Au Brésil, comment Lula est passé de la prison à favori de la présidentielle

Pour la sixième fois de sa prolifique carrière politique, Lula se présente à l’élection présidentielle. Un scrutin qui l’oppose à Jair Bolsonaro et pour lequel il est grandissime favori.
Alexandre Schneider / Getty Images Pour la sixième fois de sa prolifique carrière politique, Lula se présente à l’élection présidentielle. Un scrutin qui l’oppose à Jair Bolsonaro et pour lequel il est grandissime favori.

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Pour la sixième fois de sa prolifique carrière politique, Lula se présente à l’élection présidentielle. Un scrutin qui l’oppose à Jair Bolsonaro et pour lequel il est grandissime favori.

BRÉSIL - C’est l’histoire d’un retour en grâce, et peut-être bientôt au sommet. Ce dimanche 2 octobre, les Brésiliens sont appelés aux urnes pour se prononcer sur le nom de leur prochain président de la République. Un scrutin qui met notamment aux prises deux têtes d’affiche : le sortant populiste Jair Bolsonaro et le revenant Luiz Inácio Lula da Silva, dit « Lula ».

Et si l’on se fie aux sondages, c’est ce dernier qui est en meilleure position pour l’emporter. Plusieurs instituts l’ont donné à plus de 45 % des voix et fort d’une dizaine de points d’avance sur Bolsonaro au premier tour. Un dernier sondage publié samedi soir lui offre même une élection au premier tour avec 50% des votes valides (hors nuls et blancs), contre 36% pour son adversaire direct.

Une posture de favori dans laquelle il était difficile de l’imaginer en avril 2018, lorsqu’il fut incarcéré à la suite du scandale de corruption dit « Lava jato » (ou lavage express en français). Sauf qu’à l’image de sa vie, faite d’une première carrière d’ouvrier à la fondation du plus grand parti politique brésilien, de premières défaites à la présidentielle jusqu’à quitter la présidence fort de 80 % d’opinions favorables, Lula a toujours été capable de rebondir.

Plus de 15 ans de pouvoir…

« Il est présent de manière centrale dans la vie politique brésilienne depuis le retour à la démocratie », pointe d’emblée Christophe Ventura, directeur de recherche à l’Iris et spécialiste de l’Amérique latine. « Son histoire personnelle est indissociable de l’Histoire moderne du Brésil. »

Luiz Inacio « Lula » da Silva, ici photographié lors d’un meeting à Rio de Janeiro le 25 septembre, a construit son programme en opposition à celui de Jair Bolsonaro.
Buda Mendes / Getty Images Luiz Inacio « Lula » da Silva, ici photographié lors d’un meeting à Rio de Janeiro le 25 septembre, a construit son programme en opposition à celui de Jair Bolsonaro.

Buda Mendes / Getty Images

Luiz Inacio « Lula » da Silva, ici photographié lors d’un meeting à Rio de Janeiro le 25 septembre, a construit son programme en opposition à celui de Jair Bolsonaro.

En effet, comme le rappelle le chercheur, après que la dictature a été renversée, Lula a été élu deux fois président, en 2002 et 2006, avant de faire campagne victorieusement pour sa protégée Dilma Rousseff. « Le Parti des Travailleurs (PT) qu’il a fondé est le plus important du pays, le plus implanté localement. Sous Lula, il a été au pouvoir de 2002 à 2016, jusqu’à être renversé non pas par une élection, mais par l’éviction de Dilma Rousseff », poursuit Christophe Ventura.

L’un des « accidents brutaux », comme les décrit le chercheur de l’Iris, qui auront jalonné sa carrière : « Alors qu’il était sorti en 2011 (un président au Brésil ne peut effectuer que deux mandats consécutifs, ndlr) avec une popularité que personne n’a jamais pu tutoyer, il s’est ensuite retrouvé à passer plus de 550 jours en prison pour corruption et blanchiment. »

Et pour cause : il a été emporté au « paroxysme de la crise politique du Brésil des années 2010 », victime d’un immense scandale politico-financier. « Le Lava jato, c’est l’équivalent de ce que la France a connu dans les années 1990 avec l’affaire Elf : des entreprises d’État mêlées à des montages financiers permettant aux partis de bénéficier de la corruption, avec des grands groupes de BTP et de l’énergie qui financent littéralement des campagnes. »

... jusqu’à une chute brutale et téléguidée

Une affaire dévastatrice qui va balayer toute la classe politique et jusqu’à Lula, qui n’a pourtant eu de cesse de clamer son innocence, mais qui sera finalement condamné au moment où il allait écraser Jair Bolsonaro lors de l’élection de 2018. Car un homme voulait sa chute : le juge Sergio Moro, qui deviendra ministre de la Justice… de Bolsonaro.

« La démonstration a été faite par la justice brésilienne et les Nations unies que le procès a été partial, qu’il n’a pas respecté la présomption d’innocence et que la preuve du délit n’a jamais été apportée », nuance toutefois Christophe Ventura. « C’est désormais acté : Lula a été innocenté. » En effet, le juge Moro a « outrepassé ses pouvoirs, mordu la ligne rouge » et en fin de compte mis Lula en prison « sur la base d’un ’doute acceptable’, comme il l’a lui-même reconnu dans son jugement ».

Pour tenter de reconquérir le pouvoir au Brésil, après son passage par la case prison, Lula s’est allié à des partis de centre-droit et même à un ancien opposant libéral (photo prise le 7 mai dernier, à Sao Paulo).
Buda Mendes / Getty Images Pour tenter de reconquérir le pouvoir au Brésil, après son passage par la case prison, Lula s’est allié à des partis de centre-droit et même à un ancien opposant libéral (photo prise le 7 mai dernier, à Sao Paulo).

Buda Mendes / Getty Images

Pour tenter de reconquérir le pouvoir au Brésil, après son passage par la case prison, Lula s’est allié à des partis de centre-droit et même à un ancien opposant libéral (photo prise le 7 mai dernier, à Sao Paulo).

Un procès frauduleux donc, qui explique le retour en grâce aussi rapide de Lula. Libéré en novembre 2019, l’ancien président d’aujourd’hui 76 ans a vu son nom blanchi, du moins aux yeux de ses partisans. Car si les plus fervents soutiens de Jair Bolsonaro continuent de rejeter en bloc le Brésil « corrompu » qu’il incarne, une large partie de la population a oublié le Lava jato, comme le prouvent l’affluence à ses meetings et les études d’opinion.

Retour à la démocratie normale

Surtout, Lula fait son retour dans le contexte d’un Brésil éreinté par la présidence Bolsonaro. « Le pays est mal en point, en crise, polarisé, radicalisé, énumère Christophe Ventura. Il vit sa pire crise économique en 25 ans, il y a eu 700 000 morts du Covid, la Cour suprême et le président sont en confrontation permanente, le Congrès a tenté de destituer Bolsonaro, les médias aussi sont pris dans les affaires… »

Une donne face à laquelle Lula se positionne en homme providentiel. « La gauche n’a pas disparu, mais elle est considérablement affaiblie. Et elle ne peut pas gagner sans lui », décrit encore l’universitaire. Raison pour laquelle Lula joue l’apaisement au point de s’allier à plusieurs formations allant du centre-droit à la gauche, et même à Geraldo Alckmin, finaliste de droite vaincu à la présidentielle de 2006.

Lula se présente « comme un homme qui veut rétablir l’équilibre du pays. Ce qu’il dit, c’est : ’Je ne suis pas le candidat de la gauche, l’anticapitaliste, mais je peux reconstruire la démocratie brésilienne’ », conclut Christophe Ventura. « Il rappelle que sous son gouvernement, les enfants allaient à l’école, les gens mangeaient à leur faim et assure qu’il va reconstruire tout cela. » Un caractère volcanique enfin apaisé, qui promet « l’unité, la tranquillité, le consensus » et un retour à une démocratie fonctionnelle. Tout l’inverse de Jair Bolsonaro en somme.

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