trône, quitte à mettre la stabilité du pays en péril ».

Les habitants, eux, sont cloîtrés chez eux. « Comme tous les Soudanais, je reste à l’abri », a tweeté l’ambassadeur américain John Godfrey. « L’escalade des tensions entre militaires jusqu’à l’affrontement direct est extrêmement dangereuse. J’appelle les hauts commandants militaires à cesser immédiatement de se battre », a-t-il encore écrit.

Chancelleries et forces politiques affirment s’activer à des médiations depuis plusieurs jours, jusqu’ici sans succès. La France, silencieuse jusqu’alors, estime que « seul le retour à un processus politique inclusif, conduisant à la nomination d’un gouvernement de transition et à des élections générales, peut régler durablement cette crise ».

Le ministère des Affaires étrangères s’est dit, dans un communiqué, « disponible, avec les autres partenaires du Soudan, pour faciliter une sortie de crise et promouvoir une solution politique ». L’ambassade à Khartoum et le centre de crise à Paris sont mobilisés pour assurer la sécurité des ressortissants français, ajoute-t-il.

Le général Daglo réclame sa place au sein de l’état-major

L’armée accuse les FSR d’avoir déclenché les hostilités : « les combats » ont commencé quand les FSR ont attaqué des bases de l’armée « à Khartoum et ailleurs au Soudan », a affirmé à l’AFP le porte-parole de l’armée, le général Nabil Abdallah. L’armée, elle, « accomplit son devoir pour protéger la patrie », a-t-il ajouté.

Les FSR disent elles avoir été « surprises au matin par l’arrivée d’un important contingent de l’armée qui a assiégé leur camp de Soba », dans le sud de Khartoum, et les a « attaquées avec toutes sortes d’armes lourdes et légères ».

Jeudi, l’armée dénonçait déjà un déploiement « dangereux » des paramilitaires à Khartoum et dans d’autres villes sans « la moindre coordination avec le commandement des forces armées ».

Car depuis des jours, alors que les civils et la communauté internationale devaient accepter un nouveau report de la signature d’un accord politique censé sortir le pays de l’impasse - à cause des divergences entre les deux généraux -, des vidéos montraient l’arrivée de très nombreux blindés et d’hommes dans différentes villes, dont Khartoum.

Les divergences entre les deux hommes forts portent essentiellement sur l’avenir des paramilitaires : le retour à la transition démocratique est suspendu à leur intégration au sein des troupes régulières.

Si l’armée ne la refuse pas, elle veut malgré tout imposer ses conditions d’admission et limiter dans le temps leur incorporation. Le général Daglo, lui, réclame une inclusion large et, surtout, sa place au sein de l’état-major.

Le retour à la transition est exigé par la communauté internationale pour reprendre son aide au Soudan, l’un des pays les plus pauvres au monde.

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