Arthur Chevallier – Les causes passent, l’humanité reste

Sally Rooney, le 17 janvier 2020.  - Credit:ERIK VOAKE / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP
Sally Rooney, le 17 janvier 2020. - Credit:ERIK VOAKE / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

L'idéalisme est un pragmatisme. Les révolutionnaires ne rêvent pas de changer le monde, mais de le retrouver. Le succès de leur entreprise ne repose pas sur une utopie, mais sur le fantasme d'un âge d'or. Voilà pourquoi la jeunesse est bien souvent étrangère à la décadence. On la croit feignante, démissionnaire, râleuse ; elle est en fait impitoyable avec l'hypocrisie, précisément et en général parce qu'on lui a appris à ne pas mentir. Le conservatisme et la tradition ne la gênent pas, au contraire, ils la rassurent ; mais elle est impitoyable avec ceux qui s'en revendiquent tout en agissant au contraire.

Bref, la jeunesse ne pousse pas à la révolte, mais à la décence sous toutes ses formes, économique, intellectuelle, sociale. Elle est religieuse, dans le sens le plus littéraire du mot. Dans son dernier roman, Où es-tu, monde admirable ?, Sally Rooney, qui a conquis le monde avec ses deux premiers livres, imagine le destin croisé de deux jeunes filles qui se sont rencontrées pendant leurs études. Elles sont nées dans les années 1990, ont bientôt 30 ans, lisent des livres ou Wikipédia, gagnent plus ou moins d'argent, ce dont elles se fichent, voient des garçons. Leur vie est à l'image de celle de leur génération : fragmentée. L'amour peut être multiple, constant ou inconstant. Le mariage n'existe pas ; les carrières, plus. Et, au fond, la politique non plus n'existe pas. L'intelligence, la culture, la vérité, oui, il n'y a même que ça, mais dans des formes [...] Lire la suite