Anonymisation, fin de la détention provisoire, avocat payé... Ce qui pourrait changer pour les policiers

Les syndicats de police ont longuement été reçus par Gérald Darmanin ce jeudi soir. Si le ministre a été sensible à leurs propositions en voulant notamment mettre fin à la possibilité qu'un policier soit en détention en attendant son procès, la traduction juridique s'avère délicate.

Un long échange pour faire redescendre la pression. Gérald Darmanin a reçu les syndicats policiers jeudi soir pour tenter d'éteindre la fronde. La colère gronde dans les rangs des forces de l'ordre après le placement en détention provisoire d'un policier marseillais, accusé d'avoir roué de coups le jeune Hedi, désormais amputé d'une partie de la boîte crânienne. L'occasion pour les centrales syndicales d'avancer leurs pions pour faire évoluer leur statut, avec un certain succès.

"On a vu un ministre plutôt à l’écoute, plutôt d’accord avec nos propositions", a ainsi résumé Fabien Vanhemelryck, secrétaire général d’Alliance sur BFMTV, à la sortie du rendez-vous.

• Anonymiser le nom des policiers dans les procédures, possible mais peu utilisé

Les syndicats ont ainsi insisté sur l'anonymisation des policiers dans les procédures. Sur le papier, cette possibilité existe déjà. Si, en principe, toute personne peut "connaître le prénom, le nom, la qualité et l’adresse administrative de l’agent chargé d’instruire sa demande ou de traiter l’affaire qui la concerne" selon le code des relations entre le public et l’administration, une exception existe.

"Si des motifs intéressant la sécurité publique ou la sécurité des personnes le justifient, l’anonymat de l’agent est respecté", précise ainsi la loi. Cette possibilité vise principalement des affaires de terrorisme.

Cette anonymisation peut seulement se faire sur autorisation de sa hiérarchie et seulement si "les conditions d’exercice de sa mission sont susceptibles de rendre son identification dangereuse pour sa vie ou son intégrité physique".

"Il faut bien être conscient aujourd'hui que l'avocat d'une personne mise en cause sur une affaire sur la voie public peut obtenir le nom d'un policier. C'est grave, ça le met en danger lui-même comme sa famille, ses proches", s'inquiète Denis Jacob, secrétaire général d'Alternative police.

L'anonymisation dans les procédures passerait par l'usage du RIO (référentiel des identités et de l'organisation). Ce matricule qui correspond aux sept chiffres qui identifient toutes les forces de l'ordre pourra être utilisé en lieu et place de leur état civil sur les procès verbaux.

Une proposition de loi des députés LR avait déjà été déposée en mars 2022 dans ce sens. Elle n'avait alors pas abouti. La mission s'avère cependant à haut risque: le Conseil constitutionnel a déjà jugée inconstitutionnelle cette possibilité en mars 2023.

• Rendre impossible la détention provisoire des policiers

Autre proposition avancée pour les syndicats que Gérald Darmanin a promis d'étudier: la fin de la possibilité de la détention provisoire pour les policiers.

Fixé par l'article 144 du code de procédure pénale, elle ne peut être ordonnée ou prolongée pour les forces de l'ordre que si elle constitue l'unique moyen de "conserver les preuves", "d'empêcher une pression sur les témoins ou les victimes" ou "une concertation frauduleuse entre personnes mises en examen et complices".

C'est ce motif qui a été retenu pour l'instant pour le policier marseillais actuellement en détention provisoire. Un juge peut également écrouer un policier pour "mettre fin à une infraction ou pour prévenir son renouvellement".

"Il faut se mettre à la place de nos collègues qui ont vécu des violences extrêmes. Les collègues se disent 'moi aussi, je peux être placé en détention provisoire. Ça alimente le malaise", avance Thierry Clair, secrétaire général adjoint UNSA Police.

Le Conseil supérieur de la magistrature a de son côté rappelé qu'"en vertu du principe de séparation des pouvoirs, principe fondateur de l’État de droit", "l’autorité judiciaire est la seule légitime pour décider du placement en détention provisoire (...) dans le strict respect des règles de droit qui s’appliquent à tous, sans exception".

• Faire prendre en charge par l'État les frais d'avocat

Les syndicats de police réclament enfin "une protection fonctionnelle efficace". Les policiers comme tous les fonctionnaires ont accès à cette possibilité. Comme le précise service-public.fr, le site officiel de l'administration française, tout agent de la fonction publique peut se voir prendre en charge tout ou partie des frais de procédure juridique, en cas d'action en justice à la suite d'une agression ou en cas de poursuite pour faute de service.

Dans les faits, la situation est un peu plus compliquée, suivant les départements et les faits qui concernent le policier.

"Nous, ce qu'on veut, c'est la prise en charge des frais d'avocat, des frais de soins", résume Jean-Christophe Couvy, secrétaire national du syndicat SGP Police FO sur France info ce vendredi.

Ce policier évoque encore "la prise en charge par exemple pour nos familles" d'un déménagement, "quand on doit déménager rapidement parce que notre nom a été balancé publiquement".

Gérald Darmanin a annoncé le lancement d'une réflexion sur ce chantier d'ici le 15 septembre pour aboutir à terme à un guichet unique pour les fonctionnaires de police qui veulent déclencher la protection fonctionnelle.

• Ouvrir des discussions entre l'Intérieur et la Justice

Charge désormais à Gérald Darmanin de faire avancer ces propositions, sans garantie pour les forces de l'ordre.

"Il y a des bonnes intentions mais après il faut discuter avec le garde des Sceaux puis présenter un texte au Parlement, puis le faire voter. On est très loin de voir appliquer nos propositions", remarque ainsi Denis Jacob.

Le garde des Sceaux et le ministre de l'Intérieur échangeront à ce sujet lors d'une réunion à la rentrée. Interrogé ce vendredi, Éric Dupond-Moretti n'a guère fait preuve d'allant.

"Si la question, c'est de savoir si la justice aurait besoin d'une nouvelle législation qui serait une législation particulière d'exception, je vais vous dire que la justice a d'abord besoin, et surtout besoin, c'est de respect, comme les policiers", a fait savoir le ministre de la Justice.

Article original publié sur BFMTV.com

VIDÉO - 7 MINUTES POUR COMPRENDRE - Une justice d'exception pour les policiers ?