Au drame, citoyens
POLITIQUE - « Et toi, que feras-tu si Marine Le Pen l’emporte en 2027 ? ». Voici la question que je pose maintenant à mes amis, suscitant souvent chez eux des haussements de sourcils, des souffles d’indignation, des mines graves ou des airs interloqués. Et pourtant, malheureusement, la question se pose.
En 2022, l’extrême droite s’est qualifiée pour le second tour de l’élection présidentielle, pour la troisième fois en vingt ans, et compte 88 députés à l’Assemblée nationale. Début avril, les sondages annonçaient que, si la présidentielle avait lieu aujourd’hui, Marine Le Pen l’emporterait. Candides au pays de Voltaire, les Français semblent plus que jamais davantage autruches que coqs. Alors que le Rassemblement national ne cesse de progresser dans les sondages, l’air de rien, ne faisant pas de vagues malgré le raz de marée qu’il annonce, les citoyens semblent osciller entre fatalisme et résignation.
Dans le même temps, à l’échelle européenne, plusieurs de nos voisins pavent la voie de l’illibéralisme. L’apathie des Européens face aux assauts du populisme effraie. Jaroslaw Kaczynski en Pologne, Viktor Orbán en Hongrie, et Giorgia Meloni en Italie, autrefois vilipendés, se rejoignent chaque jour un peu plus, et s’invitent dans nos frontières, en atteste la proposition de loi du parti Les Républicains visant à modifier la Constitution pour s’exonérer de la protection offerte par la Convention européenne des droits de l’homme.
Alors que le Rassemblement national ne cesse de progresser dans les sondages, l’air de rien, les citoyens semblent osciller entre fatalisme et résignation
Cette tribune s’adresse à ceux qui considèrent que l’arrivée de l’extrême droite aux rênes de l’État serait un séisme. À ceux qui n’ont pas encore succombé à l’abattement du « c’est la dernière option ». À ceux qui sont conscients que derrière le vernis du RN, qui a savamment opéré un changement de marque, comme l’analyse Raphaël Llorca dans Les nouveaux masques de l’extrême droite, se cachent toujours les héritiers du régime de Vichy, de l’OAS, du GUD, d’Ordre nouveau, et de toutes les organisations d’extrême droite qui ont fait le lit de la haine depuis des décennies. Les contrats passés par le groupe RN Identité et démocratie avec les sociétés Unanime ou e-Politic en sont deux récentes illustrations.
Malgré la banalisation du RN, l’extrême droite n’a pas changé. Bien qu’il préfère la terminologie « droite nationale » ou souhaite siéger à gauche des Républicains - requête rejetée - le RN n’est pas un parti comme les autres. Sa matrice reste l’exaltation de la nation comme entité supérieure, homogène, monolithique, dont le ciment serait le rejet des étrangers, comme en ont encore témoigné les propos du député RN Grégoire de Fournas – « qu’ils retournent en Afrique ». Il n’est pas difficile d’identifier dans cette dynamique les relents d’un fascisme tel que décrit Ernst Nolte dans Les Trois visages du fascisme, dissimulé derrière le calme et la prudence des nepo-fascistes sur les plateaux TV.
Dans ces conditions, que ferons-nous si Marine Le Pen l’emporte en 2027 ? Quelle sera notre attitude si l’extrême droite revient pour la première fois à la tête du pays depuis 1940 ?
Quatre scénarios se présentent à nous face à cette tragédie démocratique. Le premier serait de faire comme la plupart des Français en 1940, faire le dos rond et tenir bon. Partir à l’étranger, vers notre nouveau Londres en est un deuxième. L’Espagne en passe d’être perdue par le Parti socialiste ? Le Royaume-Uni, qui a récemment ployé sous l’appel populiste du Brexit ? Le Chili qui après un vent de gauche voit les élections pour le « Conseil Constitutionnel » ouvrir la voie à l’extrême droite ? La Norvège, à l’indice de démocratie de 9,81 mais qui honnit les étrangers ? La troisième voie c’est la résistance. Sous toutes ses formes, sabotage, dévoilement des oripeaux racistes par piratage, blocage de réunions ou de l’exercice radical du pouvoir. Enfin, la désobéissance civile et culturelle, pour laquelle nous mettons tous nos espoirs dans les artistes qui osent dire les atrocités et les exactions, qui s’insurgent, s’indignent, avec Stéphane Hessel comme guide.
Aucune réponse ne peut nous satisfaire. Espérons alors surtout que le réveil démocratique précédera le drame, et que la question « et toi, que feras-tu ? » n’aura jamais à se poser.
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