Attentat, manipulation, provocation : les 3 hypothèses derrière l'explosion des drones au-dessus du Kremlin

La Russie affirme avoir abattu dans la nuit de mardi à mercredi deux drones ukrainiens qui visaient le Kremlin à Moscou, dénonçant une tentative d'assassinat de Vladimir Poutine. Une accusation aussitôt rejetée par Kiev.

Vladimir Poutine a-t-il vraiment échappé à un attentat? C'est en tout cas ce que laisse entendre la Russie, qui accuse l'Ukraine d'avoir ciblé le Kremlin à l'aide de deux drones dans la nuit de mardi à mercredi. Le pays, qui "se réserve le droit à la riposte", dénonce "une tentative d'acte terroriste et un attentat contre la vie du président", tandis que l'Ukraine dément toute implication.

"Nous n'attaquons ni Poutine ni Moscou. Nous n'avons pas suffisamment d'armes pour ça", a déclaré Volodymyr Zelensky.

Pour émettre de telles accusations, la Russie s'appuie sur des vidéos diffusées par des médias russes sur les réseaux sociaux. Sur l'une d'elles, un engin explose et s'enflamme au-dessus de la coupole du Palais du Sénat, l'un des principaux bâtiments dans l'enceinte du Kremlin.

À ce stade, un grand flou subsiste autour du déroulé des faits, rappelle Samuel Bendett, analyste au programme d'études sur la Russie à l'institut de recherches américain Center for Naval Analyses, interrogé par l'AFP. Quelques heures après cette attaque présumée, le colonel Michel Goya - consultant pour BFMTV - estime que trois hypothèses se dégagent.

· Hypothèse 1: une attaque ukrainienne?

La version officielle avancée par la Russie est celle de l'attentat ukrainien visant directement Vladimir Poutine. Les attaques de drones et les sabotages se multiplient ces derniers mois sur le sol russe, à quelques jours d'importantes célébrations militaires pour Moscou et au moment où Kiev dit se préparer à lancer une vaste contre-offensive.

Si l'Ukraine dément régulièrement les attaques en territoire russe qui lui sont attribuées, elle rejette là encore toute implication, tandis que les États-Unis disent prendre "beaucoup de précautions" vis-à-vis des accusations russes.

Sergueï Sumlenny, expert des questions sur l'Europe de l'Est, affirme dans un entretien à l'AFP que l'Ukraine aurait les capacités techniques et technologiques d'opérer des frappes longue distance jusqu'au cœur de la Russie, et l'a déjà fait par le passé. Selon lui, le modèle de drone UJ-22 "a une longue portée et peut potentiellement atteindre Moscou". Une question demeurerait cependant: "d'où les drones (auraient) été lancés pour le moment"?

Ainsi, pour le colonel Michel Goya, comme pour le général Jérôme Pellistrandi, l'hypothèse d'une tentative d'attentat menée par l'Ukraine ne tient pas la route. "L’idée d’assassiner Poutine n’est pas possible", estime l'historien et ancien militaire. Le drone abattu mercredi serait "un drone de type 'quadricoptère'", qui ne pourrait avoir été lancé que depuis Moscou, selon les deux consultants défense de BFMTV. Ce type d'engins n'aurait, selon eux, qu'une faible charge explosive. Kiev n'aurait donc pas risqué de provoquer aussi peu de dégâts.

"C’est un drone qui ne peut pas faire beaucoup de kilomètres, qui a dû être tiré d’assez près, de Moscou probablement", assure Michel Goya.

Le but d'un tel acte pose aussi question. D'abord, "Vladimir Poutine n'a jamais été une cible ni des Ukrainiens, ni des services occidentaux", rappelle le général Jérôme Pellistrandi. "Éliminer un chef d'État, c'est quelque chose qui a existé mais qui est assez rare dans les conflits contemporains", nuance le colonel Michel Goya.

Puis, "quand on essaie de réfléchir logiquement à cette situation, il faut imaginer que les Ukrainiens ont pesé les pour et les contre: s'en prendre à Vladimir Poutine, combien ça coûte? Qu'est-ce que ça rapporterait?'', s'interroge Thierry Arnaud, éditorialiste politique internationale pour BFMTV. Selon lui, "les moyens qu'il faudrait déployer pour mener une attaque de cette envergure seraient absolument considérables, alors que ce que cela peut rapporter est plus qu'incertain". Donc pour Thierry Arnaud, "ça ne plaide pas en faveur d'une organisation ukrainienne".

· Hypothèse 2: une attaque menée par des opposants à Poutine?

À l'intérieur de la Russie cependant, le colonel Michel Goya n'exclut pas que des individus isolés ou des groupes d'opposition à Vladimir Poutine aient pu tenter de s'en prendre à lui, ou du moins de le provoquer.

"On peut tout imaginer", affirme le spécialiste. "On peut imaginer que des gens aient voulu faire une démonstration de force ou un pied-de-nez au Kremlin en montrant que la sécurité n'était pas assurée, voire même faire des dégâts.

Malgré tout, plusieurs points posent question. Tout d'abord, rien n'a jusqu'alors été revendiqué, ni par l'Ukraine ni par quel autre groupe ou individu que ce soit. La Russie a été la première à confirmer l'événement, seulement quelques heures après les faits présumés. Selon la présidence, les deux appareils ont été abattus grâce à des "systèmes radar de guerre électronique".

"Il n'y a eu aucune victime ni aucun dégât causé par la chute et la dispersion des fragments" de drones sur le Kremlin, selon cette source.

De plus, les images qui circulent depuis mercredi proviennent toutes d'images de caméras de vidéosurveillance prises depuis la place Rouge. Par définition, elles sont donc fournies et contrôlées par le Kremlin, comme le rappelle le général Jérôme Pellistrandi. Autant d'éléments qui montrent que "la Russie veut que nous voyions" cet événement, note encore le consultant défense de BFMTV.

· Hypothèse 3: une manipulation russe?

C'est la raison pour laquelle certains avancent l'hypothèse selon laquelle cet événement serait le fruit d'une manipulation de la Russie. Les États-Unis ont par exemple dit prendre "tout ce qui sort du Kremlin avec beaucoup de précaution". Tandis que côté ukrainien, on accuse Moscou d'avoir mis en scène cette attaque aux drones pour "préparer un contexte" et "justifier "une attaque terroriste d'ampleur en Ukraine", selon les mots de l'un des conseillers du président ukrainien, Mykhaïlo Podoliak.

Le journaliste Denis Strelkov, qui travaille à la rédaction russe de la station de radio RFI et n'exclut par conséquent aucun des trois scénarios, pointe tout de même "plusieurs éléments bizarres". Notamment "l'annonce tardive" des services russes et le silence de Dmitri Medvedev, alors que deux attaques successives avec 15 minutes d’écart ont eu lieu dans le centre de la capitale.

"Les médias russes sont déjà sur le mode 'attention on attaque le chef'", note aussi l'historien et ancien militaire Michel Goya. "Ce qui pourrait justifier un argumentaire et une riposte à venir par la suite."

Le général Jean-Paul Paloméros, ancien chef d'État-major de l'armée de l'Air interrogé sur BFMTV, considère de son côté que cette opération, la plus spectaculaire sur le sol russe depuis le début du conflit en Ukraine, a pour effet de "susciter une sorte de terreur vis à vis de la population russe". Selon lui, cela peut être un moyen de "détourner l'attention des faiblesses de l'armée russe qui sont manifestes et commencent à remonter. Alors que dans les familles, on commence à ressentir le poids de cette guerre... et notamment le nombre de morts qu'elle occasionne".

Article original publié sur BFMTV.com

VIDÉO - Drones au-dessus du Kremlin: Zelensky rejette toute implication de l'Ukraine