"Adieu triste amour" de Mirion Malle, la BD à lire absolument en avril

Détail de la couverture de la BD
Détail de la couverture de la BD

S'il ne fallait lire qu’une seule BD en avril, ce serait celle-là. Récit de l'émancipation d'une femme doublé d'un éloge de la sororité, Adieu triste amour de Mirion Malle s'impose déjà comme l'un des albums les plus incontournables de l’année. Et comme le meilleur de son autrice.

Adieu triste amour met en scène Cléo, jeune autrice de BD qui va quitter du jour au lendemain sa vie à Montréal et son petit ami, dont elle découvre progressivement la face sombre et le comportement toxique. Au contact d'une communauté de lesbiennes de Gaspésie, elle va se réinventer et réapprendre à vivre dans la nature québécoise.

Sorti le 1er avril, Adieu triste amour impressionne par sa subtilité et sa douceur, à rebours de son propos, particulièrement dur. Car l'objectif de Mirion Malle n'est pas seulement de dénoncer la solidarité qui permet aux hommes de garder leurs privilèges, mais aussi d'évoquer la peur que celle-ci suscite chez les femmes et les personnes LGBTQIA+.

Pas une autobiographie

Si l'histoire se déroule dans un milieu qu’elle connaît bien, celui de la BD, Adieu triste amour n'a rien d'autobiographique. "Si je l'avais transposé dans un autre milieu, je n'aurais pas été aussi juste, voire j'aurais carrément pu écrire des choses problématiques ou réductrices." Et l'auteur de BD qui tourmente Cléo est un personnage purement fictif, assure Mirion Malle.

Le seul élément autobiographique de l'histoire, c'est les grandes mains des personnages. "C'est peut-être parce que je parle beaucoup, et avec les mains. Ma mère dit que c'est parce qu'elle est marseillaise et que j'ai hérité ça d'elle. Les mains, c'est aussi une façon de raconter des choses sans montrer les visages."

"Comme dans Thelma et Louise"

Sans nier les réalités de notre monde, la dessinatrice ouvertement lesbienne entend proposer "une autre façon de raconter ces histoires, comme on se les raconte entre nous": "Quand on parle avec une autre femme de violences sexuelles, il n'y a pas besoin d'expliquer. C'est une sorte de savoir collectif, comme dans Thelma et Louise."

"J'ai beaucoup réfléchi ces dernières années à l'imaginaire que l'on se construit et auquel on a droit quand on fait partie d'une minorité sociologique", poursuit la dessinatrice. "Le regard dominant n'est pas souvent capable d'empathie, parce qu'il est proposé par des gens qui n'ont jamais eu besoin de se mettre à la place du personnage dont ils racontent l'histoire."

Et la dessinatrice de plaider: "On nous demande souvent, si on parle de femmes, de parler des violences sexuelles. Et des violences homophobes, si on parle de lesbiennes. Bien sûr, c'est important, ça existe. Mais c'est important qu'on ait aussi le droit à des livres doux." "On se donne du doux", résume ainsi un des personnages d'Adieu triste amour.

"Des imaginaires joyeux"

Cette idée est devenue concrète à la sortie du Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma en 2019. "Elle parlait dans une interview de la nécessité de faire des films sans conflit. J'ai envie de ne pas tout le temps être obligée de parler de militantisme ou de lutte. Il y a quelque chose d'éminemment politique dans le fait d'avoir aussi accès à des imaginaires joyeux."

À l'image du film de Céline Sciamma, Adieu triste amour est une relecture du mythe d'Orphée, qui en change la fin. "Dans Portrait de la jeune fille en feu, ce n’est pas Orphée qui cause la mort d'Eurydice, mais la société qui fait que cet amour-là ne peut pas exister. C’est une des rares versions du mythe où les deux personnages sont mis à égalité."

La scène centrale d'Adieu triste amour rejoue le mythe du point de vue d'Eurydice. Cléo et son compagnon marchent l'un derrière l'autre dans la rue. Lorsque l'homme se retourne, la femme a disparu. "Ce n'est pas parce qu'il s'est retourné qu'elle n'est plus là. C'est elle qui a décidé de s'en aller", précise l'autrice, dont la BD devait porter au départ le titre Adieu Eurydice.

Adieu triste amour parle du fait d'être mal accompagné, et insiste sur la nécessité de prendre soin de soi, car la finalité n'est jamais le groupe, mais la solitude créatrice, insiste la dessinatrice. "Il faut avoir un temps pour soi, et pour créer."

Jouer avec les contrastes

Mirion Malle, qui écrit également un mémoire de cinéma sur le regard féminin, a exploité dans Adieu triste amour toutes les possibilités de la bande dessinée. Elle s'est notamment apppuyée sur sa capacité à pouvoir raconter une histoire extrêmement dure avec un style graphique et des couleurs douces (rouge, jaune, rose), pour renforcer les contrastes.

L'auteur de BD toxique, qui ligue ses amis contre Cléo, présente ainsi plutôt bien. "J'ai essayé de le rendre un peu joli, un peu mal habillé, car les auteurs de BD, on n'est pas les stars de l'habillement", sourit Mirion Malle. "Je ne voulais pas non plus en faire un mec hyper repoussant. Il a des petites dents de bonheur."

Et si les faits de harcèlement qui lui sont reprochés n'ont pas la gravité d'accusations de viol, le résultat reste le même: "Ce n'est pas parce que le pire n'est pas arrivé que ce qui est arrivé n'est pas horrible", assure Mirion Malle, qui confie une "petite inquiétude" sur la réception du livre par le public masculin.

Mirion Malle prépare la suite. Elle écrit un scénario de cinéma, qu’elle espère pouvoir réaliser. Ce sera un récit de fantômes aux allures de drame naturaliste sur le deuil. Sa prochaine BD, destinée à un jeune public, racontera les aventures d'une mini-vampire. "J'ai vraiment hâte, parce que ça va être doux."

Article original publié sur BFMTV.com