Sur les applis de rencontre, les fautes d’orthographe doivent-elles vraiment être un critère ?

Sur les applis de rencontre, l’orthographe peut avoir son importance.
Sur les applis de rencontre, l’orthographe peut avoir son importance.

DATING - Une faute d’accord ou de conjugaison, un « sa va » ou un « comme même » qui vous agresse les yeux… L’orthographe peut parfois faire toute la différence sur les applications de rencontre, ou lorsque l’on se drague par message.

Pour Océane, une étudiante en tourisme de 26 ans, « faire une grosse faute d’orthographe est rédhibitoire dans la présélection des profils sur les applis ». Près de 40 % des Français pensent comme elle, selon un sondage Ifop paru le jeudi 29 juin, et considèrent les fautes d’orthographe comme un « tue l’amour ».

Selon le linguiste Arnaud Hoedt, que nous avons contacté par téléphone, « on a tendance à coller une étiquette à une personne qui parle mal la langue, dans toutes les sociétés. Mais c’est très francophone de juger les autres sur l’orthographe, qui n’est que le code graphique qui retranscrit une langue. »

Quand on fait une erreur, « c’est un peu comme une faute de goût vestimentaire », estime-t-il. Selon son collègue linguiste Jérôme Piron, le cliché qu’on accole à une personne qui fait des fautes est qu’elle serait « bête ».

Mettre les gens dans des cases

Leur analyse rejoint certains des témoignages que nous avons reçus. Océane l’admet, elle « associe malencontreusement les personnes qui font trop de fautes à des personnes peu intelligentes ». Elle estime que l’orthographe est aussi une question de volonté : « Pour moi, une personne qui fait des erreurs, ça reflète une personne qui ne fait pas d’effort dans la vie. Elle ne prend pas le temps de se relire. Et elle ne se dit pas qu’elle va essayer d’apprendre les bases. Mettre un ’s’ au pluriel, on nous l’enseigne à l’école primaire. »

Mais l’étudiante reconnaît : « Je catégorise, je sais, ce n’est pas bien. Il peut y avoir des personnes qui sont dyslexiques… Et si la personne est très intéressante, je peux aussi faire l’effort. »

Lou souffre de dysorthographie, un trouble de l’apprentissage de l’orthographe. Pourtant, cette architecte d’intérieure l’avoue : elle « met les personnes qui font des fautes dans des cases ». « Je pense que je vois beaucoup moins les erreurs… Mais certaines me font quand même mal aux yeux. S’il y en a beaucoup, je trouve ça inconsciemment gênant et rédhibitoire. Je me dis que ça va être plus compliqué d’avoir des conversations intéressantes. C’est bête, parce que j’en fais beaucoup aussi », admet la jeune femme.

Pour Marie, une graphiste de 55 ans, « une orthographe parfaite dénote une bonne compréhension des choses, des gens, des événements, du contexte… Cela indique également une familiarité avec les mots, (...) une certaine ouverture d’esprit, de la finesse… En résumé, derrière un homme qui écrit bien, je devine un homme intelligent. Et là, ça m’intéresse ».

Le signe d’un mépris de classe ?

Mais pour les linguistes Arnaud Hoedt et Jérôme Piron, coauteurs du livre Le Français n’existe pas (éd. Le Robert), le lien entre l’intelligence et l’orthographe est une « imposture ». « Quel que soit le niveau d’orthographe, on peut avoir un degré d’expression très puissant. On peut écrire une phrase magnifique avec du vocabulaire tout pourri. Tous les grands écrivains sont corrigés par leurs éditeurs. Et ça ne change rien à leurs compétences rédactionnelles », rappelle Arnaud Hoedt.

Le niveau en orthographe est plutôt lié à la scolarisation, « même si cela est un peu réducteur », selon le linguiste, mais aussi à l’origine sociale. Pour Jérôme Piron, « la France est l’un des pays développé où l’origine sociale détermine le plus la réussite scolaire. C’est regrettable, mais l’orthographe peut donc être le signe de notre origine sociale. »

D’autant plus que la complexité de notre orthographe a été maintenue « pour des raisons de distinctions sociologiques », rappelle Arnaud Hoedt : « L’orthographe est un code qui est resté délibérément compliqué car il donne accès à des privilèges. Les personnes qui l’auront acquis auront un ascendant social. »

Les linguistes persistent : s’arrêter sur l’orthographe, c’est prendre le risque de « passer à côté de personnes intéressantes, intelligentes, ou d’un super coup », selon Arnaud Hoedt.

« On n’est pas tous égaux face à l’orthographe »

D’autres raisons poussent certaines personnes à prêter une attention particulière à l’orthographe. Pour Claire*, qui exerce un métier littéraire, les fautes d’accord ou de conjugaison sont rédhibitoires dans un contexte de drague. La raison ? « J’aime prendre plaisir à lire quelqu’un, comme je peux en prendre à l’écouter. S’il fait des fautes, ça risque de m’enlever ce plaisir. »

« Je suis plutôt touché par les personnes littéraires. Et je vais me dire qu’elle ne l’est pas si elle fait des fautes », continue la jeune femme. Idem pour Marie, pour qui une bonne orthographe indique « le goût de la lecture et de l’écrit ».

« Une faute change la forme du mot. Ça perturbe la fluidité de la lecture et ça peut être désagréable », reconnaît Jérôme Piron. Mais notre niveau en orthographe dépend aussi de notre capacité à apprendre : « Pour certains, il suffit de lire des livres pour apprendre comment on écrit les mots. Pour d’autres, non. On n’est pas tous égaux face à l’orthographe. À quantité d’efforts similaire, on n’obtient pas forcément le même résultat. »

Réformer l’orthographe

Si l’orthographe fait partie de leurs critères de sélection, Océane et Lou admettent qu’elles font aussi attention à la manière dont elles écrivent. Avant d’envoyer un message à un potentiel partenaire, elles le relisent et vérifient les règles quand elles ne sont pas sûres.

Arnaud Hoedt aimerait voir disparaître cette pression et souhaite « que les personnes qui font des fautes arrêtent de se sentir bêtes, ou de trouver légitime qu’on les disqualifie ». Selon les deux linguistes, c’est l’orthographe qu’il faut questionner, plutôt que l’intelligence des gens. « L’orthographe mériterait d’être reformée. Cela permettrait un accès plus facile à la langue et qu’on arrête de se juger d’une façon malveillante sur la base d’un outil foireux », estime-t-il.

Jérôme Piron détaille ainsi : « Il y a des listes entières d’absurdités, dans la conjugaison, dans le participe passé, dans l’étymologie… » Reste à vous de décider s’il faut swipper à gauche quand un potentiel date fait une erreur de participe passé.

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