Affaire Delphine Jubillar: pourquoi le parquet demande un procès aux assises pour son mari Cédric

"Des charges suffisantes." C'est en ces termes que la procureure de la République de Toulouse conclut son réquisitoire définitif demandant un procès devant la cour d'assises du Tarn pour Cédric Jubillar accusé du meurtre de sa femme Delphine. Une décision rendue trois semaines après la fin de l'instruction.

Delphine Jubillar, mère de deux enfants, de six ans et 18 mois au moment de sa disparition, n'a plus donné signe de vie depuis la nuit du 15 au 16 décembre 2020. Le domicile familial à Cagnac-les-Mines, près d'Albi, a été fouillé et de nombreuses exploitations techniques y ont été menées, en vain. L'infirmière de 33 ans n'a jamais été retrouvée après trois ans d'instruction.

Pour le ministère public, suffisamment d'éléments permettent d'affirmer que Delphine Jubillar "a été tuée". L'absence de corps ou même de sang au sein du domicile familial, où la jeune femme a été vue pour la dernière fois, ou dans les véhicules de la famille, n'exclue pas une "mort violente", celle-ci "n'étant pas nécessairement accompagnée de sang, tels la strangulation ou l'étouffement".

"Toutes les hypothèses examinées"

Dans un document de 39 pages, que BFMTV.com a pu consulter, le parquet de Toulouse reprend l'intégralité des investigations menées dans le cadre de l'information judiciaire d'abord ouverte pour "enlèvement et séquestration" puis pour "meurtre" lors de la mise en examen et le placement en détention provisoire de Cédric Jubillar le 18 juin 2021.

"Toutes les hypothèses s'agissant de la disparition de Delphine Aussaguel (nom de jeune fille de la jeune femme, NDLR) ont été examinées", balaie la magistrate toulousaine, citant les pistes de la disparition volontaire, du suicide, de l'accident ou de l'enlèvement.

Pour arriver à cette conclusion, le parquet de Toulouse s'appuie sur des éléments matériels et immatériels. Cédric Jubillar a signalé la disparition de sa femme, décrite comme une mère aimante, à 4h10 le 16 décembre 2020 au matin. Il est resté constant sur sa version, à savoir qu'il a été se coucher de bonne heure la veille au soir après avoir embrassé sa femme et son fils qui regardaient la télévision. Il aurait été reveillé vers 3h45 par les pleurs de sa fillette et se serait rendu compte que Delphine n'était plus dans la maison.

Une dispute évoquée par plusieurs témoins

De cette nuit-là, les recherches et les exploitations techniques n'ont pu livrer de scénario. Il y a pourtant plusieurs témoins qui permettent d'établir, selon le parquet, que Delphine Jubillar n'est jamais sortie de la maison. "Il est établi que Cédric Jubillar n'a pas accepté la décision de divorce prise par son épouse et a exercé sur elle des surveillances pendant plusieurs mois", considère la procureure de la République de Toulouse, alors que l'intéressé a longtemps nié être au courant de la relation de son épouse nouée avec un autre homme.

"Le caractère irrévocable et imminent de cette séparation est apparu de façon évidente les jours précédant immédiatement les faits ainsi que le jour des faits", poursuit la magistrate.

Louis, le petit garçon du couple âgé de 6 ans au moment des faits, a relaté une dispute entre ses parents le soir de la disparition de sa mère. Il a évoqué à plusieurs reprises avoir vu, à travers une porte entrouverte, une dispute, une bousculade, près du sapin de Noël. Un détail permettant de circonstancier la date de cette dispute. Car si les déclarations de l'enfant peuvent être fragilisées par son jeune âge, elle sont corroborées par d'autres témoignages.

Les lunettes de Delphine Jubillar cassées

Ce soir-là, aux alentours de 23 heures, une voisine et sa fille disent avoir entendu des "cris de femme apeurée, mêlés à des aboiements de chiens, provenant du secteur du jardin de la famille Jubillar". Un témoignage corroboré lui par une reconstitution. De cette dispute, les enquêteurs n'en retirent qu'un élément matériel, à savoir l'unique paire de lunettes de vue de Delphine Jubillar découverte cassée et inutilisable au domicile du couple.

L'une des branches a d'ailleurs été retrouvée derrière le canapé dans le salon à proximité du sapin de Noël, là où Louis, le petit garçon a vu ses parents se disputer. Les expertises réalisées sur les lunettes démontrent que les cassures sont dû à "des efforts dynamiques appliqués de l'extérieur vers l'intérieur". Concrètement à un coup donné par une tierce personne en direction de la monture, et non explicables par une chute.

Autre élément à charge, la voiture de Delphine Jubillar. Ce véhicule a été retrouvé garé sur la pente de garage devant le pavillon des Jubillar, stationné en "descente". Or, selon de multiples témoignages, l'infirmière se garait dans le sens de la montée. Le 15 décembre 2020 au soir, c'était d'ailleurs le cas. Les expertises ont conclu qu'il y avait eu une présence humaine" dans l'habitacle au cours de la nuit. Cette découverte sous-entend que le véhicule a été utilisé et qu'une seule personne aurait pu y avoir accès: Cédric Jubillar.

"Comportement suspect"

L'enquête relève aussi "un comportement suspect avant et après la découverte de la disparition" de l'infirmière par Cédric Jubillar. L'artisan peintre a mis moins de 20 minutes à contacter les gendarmes pour signaler la disparition de son épouse. Entre temps, il tente vainement d'appeler sur son téléphone portable, puis certaines de ses amies, à l'exception de la plus proche amie de Delphine Aussaguel. Il a également été constaté qu'il n'a effectué aucune recherche à l'intérieur et à l'extérieur du pavillon. L'homme s'est d'ailleurs vite diverti, se connectant au site Leboncoin ou sur des applications de jeux en attendant ou en présence des gendarmes.

Le parquet retient que Cédric Jubillar s'est vite concentré sur "sa nouvelle notoriété dont il a su jouer auprès de journalistes pour tenter d'être rémunéré lors de ses prises de parole". Ses proches ont relevé "un profond désintérêt à l'égard des recherches" organisées pour retrouver son épouse. Un entourage, mais aussi des experts psychologue et psychiatre rencontrés pendant l'instruction, qui ont aussi confessé des propos dénigrants à l'encontre de Delphine Aussaguel et des menaces de mort. "Je vais la tuer, je vais l'enterrer et personne ne la retrouvera", avait-il confié notamment à sa mère alors que la jeune femme était encore en vie.

C'est ce scénario qui est aujourd'hui retenu par le parquet de Toulouse. Les deux juges d'instruction vont désormais devoir rendre leur décision concernant une éventuelle ordonnance de mise en accusation devant la cour d'assises du Tarn. Une décision qui devrait être prise "très rapidement", nous confie une source proche du dossier. Les avocats de Cédric Jubillar auront alors la possibilité de faire appel de cette décision.

Article original publié sur BFMTV.com