"Astérix et le Griffon", une 39e aventure "plus réaliste et plus poétique" avec un twist

"Astérix et le Griffon", 39e aventure de l'irréductible Gaulois, paraît ce jeudi. Rencontre avec son scénariste Jean-Yves Ferri, qui se confie sur la difficulté de travailler sans la figure tutélaire d'Uderzo, disparu en 2020.

La sortie d'un nouvel album d'Astérix est toujours un événement, mais celle de la 39e aventure de l'irréductible Gaulois a surtout des allures douces-amères. Toujours dessiné par Didier Conrad et scénarisé par Jean-Yves Ferri, Astérix et le Griffon est le premier tome de la série à être conçu sans Albert Uderzo, mort en mars 2020.

"Sa présence, c’était de l’encouragement, se souvient avec émotion Jean-Yves Ferri. "On lui montrait le pitch à chaque fois pour avoir son avis et son feu vert. Il était content de nous laisser faire. Il était toujours très positif par rapport à ce qu’on faisait. On l’avait vu une dernière fois à l’automne 2019. C’était assez émouvant. Il nous avait encore encouragés. Il avait eu le temps de prendre connaissance de l’idée, mais il n’a pas pu voir les chapitres."

Uderzo aurait sûrement apprécié cette aventure qui réunissait trois de ses passions: les chevaux, la forêt et les créatures mythologiques, dont il avait peuplé ses derniers albums. Ferri et Conrad renouent avec cet imaginaire, "mais cette fois, ce n’est pas un traitement disneyen du monstre", précise le scénariste. "C’est plutôt l’image du monstre réel. Dans Les Pictes, il y avait une sorte de monstre du Loch Ness, qui était plutôt sympathique et rigolo."

Un voyage avec un twist

Astérix et le Griffon est un voyage dans l'Est pour les Gaulois qui partent à la rencontre d'un peuple mal connu de l'Antiquité, les Sarmates, une société régie par des Amazones baptisées Maminovna et Kalachnikovna. Dans cet album leur totem est le griffon, mi-aigle mi-lion, que veulent capturer les Romains pour le cirque de Rome, comme ils le faisaient à l’époque pour les girafes et les rhinocéros. Cette histoire se conclut avec un twist très étonnant dans l'histoire de la licence: "On va se rendre compte que le Griffon… bon, je n’en dis pas plus!", s'amuse Ferri.

Le réalisme a été le fil conducteur de Ferri et Conrad pour mener à bien cette aventure dont le premier tirage atteint les cinq millions d'exemplaires, dont deux pour la France: "Ce côté plus réaliste a bien plu à Conrad. Pendant le voyage, les Gaulois seront mis à rude épreuve. On va aussi voir les difficultés des Romains. Ce sera un peu leur Bérézina." L’action commence sans préambule, chez les Sarmates. Ferri ne s'est pas encombré d'une scène au village, comme le laissait pourtant suggérer la planche dévoilée en janvier dernier, où Panoramix annonçait à Astérix et Obélix qu'ils devaient se rendre dans l'est pour aider un ami shaman.

"Cette ellipse était voulue", se justifie Ferri. "Cet album est déjà une longue quête. Si en plus j’ajoutais des planches pour le trajet jusque-là bas, on aurait été dans un 60 ou 80 pages. Ce n’était pas possible. Mais ça marque bien l’entrée du monde inconnu. Il y a une sorte de page blanche, comme dans La Grande Traversée - et là c’est encore plus marqué: on passe de Rome à un pays qu’on ne connaît pas."

Pandémie, Houellebecq et Dupond-Moretti

Présenté comme un album dans la lignée de Tintin au Tibet, Astérix et le Griffon n'a pas été conçu pour lutter contre l'angoisse de la page blanche ou comme une thérapie, précise Jean-Yves Ferri.

L'album témoigne néanmoins d'une profonde envie de remise en question, admet-il à demi-mot: "C’était plutôt chercher un moyen de chahuter un peu les personnages pour retrouver du peps. J'ai cherché comment énerver un peu Astérix, comment bousculer Obélix. Idéfix lui-même à un comportement bizarre."

La potion magique ne fonctionne plus non plus: elle est gelée à cause du grand froid. "Il y a une comparaison à la bombe nucléaire. Le druide dit que c'est à cause du trèfle à quatre feuilles qui est instable à basse température", raconte Ferri.

Que serait un Astérix sans des jeux de mot anachroniques et des caricatures de personnalités? On note ainsi quelques vannes sur la pandémie: un Sarmate s’appelle Klorokine, le druide fait une potion qui pourrait faire penser au vaccin, et un Romain dit attendre avec hâte le déconfinement. Le gag principal de l’album est plus potache et montre Obélix souffrant de troubles digestifs après avoir bu du lait de jument.

Un personnage nommé Terinconus, un géographe ayant les traits de Michel Houellebecq (en référence à son roman La Carte et le territoire), occupe une place importante dans le récit. "Je n’ai pas cherché à parodier les bouquins de Houellebecq", précise Ferri. "Pour le physique, c’était un bon personnage. D’ailleurs, il joue très bien."

Terinconus donne la réplique à deux Romains, Dansonjus et Jolicursus. Le premier fait penser à Éric Dupond-Moretti et le second à Christophe Castaner. "Un hasard", plaide Ferri. Dansonjus est en réalité inspiré de Burt Young, alias Paulie dans les Rocky avec Stallone. "Moi, je voulais François Berléand", révèle Ferri.

Une autre star s'est glissée dans leurs cases: Charles Aznavour, de retour après une apparition remarquée dans La Fille de Vercingétorix. "Il a trouvé un boulot. Il fait partie de l’équipage pirate", rit Jean-Yves Ferri.

"L’éditeur peut décider d’une alternance"

Jean-Yves Ferri et Didier Conrad travaillent depuis maintenant dix ans sur Astérix. "J’ai été intronisé en quelque sorte", lâche le scénariste, visiblement fatigué par le poids de cette série dont il a déjà signé cinq tomes. Quel bilan tire-t-il de cette aventure?

Se voit-il encore continuer dix ans? "J’ai signé pour trente ans en fait! Ils sont tous déjà écrits", rigole Ferri, qui prépare actuellement la suite de De Gaulle à la plage, De Gaulle à Londres. Il a des idées pour la suite d'Astérix: "Il y a toujours des idées dans l’air, mais elles ne sont jamais certaines d’aboutir." Depuis 2013, un nouvel album est sorti tous les deux ans. Selon Ferri, ce rythme de parution pourrait subir quelques modifications:

"Imaginez que je ne trouve pas l’idée cette fois ou que je ne sois pas content, ce qui arrive. L’éditeur peut décider d’une alternance. Il y a des albums qui pourraient se faire, venir s’intercaler, je ne sais pas… On n’est pas prisonnier absolument du rythme. Mais après si j’arrive à tenir les délais, c’est mieux pour tout le monde."

Depuis 2013, Conrad et Ferri ont toujours honoré le contrat. "Jusqu’à présent, on l’a tenu. À chaque fois, c’est aléatoire. Il n’y a jamais rien de sûr. Souvent, on entend dire que le nouvel Astérix se vendra tout seul. Essayons de le mettre en vente avec des pages blanches et on verra."

Article original publié sur BFMTV.com

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