En Allemagne, l’arrêt des réacteurs nucléaires illustre un paradoxe de l’écologie

CLIMAT - Il n’y a pas que le CO2 dans la vie ? Ce samedi 15 avril, l’Allemagne sort définitivement du nucléaire. En mettant à l’arrêt total ses trois dernières centrales, le pays fait le pari de réussir sa transition verte sans l’atome. Les portes de centrales de Neckarwestheim (Sud), d’Emsland (Nord) et d’Isar 2 (Est) se ferment avec quatre mois de retard par rapport à l’objectif initial, mais il s’agit bien de clôtures définitives. Il a fallu à l’Allemagne vingt ans pour sortir de l’atome.

Un plan éclair, d’abord lancé en 2002, puis accéléré en 2011 par Angela Merkel, juste après la catastrophe de Fukushima. « Même dans un pays de haute technologie comme le Japon, les risques liés à l’énergie nucléaire ne peuvent être maîtrisés à 100 % », justifiait alors l’ex-chancelière. Depuis ses paroles, le pays a fermé douze centrales nucléaires. Un choix clair qui divise les écologistes, partagés sur la manière d’opérer la transition énergétique : le nucléaire est-il vraiment l’ennemi ?

Fissure dans la culture allemande antinucléaire

Le pays est pourtant marqué par une forte culture antinucléaire, qui s’illustre dès les années 70 par de nombreuses manifestations. Le 26 avril 1986, l’accident de Tchernobyl vient cimenter le mouvement. Outre le risque d’accidents ou d’atteintes à l’environnement, c’est la question du stockage de déchets radioactifs qui fait le plus réagir.

La population allemande se montre donc favorable aux ambitions du gouvernement de quitter le nucléaire dès les années 2000. « De 2010 à 2019, l’opinion publique soutient largement la transition énergétique, avec un taux d’acceptation qui n’est jamais inférieur à 65 % » indique Marcel Tambarin, spécialiste de l’histoire politique de l’Allemagne.

Mais l’été dernier, les sondages chutent. Désormais, seulement un quart des Allemands souhaitent poursuivre l’objectif d’arrêter toutes les centrales nucléaires du pays selon le sondage ARD-DeutschlandTrend. C’est la guerre en Ukraine qui a fait vaciller l’opinion.

Dans l’ouest de l’Allemagne, des militants projettent sur la centrale nucléaire d’Emsland le slogan « l’énergie nucléaire - plus jamais », le 10 avril 2023.
Dans l’ouest de l’Allemagne, des militants projettent sur la centrale nucléaire d’Emsland le slogan « l’énergie nucléaire - plus jamais », le 10 avril 2023.

L’Allemagne se retrouve privée de gaz russe, et fait face à une crise de l’énergie. Les usines risquent d’être mises à l’arrêt et le chauffage de subir des coupures. « Avec les prix élevés de l’énergie, le sujet brûlant du climat, des voix se sont bien sûr élevées pour prolonger les centrales », témoigne Jochen Winkler, maire de la commune de Neckarwestheim, où la centrale du même nom vit ses dernières heures. Le gouvernement d’Olaf Scholz décide alors de décaler l’arrêt des derniers réacteurs de quelques mois, pour assurer l’alimentation en électricité du pays.

Une énergie peu carbonée, mais controversée

Ce qui renverse l’opinion allemande sur le nucléaire, c’est aussi, paradoxalement, la question de la lutte face au changement climatique. Le pays se donne l’objectif d’atteindre la neutralité en carbone d’ici 2045. Or l’énergie nucléaire est un moyen bas carbone de produire de l’électricité.

« Les émissions de CO2 du nucléaire sont comparables à celles de l’éolien » souligne Christian Simon, maître de conférences sur les énergies à la Sorbonne. Selon les chiffres du GIEC, le nucléaire émet 12 g de CO2 par kW/h, contre 11 g de CO2 par kW/h pour l’éolien. Pourtant, les centrales sont souvent vues comme très polluantes. Une idée reçue, souvent due à la fumée blanche que l’on voit s’échapper des réacteurs. Il s’agit en réalité de vapeur d’eau, liée au système de refroidissement des centrales.

Les partisans du nucléaire insistent : l’énergie atomique présente l’avantage d’être à la fois bas carbone et pilotable, et donc de fournir de l’électricité en continu… Ce qui n’est pas le cas des éoliennes ou des panneaux solaires qui dépendent des conditions météo. Pourquoi alors vouloir se priver d’une telle source d’énergie dans la transition écologique ?

Si certains militants pour le climat et groupes politiques écologistes s’opposent farouchement au nucléaire, ce n’est pas à cause de ses émissions de carbone. Selon le GIEC, les principaux freins au développement du nucléaire sont « les préoccupations sur les risques d’accidents et la gestion des déchets radioactifs ».

Deux visions de la transition énergétique

Les associations opposées au nucléaire, comme Greenpeace, dénoncent en effet la pollution des eaux, de l’air et des sols par les déchets des centrales. Leur second argument est celui de la sécurité. Les récents événements en Ukraine, comme les bombardements près de Zaporijia, ont ravivé le débat autour de la dangerosité de l’atome.

Au fur et à mesure, le débat dépasse la frontière des faits scientifiques et devient de plus en plus politique. Ce sont deux visions qui s’opposent. Les opposants au nucléaire pointent par exemple le fait que l’atome entretient le mythe d’une énergie inépuisable… Une idée en opposition avec leur vision d’une transition énergétique qui nécessite de la sobriété et la réduction de la consommation d’électricité.

Ces perspectives, multiples et contradictoires, de la transition énergétique s’illustrent dans le rapport sur le réchauffement planétaire de 1,5 °C publié par le GIEC. Les experts y projettent plusieurs scénarios permettant de maintenir d’ici 2100 l’augmentation de la température globale sous la barre de +1,5 °C, et jusqu’à +2 °C.

La plupart incluent le développement du nucléaire, à des échelles variées. Mais attention, Christophe Cassou, climatologue membre du groupement, insiste pour le HuffPost : « Le GIEC ne fait pas de recommandations. Il évalue les avantages et inconvénients des leviers. Les choix des leviers sont en revanche politiques ».

Ce fossé entre anti et pro nucléaire n’épargne pas les mouvements écologistes français. En témoignent les nombreuses réactions et prises de paroles qui ont suivi la parution de la bande dessinée « Un jour sans fin » de Jean-Marc Jancovici. Avec pourtant un objectif commun, le mouvement vert se scinde en deux : d’une part ceux qui veulent concentrer les efforts sur la réduction pure des émissions de gaz à effet de serre, et de l’autre ceux pour qui l’écologie ne se peut pas se limiter pas au CO2.

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