Après l’attaque du Hamas sur Israël, l’ombre de l’Iran et la crainte d’un embrasement dans la région

Le Hamas tirant des roquettes depuis Rafah vers Israël, le 8 octobre 2023
picture alliance / dpa/picture alliance via Getty I Le Hamas tirant des roquettes depuis Rafah vers Israël, le 8 octobre 2023

PROCHE ORIENT - « Le Hamas n’aurait jamais pu faire cette opération, jamais, avec ces armes et ces moyens, sans l’avoir préparée depuis longtemps, avec le soutien de l’Iran ». Ce lundi 9 octobre sur France inter, passé la sidération et le choc des attaques du Hamas sur Israël, l’ancien président François Hollande ne semblait pas douter de l’implication de l’Iran dans les terribles violences du week-end.

Officiellement, le Hamas assure avoir mené ces attaques seul. L’Iran de son côté soutient « la légitime défense de la nation palestinienne » et l’attaque surprise. Le régime des mollahs dément cependant fermement tout rôle direct désireux de ne pas s’engager directement dans le confit. Le Hezbollah libanais, considéré comme terroriste par de très nombreux pays, nie lui aussi une quelconque implication mais assure en revanche être en lien avec le Hamas.

Derrière ces postures officielles, il ne fait cependant guère de doute que Téhéran et l’organisation dirigée par Hassan Nasrallah sont deux acteurs clefs dans cette nouvelle guerre. À cet égard, de nombreux médias se font l’écho de réunions préparatoires régulières des derniers mois entre Hezbollah, Gardiens de la révolution iranienne, et Hamas.

Le HuffPost fait le point avec Didier Leroy, spécialiste du Proche Orient et chercheur à l’école royale militaire, et à l’Université Libre de Belgique.

Le HuffPost : Selon plusieurs médias des Gardiens de la révolution iranienne et des membres du Hezbollah ont participé à des réunions de préparation avec le Hamas la semaine dernière. Sait-on à quel degré ils sont impliqués dans les attaques du week-end ?

Didier Leroy : On sait que l’armement du Hamas est soit artisanal, soit fourni par l’Iran. Ça fait 20 ans que le lien entre le Hamas et l’Arabie saoudite se délite, donc fatalement Téhéran a rempli le vide. Sur le soutien politique et financier c’est aussi grâce au Qatar que le Hamas paye le salaire de ses fonctionnaires.

Sur l’aspect militaire, pas plus tard qu’en septembre, des responsables des Gardiens de la révolution et des leaders du Hamas et du Hezbollah se sont vus à Beyrouth. On sait très bien qu’il y a une intensification de la coopération et de la coordination depuis un moment. La question se pose en revanche en matière de ressources humaines directes : pour l’instant nous n’avons pas de remontées de terrain sur la présence de combattants Hezbollah dans les attaques du Hamas.

Les liens avec le Hezbollah sont aussi de plus en plus forts. Lors de la guerre de 2021, plusieurs médias avaient évoqué une forme de coordination des attaques entre les deux organisations. Dimanche, le Hezbollah a aussi effectué des tirs.

Le Hamas a adopté le modèle de techno-guerilla du Hezbollah. Il y a vraiment un « modèle Hezbollah » vers lequel tend le Hamas et qui combine pression médiatique accentuée et tactiques militaires. En étant enfermé dans la bande de Gaza, le Hamas a effectué des tirs de plus en plus loin, touchant directement aux intérêts économiques d’Israël. C’est aussi ça qui a « atténué » son image terroriste ces dernières années.

Ensuite, il y a de plus en plus entre le Hamas et le Hezbollah, une forme de mantra commun autour de l’importance d’Al-Aqsa*. En 2021, la mini-guerre du Hamas, s’appelait le « sabre de Al-Aqsa », ici c’est « le déluge » ou « la tempête Al-Aqsa ».

Maintenant, les tirs du Hezbollah restent pour le moment symbolique. Il ne pouvait pas rien faire mais il a les moyens de faire beaucoup plus.

(* Al-Aqsa est le nom d’une mosquée située à Jérusalem, un lieu saint clef pour les musulmans, mais aussi un objet de tensions extrêmes dans le conflit israélo-palestinien)

Selon vous, il n’y a pas pour le moment le risque de voir s’ouvrir un nouveau front au nord avec le Hezbollah, et qui prendrait Israël en tenaille ?

Le chef du Hezbollah a été très clair : ils sont en train d’évaluer les choses. Les acteurs de la région sont en mode « freeze » pour observer comment l’appel à la contagion populaire prend. Avec cette attaque, le Hamas fait un très gros pari, celui de mettre un frein au rapprochement entre Israël et l’Arabie saoudite, déclencher une 3e intifada ouverte, et donner un coup fatal à l’autorité palestinienne et au Fatah déjà exsangue.

Ce qui va être scruté, c’est entre autres les réactions des villes où le Fatah domine en Cisjordanie. Mais aussi dans les villes mixtes en Israël : des villes où il y a des Arabes israéliens et où le Hamas peut attiser une forme de polarisation sociétale. Enfin, il faudra surveiller si à l’extérieur, dans le reste de la région, il y a des gens qui prennent aussi les armes pour venir soutenir le Hamas.

Pour le Hezbollah, soit Israël réussit à dominer la ligne de front militaire à la lisière de Gaza, et il reste immobile, soit il suit un mouvement général pour aller affaiblir Tel-Aviv. Il ne faut pas oublier qu’il y a une pression très forte au Liban. Envoyer des centaines de missiles vers Israël, c’est prendre le risque que la force israélienne rase le Liban, comme elle l’a déjà menacé. Ça renverrait le pays encore plus dans la misère alors que de nouvelles rentrées d’argent, liées à l’exploitation du gaz naturel, sont imminentes. Le Hezbollah se retrouverait critiqué en interne et il ne peut pas se le permettre.

Israël vient de déclarer un état de siège autour de la bande de Gaza, cela peut-il justement déclencher cette 3e intifada ?

La bande de Gaza est en état de siège permanent depuis des années, on laisse transiter de la main-d'œuvre utile, mais vu ce qu’il s’est passé personne ne s’attend à autre chose qu’un nouveau siège total. Ce n’est pas l’élément qui va choquer tout le monde. Là ou les choses peuvent être compliquées, c’est qu’à chaque fois dans ce type de situation, Israël envoie une importante campagne aérienne de destruction sur Gaza, or là il y a de nombreux otages. Ça va contraindre Tsahal à lancer des opérations terrestres, et là, il y a un risque que ça parte dans tous les sens.

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