Attaque à Moscou : la propagande de Vladimir Poutine derrière les images des accusés torturés
Alors que le Kremlin a refusé de commenter les allégations de torture, les images des accusés de la tuerie près de Moscou arrivant devant la cour laissent peu de place au doute.
Les visages tuméfiés, un sac autour du cou, sur un fauteuil roulant... Quatre suspects, présentés en Russie comme les assaillants de la salle de concert près de Moscou, ont été placés ce lundi 25 mars en détention provisoire jusqu'au 22 mai.
Ils encourent une peine de prison à perpétuité pour avoir tué au moins 139 personnes ce vendredi. Sur les images de leurs arrestations, montrées à la télévision publique russe, trois de ces hommes avaient du sang sur le visage. Dans la matinée, au tribunal, ils sont apparus très affaiblis, portant sur eux les stigmates que beaucoup attribuent à la torture russe.
Des images relayées sur la télévision d'État
Selon des images prises dans le tribunal Basmanny de Moscou, les suspects ont été amenés les uns après les autres dans la cage en verre réservée aux accusés.
Saidakrami Murodali Rachabalizoda, 30 ans, qui a plaidé coupable, portait un bandage à l'oreille. Dans une vidéo largement relayée sur les réseaux sociaux - dont l'authenticité n'a pas été confirmée - un policier lui aurait sectionné l'oreille au couteau.
Muhammadsobir Fayzov, un homme de 19 ans, est lui entré dans le tribunal dans une chaise roulante, les yeux fermés et accompagné par des docteurs. Dans la journée, des images devenues virales sur les réseaux sociaux le montraient être battu et gravement blessé à un œil.
Le porte-parole du Kremlin a refusé ce lundi de commenter les allégations de torture des suspects. "Je laisserai cette question sans réponse", a déclaré Dmitri Peskov, interrogé par des journalistes.
Détourner l'attention des "failles" de sécurité
Mais la théâtralisation des comparutions immédiates de ces suspects ne laisse aucun doute pour bon nombre d'observateurs de la société russe: Vladimir Poutine veut réinstaller la peur, alors que les assaillants ont pu tuer plus de 130 personnes et s'enfuir pendant quatre heures sans être arrêtés.
"La grande majorité de la population écoute la propagande", a justifié auprès de l'AFP l'ancienne ambassadrice de France en Russie Sylvie Bermann.
Ce qui a mené Jérôme Poirot, consultant BFMTV et ancien adjoint à la coordination nationale du renseignement, à analyser:
"En voyant les sévices que les accusés ont subis, il y a une délectation à la fois des services de sécurité du FSB russe qui ont publié ces images-là, et puis d’une partie du public russe, qui est très avide de ces images."
Selon Nadezda Kutepova, réfugiée politique russe et membre de l’association Russie-Libertés, il n'est pas possible de "dire que le peuple russe souhaitait" que ces hommes soient torturés. "Mais Vladimir Poutine a bien saisi le sentiment de colère, de vengeance" sur lequel appuyer", a-t-elle commenté.
Certains députés russes et hauts responsables ont même demandé à restaurer la peine de mort pour les "terroristes", sachant que Daesh a revendiqué l'attaque dès vendredi soir. Une revendication ignorée par Vladimir Poutine, qui a toutefois admis une attaque "islamiste" ayant un lien avec l'Ukraine.
Un moyen pour le président russe, d'après la chercheuse à l'Institut français des relations internationales (IFRI) Tatiana Kastouéva-Jean à l'AFP, de détourner l'attention "des failles de sécurité". Cela lui permet également de rallier "tous ceux qui hésitent encore sur la scène intérieure" quant à la nécessité de combattre les Occidentaux et l'Ukraine.