Un 49.3 qui achève une séquence « déplorable » à l’Assemblée nationale

Élisabeth Borne à l’Assemblée nationale ce mercredi 19 octobre.
EMMANUEL DUNAND / AFP Élisabeth Borne à l’Assemblée nationale ce mercredi 19 octobre.

POLITIQUE - Mercredi 19 octobre, 15 heures. L’Hémicycle est parsemé. L’agitation y est inversement proportionnelle à l’électricité qui parcourt le salon des quatre colonnes, où la presse croise les parlementaires.

Non pas que le débat sur le prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne ne soit pas intéressant, mais c’est que tout le monde a déjà l’autre morceau de la journée en tête : le 49.3 que le gouvernement s’apprête à déclencher sur le projet de loi de finances.

À mesure que le temps passe, les bancs se garnissent. Et les ténors de chaque groupe prennent place, et s’occupent comme ils peuvent. Marine Le Pen vêtue d’un châle comme si elle s’attendait à passer la nuit dans l’hémicycle, ricane aux côtés d’un autre député RN, Jean-Philippe Tanguy. Du côté opposé, Alexis Corbière n’est pas venu les mains vides. À son pupitre, un ouvrage à propos : Misère de la Ve République de Bastien François. Tout un programme.

« Déjà en deuil ? »

Manuel Bompard pianote sur son smartphone pendant que Raquel Garrido discute avec Aymeric Caron. Tout ce petit monde attend avec impatience l’arrivée de la Première ministre Élisabeth Borne.

« Le convoi du compromis gouvernemental est bien arrivé », ironise sur Twitter l’insoumise Clémence Guetté, photo de cars de police garés à proximité du Palais Bourbon à l’appui. Quelques minutes plus tard, un cliché de la Première ministre arrivant à pied à l’Assemblée circule sur les réseaux sociaux. À 17 h 24, Élisabeth Borne est au 57 bis rue de l’Université. Le 49.3 n’est plus très loin.

17 h 40. La Première ministre monte à la tribune, toute de noir vêtue. « Déjà en deuil ? », ironise un député depuis les bancs du RN. « Tout indique que nous ne tiendrons pas le calendrier prévu », justifie la cheffe du gouvernement, précisant que « toutes les oppositions ont exprimé leur volonté de rejeter le texte ». Hilarité générale sur les bancs de l’opposition.

Comme pour lui donner de la force, les députés de la majorité appuient chacune de ses phrases d’applaudissements nourris. La messe est dite : l’article polémique est évoqué dans un brouhaha général. Les députés de la Nupes quittent l’hémicycle avant la fin du discours.

« Brutalité antidémocratique »

Dans la foulée, la coalition de gauche dépose une motion de censure portée par le groupe écologiste. Si elle était votée, cela conduirait à la démission du gouvernement. Auprès du HuffPost, Sophie Taillé-Polian, vice-présidente du groupe EELV et chargée de l’intergroupe de la Nupes, ne décolère pas.

« Le gouvernement n’est pas à la hauteur. Il n’y a rien dans ce budget qui protège contre l’urgence écologique. Tout est déplorable », déplore l’élue du Val-de-Marne, qui précise que cette motion vise moins la chute éventuelle du gouvernement Borne que la correction de copie.

« Ce 49.3, acte de brutalité antidémocratique, déni du parlementarisme, provocation à l’égard des citoyennes et des citoyens représentés par les élus de la Nation, nous conduit à demander la censure du Gouvernement », peut-on lire dans ce texte qui, de source parlementaire, devrait être le plus garni en termes de signatures.

En face, le Rassemblement national prend son temps. Certes, le parti d’extrême droite a toujours affirmé qu’il déposera sa propre motion, mais ce n’est pas pour tout de suite, les oppositions disposant de 24 heures pour agir. « On veut rentrer dans le détail du texte présenté par Élisabeth Borne pour bien calibrer le nôtre », justifie une source RN au Palais Bourbon. Les motions de censure seront ensuite examinées par le bureau des Présidents, avant d’être mis au vote.

« Ce qui est dans les tuyaux, c’est vendredi ou samedi », souffle Alexis Corbière alors que, dans le petit monde politico-médiatique, personne ne croit au succès de ces motions de censure, Les Républicains ne souhaitant pas forcément apparaître comme une force pactisant avec les insoumis ou les lepénistes.

Autre motif d’inquiétude : la menace de dissolution brandie par Emmanuel Macron en cas de censure. Ce qui pousse les élus de droite à une forme de modestie. « Ce serait une connerie de voter une motion de censure. Déjà, ce serait dangereux pour notre groupe, parce qu’on pourrait faire les frais d’une dissolution », prévenait en amont de l’examen un député LR. Avant d’ajouter : « on n’a pas été élus pour s’opposer sur tout ».

L’illusion d’une coconstruction

Soit l’assurance pour le gouvernement de rester en place, et de faire passer son budget en ajoutant quelques amendements (pas tous) votés avant le recours au 49.3. Pour donner l’illusion d’une coconstruction (puisque l’immense majorité des amendements retenus vient de la majorité et de ses partenaires), l’exécutif a gardé entre autres l’amendement sur les jets privés, celui sur le loto de la biodiversité, ou encore un autre sur le passage du plafond des tickets-restaurants de 11 à 13 euros. Exit en revanche celui sur les superdividendes.

De quoi augmenter l’enveloppe budgétaire, mais pas de contenter l’opposition qui considère que l’exécutif aurait dû conserver l’ensemble des mesures adoptées par la représentation nationale dans son texte final.

Des critiques et un scénario qui risquent de se répéter dans les prochaines semaines, puisque le gouvernement n’exclut pas de recourir au 49.3 pour faire passer son Projet de loi de finances de la Sécurité sociale. Sophie Taillé-Polian prévient : « je ne sais pas ce qu’il en sera, mais la logique voudrait qu’on dépose aussi une motion de censure dans ce cas-là ». Et tout le monde rejouera exactement le même rôle. Probablement pour le même résultat.

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