Après la mort de Nahel à Nanterre, la version de la police et celle de la famille de l’adolescent s’opposent

Après la mort du jeune Nahel, tué par un policier à Nanterre, la version des forces de l’ordre et celle de la famille s’opposent.
Après la mort du jeune Nahel, tué par un policier à Nanterre, la version des forces de l’ordre et celle de la famille s’opposent.

NANTERRE - L’affaire secoue la France et fait réagir toute la classe politique, jusqu’à Emmanuel Macron. Un adolescent de 17 ans, Nahel M., est mort mardi 27 juin des suites d’un tir de la police lors d’un contrôle routier à Nanterre (Hauts-de-Seine).

Après ce drame, qui relance la controverse sur la réponse des forces de l’ordre dans ces situations, des affrontements ont eu lieu dans la soirée à Nanterre : 24 personnes ont été interpellées, 24 membres des forces de l’ordre légèrement blessés et 42 voitures brûlées, selon le préfet de police de Paris Laurent Nuñez.

Alors que deux enquêtes ont été ouvertes, la version de la police et celle de la famille de Nahel s’opposent dans le récit des événements. Le HuffPost fait le point.

Les faits

Les faits ont eu lieu vers 8h30 près de la station de RER Nanterre-Préfecture, aux abords de la place Nelson-Mandela, derrière le quartier d’affaires de la Défense, dans le département des Hauts-de-Seine.

Une vidéo circulant sur les réseaux sociaux, authentifiée par l’AFP, montre deux policiers en train d’arrêter une voiture, l’un d’eux tenant le jeune conducteur en joue avant de tirer à bout portant, par-dessus la vitre baissée du véhicule côté conducteur, quand la voiture redémarre. Le véhicule a fini sa course quelques dizaines de mètres plus loin, encastré dans un poteau.

La victime, Nahel M., est décédée peu de temps après avoir été atteinte au thorax, malgré l’intervention du Samu qui lui a prodigué un massage cardiaque sur place. Deux autres personnes se trouvaient dans le véhicule au moment des faits : parmi elles, un premier passager a pris la fuite, alors que le second, mineur comme le conducteur, a été arrêté et placé en garde à vue. Cette dernière a été levée mardi en début d’après-midi.

Une enquête a été ouverte pour refus d’obtempérer et tentative d’homicide volontaire sur personne dépositaire de l’autorité publique. Une autre enquête, ouverte pour homicide volontaire par personne dépositaire de l’autorité publique, a été confiée à l’IGPN (inspection générale de la police nationale), la police des polices. Le policier soupçonné du tir mortel, âgé de 38 ans, a été placé en garde à vue pour homicide volontaire.

La version de la police

D’après les premiers éléments de l’enquête rapportés de source policière après le drame, la victime était connue des services de police, notamment pour conduite sans permis, usage de stupéfiants ou plusieurs refus d’obtempérer. Âgé de 17 ans, il était trop jeune pour disposer d’un permis de conduire en règle.

Toujours de source policière, le conducteur du véhicule, une Mercedes AMG jaune qui avait été louée, avait commis plusieurs infractions au code de la route.

À la vue de motards de police, il s’est d’abord arrêté, avant d’accélérer. Dans un premier temps, des sources policières ont affirmé que le véhicule avait foncé sur les forces de l’ordre. Mais ce n’est pas le cas sur la vidéo du drame qui circule sur les réseaux sociaux, en tout cas pas au moment du tir. Sur ces images, on entend « tu vas te prendre une balle dans la tête », sans que l’on puisse attribuer cette phrase à quelqu’un en particulier.

« Il y a un premier refus d’obtempérer puis un contrôle au cours duquel le coup de feu est tiré », a précisé le préfet de police de Paris Laurent Nunez ce mercredi matin sur CNews.

« Il faudra entendre ces fonctionnaires, qui livreront leur version : que s’est-il passé à l’intérieur du véhicule ? Est-ce qu’ils se sont sentis menacés ? », s’est-il interrogé dès mardi soir sur le plateau de BFMTV, indiquant que « le fonctionnaire de police » en garde à vue, âgé de 38 ans, est « lui-même très choqué par ce drame ». « Ce geste m’interpelle et j’attends que la lumière soit faite le plus rapidement possible sur cette affaire », a assuré Laurent Nunez.

Ce mercredi matin, Gérald Darmanin a quant à lui dénoncé des « images choquantes, apparemment pas conformes à ce que nous souhaitons comme intervention de la police », appelant toutefois « au calme » et à « respecter la présomption d’innocence », comme vous pouvez le voir ci-dessous :

Ce dernier message est le même chez plusieurs syndicats de police. « Stop à la course folle du tribunal médiatique et populaire !, a lancé sur Twitter le Syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN). La justice, et elle seule, va passer. » « Les récupérations politiques, les réactions de certains artistes voire même de sportifs sont totalement indécentes face à ce drame et encouragent la haine anti-flics », regrette le syndicat Unité SGP police-FO.

Au milieu du drame a ressurgi la polémique récurrente sur les conditions dans lesquelles les forces de l’ordre utilisent leurs armes en cas de refus d’obtempérer. « Aujourd’hui, on ne tire pas pour un refus d’obtempérer. Les policiers et les gendarmes utilisent leurs armes pour protéger leur vie », a assuré Mathieu Vallet, du Syndicat indépendant des commissaires de police (SICP).

La version de la famille de Nahel

Pour les proches de la victime, la vidéo diffusée sur les réseaux sociaux met clairement en doute la version policière. « Les images parlent d’elles-mêmes », estime ainsi Me Abdelmadjid Benamara, l’un des avocats de la famille, qui parle d’un geste « prémédité » du policier auteur du tir.

« Le policier est sur le côté gauche du véhicule, c’est-à-dire à côté des roues et non pas devant les roues. Il n’est pas en situation de danger et il prend la décision, préméditée puisqu’il a annoncé bien avant qu’il allait tirer une balle dans la tête du petit Nahel, de tirer dans le thorax de la victime », a-t-il estimé sur BFMTV.

Pour Me Jennifer Cambla, également avocate de la famille, le geste du policier est « absolument illégitime » et « ne rentre pas dans un cadre de légitime défense ».

Elle juge par ailleurs que la garde à vue du policier est « arrivée tardivement », « dans l’après-midi, alors que les faits ont eu lieu à 8h30 du matin (...). C’est vraiment inquiétant car il a pu se mettre d’accord avec son collègue, il a pu y avoir une disparition des preuves, des pressions sur les témoins ».

Quant au passif judiciaire de Nahel, les avocats de la famille y voient « un non-sujet » : il n’a jamais été « définitivement condamné » et « n’avait pas de casier judiciaire », ont-ils assuré sur BFMTV. Selon eux, Nahel était livreur de pizza, vivait avec sa mère et était « très aimé dans le quartier ».

L’avocat de la famille de la victime, Me Yassine Bouzrou, a annoncé deux plaintes « ces prochains jours ». L’une visera l’auteur du tir pour homicide volontaire et son collègue pour complicité. « À l’écoute de la bande-son de la vidéo – l’enquête nous le dira plus précisément –, on semble entendre les mots “shoote-le”. Il faut donc que toute la lumière soit faite sur le rôle de ce policier à côté », a précisé Me Jennifer Cambla.

Une seconde plainte, pour faux en écriture publique, sera déposée à l’encontre des policiers, « qui ont affirmé que le jeune homme avait tenté de commettre un homicide sur leur personne en tentant de les percuter, ce qui est formellement démenti par le visionnage de la vidéo », a annoncé l’avocat.

Mardi soir, la mère du jeune Nahel s’est exprimée dans un live sur le profil Instagram d’Assa Traoré, sœur d’Adama Traoré, mort en 2016 lors d’une interpellation. « On est sortis en même temps. Il est parti prendre un McDo, je suis partie travailler comme tout le monde. Une heure après, on me dit quoi ? Qu’on a tiré sur mon fils. Je vais faire quoi ? (...) C’était ma vie, c’était mon meilleur ami, c’était mon fils, c’était tout pour moi. On était complices comme pas possible », dit-elle face à la caméra.

Elle a appelé à une marche blanche en hommage à son fils, ce jeudi à 14 heures devant la préfecture des Hauts-de-Seine, en face de l’endroit où Nahel a perdu la vie.

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