Cette aide financière aux victimes de violences conjugales est nécessaire mais encore imparfaite

Une écoutante de la plate-forme téléphonique du 3919, numéro d'appel unique destiné aux femmes victimes de violences conjugales.
JACQUES DEMARTHON / AFP Une écoutante de la plate-forme téléphonique du 3919, numéro d'appel unique destiné aux femmes victimes de violences conjugales.

VIOLENCES - Il s’agit d’un prêt plutôt que d’un don. Votée à l’unanimité au Sénat, la proposition de loi de la sénatrice Valérie Létard (UDI) vise à créer une « aide universelle d’urgence » pour les victimes de violences conjugales et intrafamiliales qui souhaitent quitter leur domicile. Le texte, présenté ce lundi 16 janvier à l’Assemblée nationale, pose plusieurs questions.

Que prévoit-il, tout d’abord ? Il s’agirait d’une avance d’urgence, donc d’un prêt, d’un montant qui reste à définir par décret. Ce prêt serait versé par la Caisse nationale des allocations familiales (CAF) en trois mensualités à la victime, avec un premier versement deux jours après la demande, afin de lui permettre de quitter au plus vite le domicile de l’agresseur. Puis, pendant six mois, elle bénéficierait en plus du RSA. Un dispositif qui a été expérimenté dans le département du Nord.

Le Sénat, dominé par la droite, a déjà validé ce texte à l’unanimité le 20 octobre. S’il est approuvé dans les mêmes termes par l’Assemblée, il sera adopté définitivement. Cette aide « vise à combler un réel manque, lorsque les victimes subissant des violences conjugales rencontrent des difficultés à s’extraire de l’emprise de leur conjoint violent, en raison de la dépendance financière », a exposé Valérie Létard lors de la niche UDI au Sénat.

En 2021, 122 femmes ont été tuées par leur conjoint (soit une hausse de 20 % par rapport à 2020). Selon les associations, de nombreuses victimes de violences sont contraintes de retrouver le foyer conjugal après l’avoir quitté, pour des raisons de dépendance financière.

Violences économiques

La proposition de loi est globalement soutenue par les associations de défense des droits des femmes. « Il s’agit peut-être pour la première fois d’interroger les ressources financières des femmes victimes de violences », selon Floriane Valt, de la Fondation des Femmes, interrogée sur France Inter, pour qui les coûts associés à ces violences sont « un impensé » . Selon la Fédération nationale Solidarités Femmes qui gère la ligne téléphonique d’urgence 3919, un quart des femmes victimes de violences conjugales sont victimes de violences économiques.

Cependant, le texte comporte plusieurs limites. Tout d’abord, il ne s’agirait pas d’une aide à proprement parler mais d’un prêt, qui devra ensuite être remboursé. Un choix critiqué par plusieurs élues de la Nupes, qui ont tenté, en vain, de faire évoluer le texte. « Ce dispositif est inefficace pour les victimes précaires, qui ont perdu leur emploi ou ont vu leur patrimoine confisqué par leur conjoint » , alertait Pascale Martin (LFI) lors de l’examen du texte en commission, en décembre dernier.

La sénatrice Valérie Létard a indiqué qu’une aide sans contrepartie n’aurait pas pu être universelle, mais aurait dû être versée selon des critères précis, excluant par exemple les victimes ayant un salaire et qui pourraient rembourser la somme plus tard, mais n’ayant temporairement pas accès à leur argent.

A priori, les modalités de remboursement seraient souples et, sous certaines conditions, la CAF pourrait « faire payer l’auteur des violences pour des situations dont il est responsable », a précisé la rapporteure centriste Jocelyne Guidez. Par exemple, en cas de condamnation définitive, avec un plafond porté à 5 000 euros. L’exécutif prévoit la création d’une peine complémentaire dédiée dans le Code pénal.

Pour les plus précaires, ce prêt pourrait se transformer en don. À voir comment, ce qui devrait être l’un des sujets des débats à l’Assemblée. Un amendement du groupe Socialiste, adopté au Sénat, a étendu le dispositif « aux violences intrafamiliales ». Mais la proposition de la Nupes pour que la prestation soit « notamment calculée au regard du nombre d’enfants à charge pour la bénéficiaire » a été rejetée.

Places d’hébergement

Autre limite de la proposition de loi, l’octroi de cette aide serait conditionné à une ordonnance de protection, un dépôt de plainte ou un signalement adressé au procureur de la République. Or, toutes les victimes de violences conjugales ne portent pas plainte. Un amendement du groupe écologiste, rejeté, proposait « d’élargir le nombre de professionnels étant habilités à constater des faits de violences psychologiques et physiques », et d’inclure le médecin généraliste, les médecins urgentistes, le médecin gynécologue, le psychologue ou le psychiatre et les assistants sociaux.

Les services de police et de gendarmerie ont recensé 208 000 victimes de violences conjugales en 2021, soit une hausse de 21 % par rapport à 2020, selon les données du service statistique du ministère de l’Intérieur (SSMSI). Le nombre d’enregistrements de faits a « pratiquement doublé depuis 2016, dans un contexte de libération de la parole et d’amélioration des conditions d’accueil des victimes par les services de police et de gendarmerie ». Mais de nombreuses victimes restent encore dans le silence.

Bémol supplémentaire : il n’est pas prévu à ce stade que cette aide soit accessible aux femmes en situation irrégulière sur le territoire. Le manque d’hébergements d’urgence, malgré les progrès réalisés ces dernières années, reste également un sujet d’inquiétude. Dans un rapport publié en 2021, la Fondation des Femmes estimait que « 4 femmes victimes de violences sur 10 qui en font la demande [n’avaient] aucune solution d’hébergement ». Le gouvernement a créé 1 000 places de plus en 2020, 2021 et 2022, soit un total d’environ 8 800 places. Mais l’on reste loin des besoins estimés à « 15 000 places » l’an dernier par la Fondation des Femmes.

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