Affaire Quatennens : en quoi consistent les stages de responsabilisation des auteurs de violences conjugales ?

Deux jours après la reprise des travaux de l’Assemblée nationale, le député du Nord Adrien Quatennens a été aperçu au Palais Bourbon. Sa première apparition au Palais Bourbon depuis sa condamnation pour violences conjugales.
Deux jours après la reprise des travaux de l’Assemblée nationale, le député du Nord Adrien Quatennens a été aperçu au Palais Bourbon. Sa première apparition au Palais Bourbon depuis sa condamnation pour violences conjugales.

JUSTICE - Il devait passer par la case stage. La France Insoumise a annoncé la réintégration d’Adrien Quatennens à l’Assemblée nationale, après un vote des députés du groupe LFI ce mardi 11 avril. Après avoir été condamné à quatre mois de prison avec sursis pour violences conjugales sur sa compagne, il avait été exclu de son groupe parlementaire pendant quatre mois.

La décision de sa réintégration avait été conditionnée au suivi d’un stage de sensibilisation aux violences. « Le stage a bien été effectué », a assuré l’un de ses proches à France Inter. «  Il s’est engagé dans un stage en cours de finalisation, répondant aux critères attendus  », a pour sa part précisé le groupe LFI dans son communiqué, sans préciser la structure en charge de ce stage.

Selon Le Parisien, le député aurait eu le plus grand mal à trouver une association pour le prendre en charge. La raison ? Ces structures réclament en général « une convention de justice », alors que l’élu n’était obligé de se soumettre à ce stage que par son groupe parlementaire. Adrien Quatennens aurait finalement trouvé une association auprès de laquelle il aurait commencé son stage il y a « un mois ». Réparties sur plusieurs semaines, ses séances prendraient la forme d’une « consultation psy », rapportent nos confrères.

Des stages sur obligation de justice

La grande majorité des auteurs de violences conjugales qui entament ces stages le font sur obligation de justice.

« Il y a deux types de stages fréquents : les stages courts, d’une durée de deux à trois jours, qui sont organisés sur le modèle des stages de récupération des points de permis de conduire, détaille auprès du HuffPost Laurène Daycard, autrice de Nos Absentes. Aux origines des féminicides (éditions du Seuil, 2023). Et ensuite il y a des stages longs, de plusieurs semaines, développés dans le cadre du Grenelle, organisés dans les centres de prise en charge des auteurs de violences conjugales (CPCA). »

Introduits dans la loi en 2014, ces stages sont donc encadrés par les instances judiciaires et organisés par des associations, dont l’objectif est de prévenir la récidive. Le stage « doit permettre de rappeler au condamné le principe républicain d’égalité entre les femmes et les hommes, la gravité des violences, quelle que soit leur forme, au sein du couple ou à caractère sexiste et, le cas échéant, le devoir de respect mutuel qu’implique la vie en couple. Il vise également à lui faire prendre conscience de sa responsabilité pénale et civile pour les faits commis », détaille l’article R131-51-1 du Code pénal.

À l’Appui, association sociojudiciaire située à Niort (Deux-Sèvres) qui organise des stages de responsabilisation depuis 2009, la plupart des participants prennent part au stage pour échapper aux poursuites. Le stage peut aussi être prononcé en peine complémentaire d’une condamnation ou dans le cadre d’une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC).

« Nous accueillons en général des personnes qui ne sont pas connues de la justice et dont les violences n’ont pas entraîné d’ITT », nous décrit Laurent Grolleau, responsable de l’association.

Identifier les éléments déclencheurs de la violence

À l’Appui, les stages durent douze heures, réparties sur deux jours. Les participants sont réunis en groupes de dix personnes maximum.

« Lors de la première matinée, ils se présentent et expliquent les raisons de leur présence, ce qu’ils ont commis comme acte, détaille Manon Jean, intervenante sociojudiciaire. L’idée c’est de les amener, sans jugement, à travailler leurs représentations et leur rapport à la violence. » 90 % des personnes qui effectuent ces stages sont des hommes, selon l’association.

L’objectif n’est pas de connaître la réalité des faits. « On ne vérifie par ce qu’ils racontent. On part de ce qu’ils veulent nommer et verbaliser ici, et au fil du stage, on se rend compte qu’ils arrivent davantage à être plus proches de la réalité et de la vérité », souligne-t-elle. La deuxième demi-journée, une psychologue intervient pour les aider à identifier les éléments déclencheurs de la violence.

« On essaye de savoir comment ils expliquent le recours à l’acte et on les interroge sur la présence ou non d’enfants », détaille l’intervenante sociojudiciaire. La place des « toxiques », alcools ou stupéfiants, au moment des faits, est également abordée.

« Des violences parfois difficilement perçues comme telles »

Lors de la deuxième journée, le groupe est d’abord pris en charge par une psychologue spécialisée en psychotraumatologie. « Elle évoque les conséquences sur les victimes et les enfants, et aborde les différents types de violences, qui sont parfois difficilement perçues comme telles, souligne-t-elle. Parfois, ils sont très surpris d’apprendre qu’une bousculade ou qu’empêcher quelqu’un de sortir, c’est une violence. » Vient ensuite un rappel de la loi.

La dernière session du stage aborde « la temporalité du conflit » et « le cycle de la violence ». Le stage se termine sur la notion de « conjugalité ». « On aborde aussi le mode de communication, quels sont les écueils dans lesquels ne pas tomber etc. », détaille Manon Jean. Les stages sont aux frais des participants : 200 € pour les deux jours.

Laurent Grolleau défend le bilan de ces stages courts : « On constate que sur un échantillon de 110 personnes, on a 4 % de récidive et 10 % de réitération, donc des gens qui ont commis d’autres faits après le stage. Parmi ceux qui ne se sont pas présentés au stage, 45 % ont réitéré sur des faits de violences conjugales. »

« Changer un comportement, ça prend des mois, des années »

Mais difficile parfois de mesurer leurs réels effets. « Il peut y avoir un électrochoc durant un stage court, mais un travail pour changer un comportement, qui s’inscrit parfois dans des années de contrôle et de domination, prend forcément du temps, des mois, des années », souligne Laurène Daycard.

Dans son enquête, elle raconte son immersion de cinq semaines au sein d’un stage de responsabilisation, dans un centre de prise en charge des auteurs de violences conjugales (CPCA) à Arras (Pas-de-Calais), au centre Clotaire. Issus du Grenelle contre les violences conjugales, une trentaine de CPCA ont vu le jour en France. En 2021, 6 000 personnes y avaient été accueillies.

« Les participants abordent à la fois des notions de psychologie, les réponses à apporter face à la violence et le fait d’être confronté à soi-même et ses propres contradictions, détaille Laurène Daycard. Et il y a aussi l’effet de groupe, qui provoque un effet miroir entre les participants, afin qu’ils puissent travailler leur responsabilisation. Un volet social complète aussi le stage. »

À Arras, les hommes qui y participent sont en attente de jugement après avoir fait l’objet d’une première plainte. « Ils sortent de garde à vue et attendent de passer en correctionnelle et suivent ce stage dans ce laps de temps qui peut parfois durer plusieurs mois, explique-t-elle. Officiellement, les hommes qui y participent sont volontaires, mais ils savent que cela les aidera devant le juge, si le stage se déroule bien. »

Un suivi psychologique

C’est aussi dans ces CPCA que peut avoir lieu un suivi des personnes ayant déjà effectué un stage, long ou court. « La condamnation peut être assortie d’un suivi psychologique, qui peut durer des années, souligne Laurène Daycard. Les stages courts peuvent déclencher l’envie de se responsabiliser. Mais ce n’est pas en trois jours ou cinq semaines qu’ils vont appréhender la portée de tout ce qu’ils ont commis. »

L’association l’Appui, qui organise des stages de deux jours, encourage ensuite un suivi en CPCA. « On organise des entretiens obligatoires un mois après le stage et on leur propose de continuer à être accompagnés gratuitement en CPCA, s’ils en ressentent le besoin », explique Laurent Grolleau, responsable de l’Appui. Pour l’instant, peu d’auteurs y font appel, mais c’est une option pour aller au-delà du stage, pour lequel les demandes ont explosé.

« À la libération de la parole et à la réponse pénale, qui est plus systématique dans les cas de violences conjugales, s’ajoute une prise de conscience qu’on ne résoudra pas le problème sans prendre en charge aussi les auteurs », souligne-t-il.

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