Après un deuil périnatal, je ne suis pas prête pour une grossesse dans une Amérique où l’avortement est interdit

Depuis la fuite de documents annonçant un futur projet de loi interdisant l'avortement, la Cour suprême est devenue un lieu de résistance pour de nombreuses femmes souhaitant défendre ce droit fondamental aux États-Unis.
via Associated Press Depuis la fuite de documents annonçant un futur projet de loi interdisant l'avortement, la Cour suprême est devenue un lieu de résistance pour de nombreuses femmes souhaitant défendre ce droit fondamental aux États-Unis.

AVORTEMENT - En 2005, pendant une année d’échange au lycée, j’ai découvert les États-Unis. Je suis tombée amoureuse du pays et d’un Américain et j’ai décidé d’y vivre. 17 ans plus tard, j’y ai construit une vie que j’aime avec une carrière, une communauté avec laquelle je me sens bien, dans une ville que j’adore. Seulement, cette ville se trouve dans le Missouri, un état qui, depuis mon installation il y a 11 ans, est devenu progressivement plus conservateur, penchant vers l’extrême.

En 2020 je suis tombée enceinte pour la première fois, alors que le monde se fermait. En tant que jeunes parents nous étions heureux et naïfs. Une fois les trois premiers mois et l’échographie du deuxième trimestre passé, on pensait que plus rien ne pourrait aller mal. On n’aurait pas pu se tromper davantage.

Notre monde bascule

À 24 semaines de grossesse, notre monde bascula. À l’échographie de croissance on a appris que notre fille avait 3 semaines de retard sur sa croissance et le placenta ne lui apportait que très peu de sang et d’oxygène. J’ai été envoyée directement au service maternité sans comprendre ce qui se passait. Toujours naïfs mais la peur au ventre on est arrivé, on n’a pas compris pourquoi tout le personnel médical s’agitait autour de nous jusqu’à ce que les équipes obstétrique et pédiatrique débarquent dans ma chambre. Ils nous ont annoncé que je faisais une prééclampsie précoce et sévère, qu’avec un poids estimé à 400 g notre bébé ne survivrait pas à un accouchement, j’allais être hospitalisée et je ne sortirai pas de l’hôpital enceinte. Continuer ma grossesse était risqué car la prééclampsie ne se guérit pas et elle peut devenir mortelle pour la mère et le bébé si on n’intervient pas à temps. Nous nous sommes retrouvés dans la situation clichés des séries hospitalières à la Grey’s Anatomy, on sauve qui : moi ou le bébé ? Sauf que c’est plus compliqué que ça en réalité, soit on mourrait toutes les deux soit je survivais. Nous avons dû prendre des décisions par rapport à notre fille : est-ce qu’on tente le tout pour le tout en néonat avec un infime espoir qu’elle soit un miracle ou est-ce qu’on lui évite la souffrance en lui disant au revoir ?

Après de longues heures à parler avec plusieurs médecins nous avons décidé d’éviter tout traitement pour elle car ses chances de survie étaient très faibles et si (un grand si) elle survivait elle aurait fort probablement une très mauvaise qualité de vie, incapable de marcher, parler, manger, aller aux toilettes… Être vivante sans vivre. Cette décision et les médicaments m’ont donné une semaine de survie. Une semaine où on a cru que les miracles pouvaient nous arriver. Malheureusement une semaine après mon hospitalisation ma santé empirait, mon corps ne fonctionnait plus, mes reins, mon foie, et mon cœur étaient dans un très mauvais état. Le placenta fonctionnait mal, notre fille ne recevait plus d’oxygène. Je devais accoucher. Nous avions décidé qu’elle aurait des soins palliatifs auprès de ses parents, au chaud dans nos bras, entourée d’amour.

Un État qui restreint l’avortement

Au moment où notre vie changeait pour le pire, nous faisions face à d’autres challenges : les restrictions sur l’avortement dans l’État du Missouri. Même quand la vie de la mère est en danger, déclencher un accouchement est considéré comme un avortement. Mon médecin nous met en garde, le bébé peut mourir à tout moment in utero mais si elle naît vivante, on aura une montagne de papier à remplir pour prouver que l’on m’a déclenchée pour sauver ma vie.

Mon accouchement fut très long et comme le travail ne s’accélérait pas ils m’ont donné un médicament pour m’aider : la pilule pour l’avortement, qui est donnée en tout début de grossesse. À 25 semaines de grossesse elle ne me ferait pas avorter. Et pourtant j’ai dû écouter un médecin, forcé par les législateurs du Missouri, me lire les risques de ce médicament.

L’ironie était là, leur papier, écrit par des gens contre l’avortement, me mettait en garde contre un médicament non dangereux en espérant me faire peur et me forcer à rester enceinte alors que la grossesse était en train de nous tuer ma fille et moi. Le médecin s’est excusé plusieurs fois et j’ai signé le papier en maudissant ces gens qui n’ont aucune idée du mal qu’ils font aux parents qui doivent dire au revoir à leur bébé tant voulu et tant aimé. Je ne voulais pas d’avortement, je voulais voir ma fille grandir en bonne santé. Elle est morte in utero, légalement elle est mort-née. Alors que mon État prône que la vie commence à la conception, ma fille n’a aucun document qui prouve son existence.

Le droit à l’avortement banni à une exception près

On avance jusqu’au 24 juin 2022, je rentre de la pharmacie où je suis allée chercher mes médicaments pour le cœur prescrits à vie car la prééclampsie a causé une insuffisance cardiaque, bien que guérie, les risques sont toujours présents.

À ce moment-là, cela faisait 10 mois que j’essayais sans succès de tomber enceinte, mes inquiétudes étaient tournées vers les tests de fertilité que nous avions entamés. Il était 9 h 35 quand j’ai reçu un message d’une amie inquiète de savoir comment je me sentais face à la nouvelle de la cour suprême. Je fis une recherche rapide sur Google et je me suis effondrée sur les escaliers : le droit à l’avortement n’était plus un droit national et l’État du Missouri venait juste de le bannir avec pour seule exception que la vie de la mère soit en danger imminent.

Me voilà le 24 juin avec moins de droit que la veille et beaucoup de questions qui me préoccupent. Est-ce que nous devons continuer nos essais ? Est-ce que je prends un trop gros risque pour ma santé ? Est-ce que mon médecin va devoir me laisser mourir parce qu’elle n’a pas le droit de me sauver à temps ? Comme une mauvaise blague, mon test d’ovulation fut positif quelques jours après l’interdiction à l’avortement, me voilà pétrifiée en regardant le sourire digital me dire « Allez si tu veux un bébé c’est aujourd’hui ». Je suis terrifiée de tomber enceinte à nouveau et de refaire une prééclampsie, de ne pas pouvoir être sauvée à temps. Je n’ai pas envie de mourir.

Une grossesse ou la vie ?

Quelques mois auparavant, alors que les rumeurs de la décision de la cour suprême avaient fait la une des journaux, j’avais posé la question à mon docteur, est-ce dans les mêmes circonstances, elle pourrait me sauver ? Elle répondit qu’elle ferait tout ce qu’elle pourrait dans la limite de la loi. Une réponse vraiment pas réconfortante.

Oui, la loi du Missouri a une exception pour la vie de la mère mais sans détails sur ce que cela signifie. À quel moment est-ce que la vie de la mère est considérée comme en danger ? Dans mon cas, est-ce que c’était quand ma tension était à 19 ? Quand mes reins ont perdu énormément de protéines ? Quand mes poumons se sont remplis de liquides ? Ou quand mon cœur commençait à lâcher ? La grossesse peut être très dangereuse et parfois les médecins doivent agir très vite, mais maintenant, ils seront ralentis par les coups de fil aux avocats pour savoir ce qu’ils ont le droit de faire.

Les États-Unis ont le taux de mortalité maternelle le plus élevé des pays riches et le Missouri est 7e sur la liste des états. Nous savons que l’interdiction à l’avortement ne va qu’augmenter la mortalité maternelle. J’ai peur de retomber enceinte, j’ai peur de mourir parce qu’il sera illégal de me sauver.

Après la mort de ma fille, Je m’étais préparée à une grossesse à risque, mais je ne m’étais pas du tout préparée à une grossesse dans une Amérique où l’avortement est interdit.

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