2022, l’année où les insoumis ont transformé de l’or en plomb

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POLITIQUE - Soirée du dimanche 11 au lundi 12 avril, une heure du matin, place Pasdeloup, dans le 11e arrondissement de Paris. Une soixantaine de jeunes partisans de Jean-Luc Mélenchon continuent de faire la fête devant la porte close du Cirque d’Hiver, où les troupes insoumises ont pris leurs quartiers pour ce premier tour de l’élection présidentielle.

Fumigènes, enceintes portables, canettes de bière… Certains croient encore à une remontada du leader de LFI. Espoir qui a un temps traversé l’état-major insoumis. Observant le spectacle avec du recul près du square, deux responsables de la campagne, Clémence Guetté et Antoine Léaument, n’y croient plus. Un dernier coup d’œil sur les téléphones, un échange de regards résignés, une accolade, et les deux futurs parlementaires partent chacun de leur côté.

Mélenchon au centre du jeu

« Faites mieux », avait lancé leur candidat, en reconnaissant sa défaite quelques heures auparavant. Un discours durant lequel Jean-Luc Mélenchon s’est montré beaucoup moins ambigu qu’en 2017 concernant le second tour. Incontestablement, l’intéressé a « fait mieux » que la fois précédente. Il a progressé de près de 700 000 voix, a incarné le « vote utile » à gauche, et ce malgré ses erreurs d’appréciation sur l’Ukraine.

Aidé par les scores faméliques de Yannick Jadot et Anne Hidalgo, Jean-Luc Mélenchon est au centre du jeu. Et c’est bien au siège de la France insoumise que se négocie l’union de la gauche pour les élections législatives. Cette Nouvelle union populaire écologique et sociale (NUPES), extension de l’Union populaire qui a porté sa candidature à la présidentielle.

Malgré d’importantes divergences sur des sujets centraux, les différentes forces de gauche y arrivent. Dans la presse, l’avancée des tractations occupe le terrain. Les affiches envoyant le leader insoumis à Matignon se multiplient dans la rue. C’est le « troisième tour », plastronne l’infatigable Jean-Luc Mélenchon.

Moins d’un mois après cette soirée du 11 avril, le 7 mai, la NUPES officialise cette coalition lors d’un meeting à Aubervilliers. Julien Bayou, Olivier Faure ou encore Fabien Roussel font cause commune sous l’égide d’un Jean-Luc Mélenchon qui a refusé de se représenter aux législatives. Une véritable prouesse au regard des divisions qui minent la gauche depuis des années, et qui conduit les plus audacieux à rêver de cohabitation.

Il n’en sera rien. Le 19 juin, l’alliance de la gauche est — théoriquement — la première force d’opposition à l’Assemblée, forte de 131 sièges. Trop peu au regard des 289 députés nécessaires pour imposer un gouvernement. Surtout, en l’absence de groupe commun malgré une tentative ratée de Jean-Luc Mélenchon, c’est le Rassemblement national qui, avec ses 89 élus, fait office de premier groupe d’opposition.

Une presque victoire au goût de vraie défaite, mais une réelle progression pour La France insoumise, qui quadruple ses effectifs au Palais Bourbon. Une position de force qui lui permet de rafler la prestigieuse Commission des Finances de l’Assemblée nationale, présidée dorénavant par Éric Coquerel.

Tendre le bâton

Des socialistes affaiblis, des écolos divisés qui peinent à trouver leur voie, un pouvoir macroniste qui cherche surtout le soutien de la droite… Théoriquement, un boulevard s’ouvre pour les insoumis en ce début d’été. Théoriquement, et c’est tout le problème. Car en parallèle, La France insoumise enchaîne les bévues.

« On n’a quasiment rien à faire les concernant. Ils ont une capacité d’autodestruction qui est assez hallucinante » - un cadre du groupe RN à l’Assemblée nationale

Affaire Taha Bouhafs, polémique autour du soutien actif (et revendiqué) de Jérémy Corbin, tollé général provoqué par la présidente du groupe LFI Mathilde Panot pour son tweet lunaire sur la Rafle du Vel d’Hiv, dissensions à ciel ouvert de la NUPES au sujet de Taïwan… Les troupes mélenchonistes donnent régulièrement l’impression de tendre le bâton pour se faire battre.

Début septembre, un cadre du groupe RN à l’Assemblée s’en amuse auprès du HuffPost : « On n’a quasiment rien à faire les concernant. Ils ont une capacité d’autodestruction qui est assez hallucinante ». En parallèle, des critiques internes émergent publiquement, à l’image de François Ruffin qui monte au front pour prendre ses distances avec la stratégie de la France insoumise.

L’élu picard, qui n’a « plus envie de hurler sur les bancs de l’Assemblée nationale », remet directement en cause, sondages à l’appui, la méthode de Jean-Luc Mélenchon, consistant à « tout conflictualiser » pour exister politiquement. Le début de dissensions internes que l’affaire Quatennens ne va faire qu’exacerber.

Déni et malaise interne

Mardi 13 septembre, le Canard enchaîné annonce comme à son habitude les articles qui sont à retrouver dans l’édition du lendemain. « La direction de LFI s’inquiète d’une main courante qui vise Adrien Quatennens, déposée par son épouse », tweete le palmipède.

Quelques jours plus tard, le député du Nord annonce son retrait de son poste de coordinateur de la France insoumise, et admet avoir donné une gifle à son épouse. La suite ? Un état-major qui s’embourbe avec une application déconcertante. Jean-Luc Mélenchon réagit immédiatement : il ne condamne pas les violences avouées par son poulain et n’a aucun mot pour la victime.

En parallèle, la France insoumise publie un communiqué bien plus adapté, donnant ainsi l’impression que deux attitudes coexistent, voire s’affrontent, au sein du parti. Certains, à l’image de l’eurodéputée Manon Aubry, prennent leur distance avec la réaction de leur chef.

Au sein du premier cercle, une sorte de déni perdure. « Cette histoire est dernière nous, c’est une construction médiatique. On ne me parle pas du tout de ça sur le terrain », expliquait au HuffPost le député insoumis Manuel Bompard qui, quelques heures plus tard, provoquera un tollé en relativisant le geste commis par Adrien Quatennens.

Alors que tous les autres groupes de la NUPES demandent la démission du député du Nord, la France insoumise, qui se prétend en pointe sur le sujet des violences faites aux femmes, donne surtout l’impression de vouloir sauver le soldat Quatennens, jusqu’à la sanction fébrile (une suspension) décidée par le groupe LFI après sa condamnation. Une décision qui provoque (encore) un immense malaise en interne, et alimente les critiques de leurs adversaires politiques.

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« Mélenchon fait la politique de la terre brûlée »

Au même moment, la France insoumise se réorganise dans une ambiance plombée par ce dossier et sous la pression de ceux qui, à l’instar de François Ruffin ou de Clémentine Autain, demandent plus de démocratie interne.

Pilotée par Manuel Bompard, désigné pour prendre la suite d’Adrien Quatennens à la coordination du parti, cette nouvelle distribution des rôles divise. Une ligne rouge pour plusieurs figures du mouvement, qui dénoncent dans la presse le « repli » et le « rétrécissement » à la tête de LFI.

Fidèle parmi les fidèles, Alexis Corbière lance une charge pour exhorter la nouvelle direction à revoir sa copie, avec laquelle il est en « radical désaccord ». Une vie partisane très compliquée, doublée d’une activité parlementaire qui l’est tout autant en cette fin d’automne.

Le bordel à LFI, c’est mauvais pour tout le monde. L’essentiel est toujours menacé par l’insignifiant - un poids lourd de la NUPES

Le 6 décembre, les troupes insoumises tombent à pieds joints dans un piège tendu par le Rassemblement national sur la réintégration des soignants non vaccinés.

Alors que Marine Le Pen reprend la proposition de loi de l’élue LFI Caroline Fiat pour la niche parlementaire du RN, les insoumis refusent d’offrir une victoire aux troupes lepénistes, et réussissent à imposer l’autrice du texte comme rapporteure.

Le groupe LFI croit alors avoir « hacké » la niche RN, sauf que la manœuvre, qui nécessite l’approbation de Marine Le Pen, revient à défendre un texte dans l’espace du parti d’extrême droite.

Un accord LFI-RN qui ne dit pas son nom, le symbole est désastreux. Les autres groupes de la NUPES s’insurgent, les insoumis rétropédalent. Le RN accuse les insoumis d’oublier les soignants non vaccinés. L’échec est total, le piège se referme. Comme à chaque fois en pareille situation, Jean-Luc Mélenchon et les siens accusent les autres (ici la presse en l’occurrence) d’avoir mal compris. Voire d’avoir fait exprès de mal comprendre.

Une attitude « seuls contre tous » qui commence à irriter au sein de la NUPES. Au HuffPost, une pointure écolo circonspecte devant le spectacle offert par les insoumis juge que le problème n’est pas tant le fond, mais « leur façon de communiquer, leur façon de faire ».

« Le bordel à LFI, c’est mauvais pour tout le monde. L’essentiel est toujours menacé par l’insignifiant », regrette notre interlocutrice, qui juge la NUPES « éprouvée » par ces différents épisodes.

Un ministre, qui connaît Jean-Luc Mélenchon de longue date, est tout aussi perplexe. « S’il y a une dissolution, ils perdent un tiers de leurs circonscriptions. Jean-Luc Mélenchon fait la toupie et la politique de la terre brûlée », observe-t-il auprès du HuffPost, avant d’ajouter, en fronçant le regard : « Et à qui ça profite ? Au Rassemblement national ».

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