Les annonces d’Aurore Bergé sont « violentes » et « stigmatisantes » dénoncent ces assos de mères isolées

Sur les mineurs interpellés lors des émeutes, 60 % étaient issus de foyers monoparentaux.  83 % de ces foyers sont portés par des mères.
juanma hache / Getty Images Sur les mineurs interpellés lors des émeutes, 60 % étaient issus de foyers monoparentaux. 83 % de ces foyers sont portés par des mères.

PARENTALITÉ - « On passe notre vie à se battre pour la survie de nos gosses et on est en train de nous dire qu’on les élève mal et qu’on en fait des délinquants ? C’est hyper violent », s’insurge Agnès Aoudai, coprésidente du Mouvement des mères isolées (MMI) après les annonces d’Aurore Bergé sur les « parents défaillants ». En évoquant de nouvelles sanctions à l’égard des parents d’enfants délinquants, la ministre des Solidarités et des Familles a provoqué la colère de nombreuses associations.

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Aurore Bergé a notamment proposé la mise en place de « travaux d’intérêt général » pour les « parents défaillants », le paiement d’une contribution financière auprès d’une association de victimes pour les parents d’enfants coupables de dégradations et une amende pour les parents ne se présentant pas aux audiences qui concernent leurs enfants.

Ces mesures ont été présentées par la ministre comme une réponse directe aux révoltes ayant éclaté après la mort du jeune Nahel à Nanterre, tué par un policier. Selon la définition donnée par le cabinet de la ministre, les « parents défaillants » seraient par exemple les parents « lors des émeutes qui sont descendus dans la rue pour participer et encourager les actes de vandalisme, ce sont des parents qui ne sont pas responsables vis-à-vis de la sécurité de leurs enfants ».

Les propositions de la ministre sont jugées « répressives » par certains membres de la commission scientifique sur la parentalité, mise en place par le gouvernement en parallèle de ces annonces, au point que trois d’entre eux ont déjà démissionné.

C’est l’avis également des associations de parents isolés interrogées par Le HuffPost. « C’est toujours de la répression et de l’individualisation, sans prendre en compte le contexte social et économique qui peut engendrer de la violence, souligne Agnès Aoudai. Faire payer aux plus précaires le désengagement de l’État, c’est hyper stigmatisant. »

Arrêter de « stigmatiser les mères isolées »

Sur les mineurs interpellés lors des émeutes, 60 % étaient issus de foyers monoparentaux. « Ce sont à 83 % des foyers portés par des mères et à 3 % des foyers portés par des pères, rappelle Aurélie Gigot, référente de l’antenne Collective des Mères isolées à Saint-Denis. Il ne faut pas, une fois de plus, stigmatiser des mères isolées, qui sont bien présentes, contrairement aux pères déserteurs, qui ne sont pas présents auprès des enfants. »

Après les annonces d’Aurore Bergé, ces mères solos se sentent particulièrement visées et n’en décolèrent pas. « On se retrouve en tant que parents à être mis au pilori et jugés sur la place publique. Or, ces familles ont besoin d’être aidées et pas d’être punies, s’agace Nina Ould Ami, présidente de l’association des familles monoparentales du Loir-et-Cher. Il faut arrêter de prendre les parents pour des boucs émissaires quand on n’arrive pas sociétalement ou politiquement à proposer des solutions. C’est trop facile. »

Déconjugalisation de l’allocation de soutien familial

Pour elles, ces familles ont plutôt besoin de soutien. « 50 % des foyers monoparentaux sont pauvres, ce qui a une incidence sur le parcours des enfants, rappelle Aurélie Gigot. 21 % des familles monoparentales sont en situation de mal-logement. Les mères isolées sont à 42 % en temps partiel subi, en CDD à 20 %. Fatalement, ces familles sont en situation de privation matérielle constante. » Cette aide pourrait passer par d’autres mesures, qui n’ont pas été évoquées par la ministre.

Par exemple, la déconjugalisation de l’allocation de soutien familial, évaluée à 187,40 € par mois, que touche un parent seul - en grande majorité des femmes, donc - lorsque l’autre parent ne verse pas la pension alimentaire ou est insolvable. « Si la femme qui reçoit l’ASF se remet en couple, l’allocation est supprimée, souligne Aurélie Gigot. On demande qu’elle puisse être déconjugalisée, de manière à ce que si une mère seule se remet en couple, l’homme avec qui elle est n’ait pas à assumer la charge d’enfants qui ne sont pas les siens. »

Une proposition de loi de La France Insoumise, qui souhaite mettre fin à la conjugalisation de l’ASF, a été examinée en novembre par les députés et le Sénat. « Elle n’a pour l’instant pas reçu un avis favorable de la majorité, regrette Aurélie Gigot. Ça devrait dépasser la question des clivages politiques, parce que ça touche à l’économie de la France de demain. »

Créer un statut de parent isolé

Autre suggestion qui aurait été envoyée à la ministre, pour l’instant sans réponse : la création d’un statut de parent isolé, pour lequel milite la Collective des Mères isolées. « Il donnerait accès au logement, à la culture, à l’éducation, aux loisirs, à la santé… énumère-t-elle. Parce que les familles monoparentales sont des familles très invisibilisées, précarisées et minorisées. Donc c’est double peine, quand on est mère isolée et femme et que de fait, on transmet cette précarité en héritage à nos enfants. »

La commission scientifique sur la parentalité, mise en place par la ministre, ne récolte pas beaucoup d’enthousiasme non plus. « Le choix d’avoir mis le pédopsychiatre Serge Hefez, grand défenseur du syndrome d’aliénation parentale, à la tête de la commission scientifique, interroge », note Agnès Aoudai, coprésidente du Mouvement des mères isolées (MMI).

Comme le rapporte Madmoizelle, le pédopsychiatre est l’un des porte-parole de cette théorie, jugée dangereuse et sans réel fondement scientifique par les militants de la protection infantile et utilisée dans les affaires d’inceste en défaveur des mères qui cherchent à protéger leurs enfants.

Le « syndrome d’aliénation parentale » (SAP) est construit sur l’image d’une mère qui manipulerait son enfant pour nuire au père dans un contexte de conflit parental. Or, de nombreuses études ont démontré depuis les fausses allégations de violences sexuelles sont marginales. En 2019, le ministère de la Justice a d’ailleurs émis une note interne pour informer du caractère « controversé et non reconnu » de cette notion et en 2020, le SAP a été officiellement retiré de la Classification internationale des maladies (CIM-11), le registre américain de référence sur les troubles mentaux.

Les associations appellent globalement la ministre à davantage de consultation et de travail de terrain. « Qu’elle appelle les associations. On a plein d’idées, on a rédigé tout un programme qu’on leur a envoyé. Il n’y a aucune concertation », regrette Agnès Aoudai.

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