En Afghanistan, les talibans n’ont pas tenu leur promesse de progressisme

An Afghan woman waits to receive a food ration distributed by a South Korea humanitarian aid group, in Kabul, Afghanistan, Tuesday, May 10, 2022. (AP Photo/Ebrahim Noroozi)
Ebrahim Noroozi / AP An Afghan woman waits to receive a food ration distributed by a South Korea humanitarian aid group, in Kabul, Afghanistan, Tuesday, May 10, 2022. (AP Photo/Ebrahim Noroozi)

Ebrahim Noroozi / AP

Une femme en burqa attend pour recevoir de l’aide humanitaire à Kaboul, un an après le retour des talibans en Afghanistan.

AFGHANISTAN - Des milliers d’Afghans bloqués à l’aéroport de Kaboul, des jeunes qui risquent leur vie en s’accrochant aux roues des avions sur la piste de décollage, des explosions et des scènes de chaos... Il y a tout juste un an, le 15 août 2021, la capitale de l’Afghanistan tombait à nouveau aux mains des talibans après le retrait des Américains.

Dès lors, la population locale et la communauté internationale se sont inquiétées du retour des fondamentalistes islamistes qui avaient déjà imposé leur interprétation rigide de la charia entre 1996 et 2001. Burqa pour les femmes, interdiction de la musique ou du cinéma, châtiments corporels... Telle était la vie impossible sous le joug des talibans.

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« Si la question est basée sur l’idéologie, et les croyances, il n’y a pas de différence » par rapport à 1996, avait déclaré en conférence de presse le porte-parole des combattants Zabihullah Mujahid le 17 août. Avant d’ajouter : « Mais si c’est en fonction de l’expérience, de la maturité et de la perspicacité, sans aucun doute, il y a de nombreuses différences. » Cette fois, la burqa ne sera pas obligatoire, les filles pourront aller à l’école, les médias resteront libres et indépendants (tant qu’ils respectent la loi islamique), avaient promis les talibans.

Les talibans divisés entre réformistes et conservateurs

Qu’en est-il réellement un an plus tard ? Le premier constat est décevant, surtout concernant les femmes et l’éducation. Les universités ont bien rouvert en février, mais les étudiantes portent la burqa et les cours sont non mixtes. Pire, le 23 mars, quelques heures seulement avant le retour des filles dans les collèges et les lycées pour la rentrée des classes -une première depuis septembre 2021- les établissements ont de nouveau fermé.

« Ces réouvertures résultaient d’un dialogue avec la communauté internationale. On était sur le bon chemin, explique Victoria Fontan, vice-présidente de l’Université américaine d’Afghanistan interrogée par Le HuffPost. Sauf que c’est aussi le moment où le mollah Hibatullah [chef religieux suprême, NDLR] a repris les rênes du mouvement. Il s’est imposé et a refusé l’ouverture des établissements. ». Le droit à l’éducation des jeunes filles constituait pourtant l’un des éléments centraux pour obtenir la reconnaissance du régime et l’aide humanitaire. Cette dernière est d’ailleurs indispensable, alors que le pays traverse une grave crise économique à cause des sanctions internationales et de la famine.

Ce retournement de situation met à jour « les divergences de vues très claires entre la branche politique et administrative qui se trouve à Kaboul, et le leadership clérical du mollah Hibatullah, qui vient de rétablir son assise », pointe Victoria Fontan. Analyste de l’Afghanistan pour l’International Crisis Group, Ibraheem Bahiss confirme à l’AFP qu’il y a « un camp qui va de l’avant avec ce qu’il considère comme des réformes, et un autre camp qui semble penser que même ces maigres réformes sont de trop ».

Répression étouffante contre les femmes, les médias, l’opposition

Naeem Meer, membre du centre de recherche Samuel Hall et basé pendant six ans en Afghanistan, ajoute que « l’exercice du pouvoir a une dimension très locale ». Ainsi, dans certaines régions, les filles ont l’autorisation d’aller à l’école avec l’accord des autorités talibanes, explique-t-il au HuffPost. « Cela ne concerne pas que l’éducation, mais aussi le port de la burqa, la liberté de mouvement. C’est lié à la difficulté énorme que les talibans ont à passer d’une insurrection armée à la gouvernance d’un pays. »

Si les plus conservateurs tiennent le pouvoir central, ces tensions en internes constituent malgré tout un espoir selon la spécialiste des conflits Victoria Fontan : « On ne sait pas ce qu’il se passe dans le mouvement. Cependant, voir qu’il y a des dissensions, c’est énorme et assez positif. D’aucuns diront qu’ils exploitent ce flou », par exemple pour obtenir l’aide internationale. « Moi, j’ai décidé de prendre le parti de l’optimisme pour que tout soit possible. Sinon, autant tout arrêter. »

En attendant, l’étau continue de se resserrer autour des femmes. Depuis fin mars, les femmes ont interdiction de voyager seules, en mai la burqa est redevenue obligatoire dans l’espace public, Amnesty International a recueilli les témoignages de plusieurs femmes ayant manifesté contre les talibans et a constaté « des arrestations et des détentions arbitraires, des disparitions forcées, et des actes de torture physique et psychologique ».

« Les femmes et les filles de ce pays connaissent le recul le plus important et le plus rapide dans l’exercice de leurs droits depuis des décennies. Et l’avenir s’annonce sombre », s’est alarmé la Haute-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme Michelle Bachelet. Outre les attaques contre les droits des femmes, « les autorités talibanes ont supprimé les médias, détenu illégalement, torturé et exécuté des critiques ou opposants au régime », décrit aussi Human Rights Watch.

Pas de retour en arrière, « en tout cas pour l’instant »

De là à parler d’un retour 25 ans en arrière ? Non, estime Victoria Fontan. « On ne peut pas arriver à ce niveau de répression, c’était invivable, on était en Corée du Nord. Aujourd’hui, plus de 50 % de la population a moins de 20 ou 22 ans, la population a changé, est plus éduquée », assure-t-elle. Alessandro Monsutti, spécialiste de l’Afghanistan à l’Institut des hautes études internationales et du développement (IHEID) de Genève partage son constat. Interrogé fin juillet par l’hebdomadaire suisse Echo magazine quelques jours après un voyage en Afghanistan, il assure que le régime précédant n’est pas de retour, « en tout cas pas pour l’instant ».

En 1996, se souvient-il, « il y avait très peu de femmes dans les rues et elles portaient toutes la burqa. La charia était appliquée strictement. Lors de mon récent voyage, j’ai entendu de la musique dans plusieurs restaurants et voitures. Les talibans ne disent rien. Selon Human Rights Watch, ils s’en prennent avant tout à leurs ennemis militaires (...), il n’y a pas de répression généralisée ». L’anthropologue décrit avoir vu des femmes avec le voile et peu avec la burqa, certaines avec du maquillage. « Pour l’instant les talibans ne les embêtent pas. Mais leurs droits sont clairement réduits », ajoute-t-il.

Ce qui peut sembler positif ne doit pas faire oublier que « la situation est évidemment terrible pour les femmes et les minorités, dans les grandes villes ou à la campagne. On est revenu massivement en arrière pour le droit de manifester, pour s’exprimer. Les choses vont très mal et ça risque de s’aggraver », insiste Naeem Meer.

Victoria Fontan approuve et complète : « On est dans un entre-deux, avec un cadre étatique qui n’est pas centralisé ce qui engendre parfois un flou artistique total. Mais plus le temps passe, moins la population est éduquée et plus on risquera de retomber dans les travers du passé. Si le cap du mollah Hibatullah est maintenu, dans trois ou quatre ans la jeunesse n’aura plus de pensée critique. » La vice-présidente de l’Université d’Afghanistan veut y croire, « il est encore possible d’inverser la tendance ». Tout en ayant bien conscience que « la fenêtre d’action se rétrécit ».

À voir également aussi sur le HuffPost : Des femmes manifestent à Kaboul en Afghanistan, des talibans les dispersent violemment

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