Après les chars, des avions pour l’Ukraine ? Pourquoi les États-Unis et les Européens sont réticents

Four upgraded US-made F-16 V fighters fly during a demonstration at a ceremony at the Chiayi Air Force in southern Taiwan on November 18, 2021. (Photo by Sam Yeh / AFP)
SAM YEH / AFP Four upgraded US-made F-16 V fighters fly during a demonstration at a ceremony at the Chiayi Air Force in southern Taiwan on November 18, 2021. (Photo by Sam Yeh / AFP)

ÉTATS-UNIS - C’est un « non » catégorique. Joe Biden a fait part lundi 30 janvier de son opposition concernant l’envoi de jets F-16 à l’Ukraine, qui les réclame pour continuer ses combats contre l’armée russe. Cette déclaration du président américain intervient quelques jours après que les États-Unis, sous pression, ont enfin accepté de livrer des chars lourds Abrams à Kiev.

« Le président Biden a été clair sur le fait qu’il avait deux objectifs fondamentaux : faire tout son possible pour aider l’Ukraine contre cette attaque brutale de la Russie, et le faire sans risquer une implication directe des États-Unis ou de l’Otan », a rappelé sur la chaîne CBS Ivo Daalder, ancien ambassadeur américain à l’Otan entre 2009 et 2013.

Or, « les armes qui peuvent frapper profondément le territoire russe, comme les avions de combat F-16, vont trop loin », estime cet expert désormais président du groupe de réflexion Chicago Council on Global Affairs. « Cette fois, ce n’est plus comme les missiles Patriot ou les tanks, où le problème résidait plutôt dans la logistique et la formation des soldats, ajoute-t-il. Avec les avions de combat, le problème vient de la nature même des armes. »

La formation des soldats encore dans la balance

En effet, détaille sur CBS Ivo Daalder, les F-16 permettraient d’améliorer les capacités « offensives » de l’Ukraine et « aider dans la défense, notamment contre les drones et les missiles qui volent plus doucement ».

Léo Péria-Peigné, chercheur au Centre des études de sécurité de l’Ifri interrogé par le Huffpost, développe : « Ces avions ont un radar plus puissant, ce qui permet de tirer des missiles sur des cibles terrestres et aériennes de plus loin. Ils permettraient aussi à l’armée de retrouver de la masse : les Ukrainiens manquent d’avions mais aussi de pilotes, souvent tombés en même temps que leur engin. »

Contrairement à Ivo Daalder, le spécialiste de l’armement français estime cependant que le refus américain s’explique surtout en raison de la « formation des soldats, qui est très longue ». « Pour des F-16, il faut compter trois ans si on part de zéro. À moins qu’elle ait déjà commencé - ce qui n’est pas impossible avec l’aide polonaise - il faudra au moins un an » avant de voir ces avions de combats sur le terrain, juge-t-il.

L’Allemagne refuse, la France hésite

Si les États-Unis refusent de les fournir, des pays tiers peuvent-ils prendre l’initiative comme souhaitait le faire la Pologne avec les chars Leopards allemands ? De nombreux pays sont équipés en Europe, dont la Belgique, le Portugal, la Grève, la Roumanie ou encore le Danemark.

« C’est plus difficile pour les avions, car les pièces du fabricant initial [la firme Lockheed Martin, ndlr] sont essentielles. De même, le soutien américain pour la formation sur cet avion ancien, dont le premier vol date de 1974, est indispensable », pointe Léo Péria-Peigné. C’est pourquoi, juge-t-il, « l’aide unilatérale sans l’aide des États-Unis est impossible, contrairement aux chars ».

De toute façon, pour le moment, les États-Unis ne sont pas les seuls à être frileux. En Allemagne, « la question des avions de combat ne se pose même pas », a évacué le chancelier Olaf Scholz. « Le sujet n’existe pas », a aussi lâché à l’AFP Wojciech Skurkiewicz, vice-ministre polonais de la Défense. Pour les Pays-Bas, le sujet n’est pas « tabou, mais ce serait un grand pas ».

En France, Emmanuel Macron n’a pas totalement exclu l’idée mais a posé ses conditions : que ce soit une « demande formulée » par l’Ukraine, que ce ne « soit pas escalatoire » et que « ça ne vienne pas affaiblir la capacité de l’armée française à protéger son propre sol ». Tous redoutent, comme Joe Biden, que la guerre ne dépasse les frontières de l’Ukraine.

Biden va-t-il « prendre le risque d’une réponse russe » ?

Reste que la réponse de Joe Biden vient contredire les membres de l’administration récemment interrogés par la presse américaine. Sur MSNBC, le conseiller-adjoint à la sécurité nationale pour la Maison-Blanche Jon Finer avait par exemple déclaré la semaine dernière que la question des avions de combat allait être discutée « très soigneusement » et qu’« aucun système spécifique n’a(vait) été exclu ».

« Je ne crois pas que nous soyons opposés » à l’envoi de F-16, avait également indiqué à Politico un membre du ministère de la Défense, sous couvert d’anonymat. Au même média, un autre membre de l’administration interrogé après le « non » du président a révélé qu’il n’avait eu en réalité « aucune discussion sérieuse au plus haut niveau à propos des F-16 ».

Preuve, donc, qu’un changement de cap n’est pas à exclure à l’image des changements de positions sur les missiles Patriot puis les chars Abrams. « La ligne est sans arrêt en train de bouger. Au début de la guerre, c’étaient uniquement des armes défensives, depuis remplacées par les armes de longues portées, plus d’artillerie et maintenant les chars... », souligne Ivo Daalder. Qui conclut : « Cela signifie qu’à un moment, le président (Biden) peut tout à fait prendre le risque d’une réponse russe. »

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