Après mon congé paternité, j’ai vécu mon retour au travail comme un choc

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Civodul Nacrut keyboard and masks

BIEN-ÊTRE AU TRAVAIL - Je suis revenu dans ma boîte après dix mois de congé parental. Au bout de quelques heures, pas plus, force fut de constater que rien n’avait changé. Ce ne fut qu’une mince désillusion puisque je n’avais pas grand espoir d’une quelconque évolution. Tous les rouages permettant à l’association homme/capital de réaliser la production qui serait consommée par les masses, étaient en place. Les routines managériales, les réunions, les problèmes, les collègues, la machine à café et les ragots tout y était. Et à bien y réfléchir, je me murmurais intérieurement que si, quelque chose avait bel et bien changé Et cette chose c’était moi.

La mise à distance du monde de l’entreprise que je mûrissais depuis quelques années et qui fût rendue possible, par la grâce de la naissance de mon fils et de la possibilité de prendre un congé parental pour être auprès de lui, m’a conforté dans l’idée qui n’était alors qu’une intuition, que je détestais le monde de l’entreprise.

Une mise à distance souhaitée

Cette mise à distance, je l’avais souhaitée silencieusement des années durant. Salarié depuis plus de vingt ans, il était temps pour moi de prendre un vrai recul. D’arrêter mon travail en entreprise pour servir un recentrage sur d’autres activités pour lesquelles j’avais le goût et l’envie de consacrer mon temps. Activités réparties entre famille (avec mon nouveau-né au premier plan), culture et oisiveté. J’ai donc passé dix mois à goûter ce modèle. Ce ne fût qu’un aperçu, un fragment, une mince bouchée, mais d’une saveur si intense que j’ai aujourd’hui l’irrémédiable envie de replonger la cuillère au fond du pot pour renouveler la dégustation.

Au cours de cette période, je ne compte plus le nombre de personnes étant venu me voir, la mine déconfite et le ton compatissant pour me demander si je ne m’ennuyais pas trop et si les journées n’étaient pas trop longues. Je tombais littéralement de ma chaise en entendant cela. Alors, en répondant qu’évidemment tout allait bien, je ne pouvais m’empêcher de constater la tristesse et le vide sidéral que devait être la vie de ces personnes qui pensaient le rôle qu’on leur avait attribué dans l’entreprise comme unique source de tout épanouissement, de tout lien social, de réussite et comme caractéristique principale de leur être : « J’ai une fonction donc je suis ». Personnellement, je n’adhère pas du tout à cette injonction. J’ôte ma tenue de scène dès que je le peux pour rejoindre moult autres activités qui participent à la culture de mon être. Le bémol ? Aucune de ces activités ne me permet de tirer un quelconque revenu de leur pratique. Et sans revenu, difficile de survivre dans nos sociétés modernes. J’ai donc consenti à revenir vers mon activité salariée, activité qui a su m’épanouir un temps. Un temps où j’étais enfermé dans le modèle de réussite standardisé que l’on avait programmé en moi durant l’enfance à savoir : « tu choisis un métier, tu te formes et tu trouves une boîte pour y bosser ». Balivernes…

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Le retour, un choc violent

Une grenouille qui, plongée dans une casserole d’eau froide que l’on amène progressivement à ébullition meurt, alors qu’une seconde grenouille plongée directement dans l’eau bouillante sursaute sous le choc hors de la casserole et conserve la vie. Eh bien, je me suis senti comme la seconde grenouille en remettant le pied dans l’entreprise. Le choc a été violent. Cette fois plus de doute, l’entreprise est vraiment le royaume de l’artificiel, du faux-semblant, des coups bas et surtout des rôles. Des costumes tout prêts, universels, que l’on endosse bien souvent sans s’en rendre compte, transformant les salariés en comédiens, idiots utiles malgré eux.

Je suis donc naturellement entouré de gens, qui jouent leur partition à la perfection. On trouvera l’employé d’expérience. Il est la depuis un bail, il connaît tout et « on ne la lui fait pas ». Des promesses, il en a plein les poches et il ne se prive pas pour interpeller le patron et lui rappeler qu’il y a un tas de problèmes et que rien ne va. Évidemment, ses propos, sauf exception, tenant davantage du dogme que d’une réalité factuelle. Autre personnage clé, le manager qui pense être la clé de voûte du système et qui est prêts à se plier en quatre pour mener à bien sa besogne. S’il n’y arrive pas, il passera une mauvaise nuit ou son week-end à ruminer. Dans tous les cas il fait 80 heures par semaine, travaille chez lui et rétorque à sa compagne, quand elle lui rappelle qu’on est samedi, qu’il doit le faire sinon lundi ce sera la cata…

La démesure dans le dévouement à l’entreprise

Et des rôles comme ça, il y en a des tas, qu’il serait déraisonnable de détailler ici. Mais entendons-nous bien, loin de moi l’idée de penser qu’il ne faudrait pas bien faire le travail qui est demandé et ne pas être impliqué dans ses activités. Je suis un professionnel et j’ai à cœur de produire un travail de qualité. Mais je le prends pour ce qu’il est.

C’est-à-dire le déploiement d’une force en échange d’un salaire qui aboutit in fine à une micro part du produit national mais qui ne doit en aucun cas avoir un quelconque impact sur ma santé et ma famille. Ce que je pointe du doigt et que je trouve détestable, c’est cette démesure dans le dévouement qui laisse à penser que le collaborateur s’oublie et surtout, oublie qu’il joue un rôle. Et l’oublier, pour parler comme Sartre, c’est se prendre au sérieux.

Et moi je ne veux rien prendre au sérieux par ce que rien n’est sérieux au sens où je l’entends (en entreprise). Et lorsque je joue un rôle, quand j’endosse le costume du cadre moyen, sérieux et force de proposition pour servir le projet d’entreprise, je le fais en tant qu’acteur du film mis en scène par le chef d’entreprise. Ou bien, et c’est le plus vraisemblable, que je joue le rôle de celui qui ne voulait pas de rôle.

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